Mort de Tyre Nichols, battu à mort par des policiers : le nouveau drame qui secoue les Etats-Unis

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  • Une vive émotion à Memphis au moment de rendre hommage à Tyre Nichols.
    Une vive émotion à Memphis au moment de rendre hommage à Tyre Nichols. EPA - ERIK S. LESSER
Publié le , mis à jour
Recueilli par Manuel Cudel

Entretien avec Didier Combeau. Ce spécialiste des Etats-Unis a enseigné à la Sorbonne et signé l’ouvrage Polices américaines.

Tyre Nichols, un jeune afro-américain de 29 ans, a été battu à mort par sept policiers le 7 janvier 2023. Un nouveau grave dérapage qui a coûté la vie à un homme noir aux Etats-Unis, et qui a de nouveau profondément choqué le pays.

La mort de Tyre Nichols secoue l’Amérique. Selon le Washington Post, 1 093 personnes ont été tuées ainsi par des policiers en 2022 aux États-Unis, chiffre en hausse. Quels sont les ressorts de ces violences ?

Elles augmentent légèrement, malgré toutes les manifestations de Black Lives Matter, mais la mort de Tyre Nichols (un Afro-Américain de 29 ans tué le 10 janvier 2013 à Memphis, NDLR) comme celle de George Floyd (un Afro-Américain de 46 ans décédé à Minneapolis, le 25 mai 2020, NDLR) ne sont pas représentatives des violences policières. Les personnes tuées par la police le sont à 95 % par balles et non pas par étouffement, ou passage à tabac comme cela a été le cas ici et, très souvent, ils peuvent se retrancher derrière la légitime défense. Mais ces affaires sont plus faciles à exploiter par les groupes de pression contre les violences policières, parce qu’on ne trouve vraiment aucune excuse aux policiers. Et aux États-Unis, un Afro-Américain court trois fois plus de chances qu’un Blanc de faire l’objet d’un abus policier. À circonstances égales, une personne Noire va paraître plus menaçante aux policiers qu’une personne Blanche. Et même si on ne prenait en compte que les Blancs tués, on est très largement au-dessus de ce qu’il existe en Europe de l’Ouest ou en France. Il y a donc à la fois un problème de violence et de discriminations et les deux se surinfectent.

L'idée que "la vertu ne peut triompher que par la force"

Qu’est-ce que cela dit de la société américaine ?

Elle n’est toujours pas sortie de ses 400 ans d’esclavage, un racisme systémique est dénoncé dans la société. Même un Noir qui entre dans la police peut avoir un comportement raciste parce que celui-ci est structurel, induit par le système. C’est aussi une question de classes sociales : les Blancs tués par la police sont eux aussi souvent de classes défavorisées.

La police a-t-elle évolué ?

Oui, les polices ont été créées au milieu du XIXe siècle, à la fin du XIXe siècle, elles étaient le bras armé de la politique, elles se sont professionnalisées au XXe siècle, mais se sont coupées de la population avec la mise en place des patrouilles en voitures. L’un des enjeux aujourd’hui est d’essayer de créer des polices de quartier, qui tissent des liens avec les écoles, les associations, les commerces, afin d’éviter ces brutalités. Mais chez les policiers de base, l’idée demeure que la vertu ne peut triompher que par la force. Les élus et les chefs de police souhaitent cependant réformer ces départements de police, avec la volonté d’intégrer les Afro-Américains. À Memphis, la cheffe de police est une femme noire (Cerelyn J. Davis, dont la réaction après la mort de Tyre Nichols, est saluée, les cinq policiers ont été rapidement sanctionnés, leur unité Scorpion dissoute, NDLR).

La fiction a contribué, elle, à valoriser leur image.

Oui, les forces de l’ordre ont beaucoup utilisé Hollywood et les séries pour projeter une bonne image dans la population. Par exemple, le département de police de Los Angeles participait à l’écriture de scénarios pour les séries télé, en faisant des enquêteurs des personnages très vertueux, assez coupés parfois de la réalité…

Toujours une forte défiance

Quelle est la relation de la population à sa police ?

Dans les quartiers afro-américains, il y a une forte défiance. L’opinion globale reste, elle, attachée à la police. Mais ces abus policiers sont rendus de plus en plus visibles car aujourd’hui, chacun peut filmer avec son téléphone et diffuser sur les réseaux sociaux. On connaît mieux aussi leur nombre, car depuis l’affaire de Ferguson (Michael Brown, un Afro-Américain de 18 ans, tué en 2015, NDLR), la presse et les groupes de pression comptabilisent les personnes tuées par la police.

Cela illustre la violence qui gangrène cette société.

Tout à fait, mais les fusillades très spectaculaires dont on parle beaucoup ne caractérisent pas les violences armées aux États-Unis. Elles représentent à peu près 3 % des victimes de morts par armes à feu. La grande majorité, ce sont des petites disputes qui tournent mal, sachant que le nombre d’armes en circulation a augmenté ces dernières années. Ce problème est donc loin d’être résolu.

Ce qui a changé depuis George Floyd

Au lendemain des funérailles à Memphis de Tyre Nichols, auxquelles a assisté la vice-présidente Kamala Harris, Joe Biden devait recevoir jeudi des élus afro-américains pour évoquer l’évolution de la police. La “George Floyd Justice in Policing Act” (loi sur la justice dans la police), votée par la Chambre des représentants en 2021, n’a pas été adoptée par le Sénat, laissant place en 2022 à un décret encadrant les forces de l’ordre fédérales.

Sans aller aussi loin que la loi Floyd, retoquée car elle s’attaquait à l’immunité qualifiée, qui protège la police d’un procès, sauf en cas de « violation patente des droits ». 35 États ont essayé aussi de s’attaquer à ce principe. Seuls le Colorado, le Nouveau-Mexique et New York pour sa police municipale ont pu l’annuler. Près de 300 réformes locales de la police ont aussi été actées. Mais, « il y a 18 000 départements de police aux États-Unis et il est très difficile de les réformer, souligne Didier Combeau, car ils ne dépendent pas du gouvernement fédéral qui a beaucoup de mal à agir. Il peut le faire par des subventions conditionnelles pour les départements de police, ou en les traînant en justice quand il y a discriminations, car la Constitution déclare l’égalité des citoyens. »

La circulation des armes aux USA, multifactorielle, traduit-elle aussi un manque de confiance envers la police ?

Dans les années 60, les Black Panthers s’étaient armés pour surveiller les agissements de la police. Cela peut traduire un manque de confiance, le fait aussi que beaucoup d’Américains vivent dans des endroits très isolés. Il y a aussi l’idée chez beaucoup d’Américains qu’on ne doit pas se reposer sur la police et qu’il faut assurer sa propre défense, parfois celle de sa communauté. C’est comme cela que la Cour suprême a interprété en 2008 le 2e amendement de la Constitution qui ouvre le droit aux armes à feu, il est donc devenu à peu près intouchable.

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