Retraites : les femmes gagnantes ou perdantes ? La réforme sous le prisme des inégalités

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    Les femmes seront-elles pénalisées par la réforme ? - Mikael Anisset
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Sophie Guiraud

La volonté affichée du gouvernement cède la place à des critiques de plus en plus nombreuses, amplifiées par une “étude d’impact”.

"Je ne peux pas laisser dire que notre projet ne protégerait pas les femmes." Ce mardi 24 janvier, à l’Assemblée nationale, Élisabeth Borne a tenté d’éteindre la polémique montante sur les effets de la réforme des retraites, affichée comme plus juste pour les femmes.
Nouvelles règles pour le congé parental, revalorisation des pensions, durée de cotisation… les propositions prêtent à interprétation : "Je suis incapable de dire à mon épouse si elle est gagnante ou perdante", indique l’économiste Philippe Villemus, enseignant à Montpellier. Et les Français se sont fait leur opinion : pour 60 % d’entre eux, les femmes font partie des "grands perdants" de la réforme, selon un sondage Odoxa pour Le Figaro paru vendredi 20 janvier.

Des mesures spécifiques

Le congé parental pourra désormais être intégré dans leur carrière jusqu’à un maximum de quatre trimestres. Sur le papier, l’avancée est réelle. Selon le gouvernement, "cela permettra chaque année à plus de 2 000 femmes de partir jusqu’à un an plus tôt à la retraite". Mais le dispositif s’applique uniquement pour les carrières longues (il faut avoir cotisé des trimestres avant l’âge de 20 ans). Or, selon la DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), les femmes ont souvent une carrière incomplète : 44 % pour celles de la génération 1950 (contre 32 % pour les hommes).
Les femmes devraient aussi bénéficier de la “validation des trimestres” proposée pour les aidants familiaux : "Ce sont la plupart du temps des femmes qui exercent ce rôle d’aidant", indique le gouvernement.

Les femmes gagneront-elles plus ?

Aujourd’hui, les inégalités sont flagrantes : la pension des hommes est en moyenne supérieure de 40 % à celle des femmes. La conséquence logique d’une inégalité des salaires : les hommes gagnent 22 % de plus (Insee).
Selon le ministre du Travail Olivier Dussopt, "la pension moyenne des femmes sera revalorisée de 2,2 % à terme, contre 0,9 % pour celle des hommes". Élisabeth Borne peut affirmer que "la réforme contribuera à réduire l’écart de pension entre les hommes et les femmes, premières bénéficiaires de la revalorisation des petites pensions".
Selon les projections, c’est bien le cas. Mais l’explication est moins enthousiasmante : les femmes sont plus concernées par le dispositif qui prévoit une pension minimum de 1 200 € brut pour une carrière complète. Elles représentent 60 % des 1,8 million de retraités qui relèvent déjà du dispositif.
Et pour les futurs retraités (à compter du 1er septembre 2022) : 30 % des femmes en bénéficieront selon les projections. Au prix d’une augmentation de leur durée de cotisation.

Un allongement de la durée de cotisation

Il faut aller lire, à la page 84 de l’Étude d’impact de la réforme des retraites, un pavé de 112 pages, pour toucher du doigt une des injustices majeures de la réforme, une durée de cotisation qui s’allonge davantage pour les femmes que pour les hommes.
Les femmes sont "un peu pénalisées par le report de l’âge légal, on n’en disconvient pas", a reconnu Franck Riester, ministre chargé des Relations avec le Parlement. "Parfois, le saut va être un tout petit peu plus grand" pour elles, a renchéri le ministre délégué aux Transports Clément Beaune, sur France Info.
Selon l’étude, après la réforme, 210 000 femmes par génération devront décaler leur départ contre 170 000 hommes.
Pour l’économiste Philippe Villemus, le phénomène tient essentiellement à l’annulation des effets de la réforme de 2010, qui ouvrait aux mères une validation supplémentaire de trimestres dès le premier enfant (jusqu’à 8 par enfant dans le privé, 4 dans la fonction publique), leur permettant de partir avec une carrière complète à 62 ans.
Dans le magazine Challenges du 11 janvier, Rachel Silva, spécialisée dans les inégalités au travail, estime, comme la CGT, que les femmes seront défavorisées : "En allongeant l’âge de départ, la part des seniors précaires va mécaniquement augmenter puisqu’en France, être senior est mal vu. Les femmes seront le plus touchées." Selon le gouvernement, en 2020, 77 % des hommes de la tranche d’âge 55-59 ans travaillaient, contre 71 % des femmes.
Élisabeth Borne martèle que les femmes continueront à "partir plus tôt que les hommes".
Selon l’étude du gouvernement, les femmes de la génération 1965 partiront en moyenne à 64,7 ans, contre 65 ans pour les hommes.

Moins d’inégalités ?

"L’amélioration du montant des pensions est nettement plus marquée pour les femmes", dit le gouvernement. L’impact sera minime, selon Philippe Villemus, compte tenu du faible avantage de ces dernières : moins de 1 % d’écart avec les hommes ou à peine plus selon les projections.
Sachant que les femmes restent, aujourd’hui encore, les plus impactées par la naissance d’un enfant. Selon l’Insee (2019), les mères qui travaillent perdent 20 % de leur salaire dans les cinq ans qui suivent une naissance, les pères ne sont pas concernés.
Leur avantage repose, et les réformes n’y sont pour rien, sur… leur longévité, un argument repris par le gouvernement. Nées en 1960, elles passent en moyenne 26,5 ans à la retraite, contre 23,2 ans pour les hommes.


 

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