Des amphores jusqu'au verre, le changement climatique oblige aussi à repenser la vinification

  • La cheffe sommelière, Paz Levinson, du restaurant étoilée d'Anne-Sophie Pic est aussi meilleure sommelière des Amériques 2015.
    La cheffe sommelière, Paz Levinson, du restaurant étoilée d'Anne-Sophie Pic est aussi meilleure sommelière des Amériques 2015. Bob Lightowler
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ETX Daily Up

(ETX Daily Up) - Du raisin plus sucré et plus acide, des aires de production qui se déplacent vers le nord... On connaît les nombreuses conséquences du réchauffement climatique sur la filière viticole. On parle moins des effets au moment de la vinification. Pourtant, il y en a, notamment en ce qui concerne les contenants. On élève le jus de Bacchus davantage dans des grands contenants ou à l'abri de la lumière dans de nouvelles matières, comme le verre. C'est ce que nous a révélé Paz Levinson, la cheffe sommelière du restaurant triplement étoilé d'Anne-Sophie Pic, qui abordera ce sujet à l'ouverture de Wine Paris, un salon où tout le gratin du vin français et international se retrouvera pour discuter innovations et nouvelles tendances de consommation.

Pourquoi avez-vous accepté d'animer une conférence autour de l'influence des contenants dans la vinification et l'élevage du vin lors de Wine Paris ?

Paz Levinson : dernièrement, les réflexions sont nombreuses autour des contenants pour la fermentation et l'élevage en raison du changement climatique. Compte tenu du contexte environnemental, le raisin est plus mûr, il a davantage de matière et de couleur. On doit rééquilibrer au moment de la vinification en repensant les contenants.

Et concrètement, quels sont les changements qui sont opérés dans les chais ?

Depuis plusieurs années, les vignobles décident d'utiliser de plus grandes barriques pour la vinification. On est passé de 225 ou 228 litres à 600 litres afin d'avoir moins de micro-oxygénation, c'est-à-dire que la superficie en contact avec le vin est moindre. Le vin évolue ainsi plus lentement. On obtient des vins plus frais et moins chargés en bois. Il y a une réalité économique, car utiliser des plus grands contenants permet de moins les renouveler. Le bois de ces grands contenants reste en cave durant dix à quinze ans contrairement à une barrique plus petite qui avait une durée de vie de trois à quatre ans maximum. Il y a aussi une réalité logistique, car avec les barriques, cela demande de disposer de beaucoup de place dans un chai. Pour garder de la tension et de la fraîcheur, on accepte que même les grands vins ne soient plus vieillis dans des vieilles barriques. Les vignobles choisissent de réduire la quantité de bois neuf pour l'étape d'élevage afin que les vins gardent leur fruit. On ne veut pas alourdir les vins.

Ce phénomène est-il spécifique à la France ?

La tendance est générale à tous les vignobles, même si certains comme Châteauneuf-du-Pape avaient déjà l'habitude des grands contenants. Dans les vignobles dits du nouveau monde, comme en Argentine, on utilisait des contenants dans les années 50 qui pouvaient atteindre les 50.000 litres. Ils sont passés à la barrique dans les années 90 pour correspondre à la mode des vins concentrés.

Quelles sont les autres matières que l'on choisit d'expérimenter pour la vinification en raison du changement climatique ?

A Bordeaux, on utilise de plus en plus de nouvelles matières comme la craie ou les amphores pour faire vieillir le vin. C'est une révolution pour une région aussi traditionnelle. L'objectif reste le même : garder la pureté et maintenir le fruit. Je vois aussi apparaître de plus en plus de verre durant la vinification. Ce sont de grands contenants en verre pouvant atteindre 400 litres. Le jus est préservé de la lumière. Il y a très peu d'échange entre le nectar et l'oxygène, ce qui donne quelque chose de frais. On garde ainsi de l'acidité. On utilise ces "wine globe" à Meursault en Bourgogne, mais aussi à Cornas et Croze-Hermitage dans la Vallée du Rhône, ou encore en Champagne. L'objectif n'est pas d'opérer toute la vinification dans ces "wine globes", mais d'en élever une partie. Sinon, il y a des expérimentations autour de la céramique ou de la pierre. Les temps de vinification ne sont pas plus longs qu'avec du bois. Le processus se réalise durant douze mois maximum, que ce soit pour du rouge ou du blanc.

L'évolution des contenants est-elle aussi liée à la modification du goût des consommateurs en faveur de jus plus jeunes et frais ?

Désormais, le consommateur recherche le fruit lorsqu'il boit un vin. Il est dans l'immédiateté. Ses envies se portent davantage sur les vins jeunes. Des vignobles, qui avaient la tradition des vins âgés comme la Bourgogne, doivent ainsi s'adapter. La mode est davantage portée par des nectars qui ont moins de structure et de bois. Quand je suis arrivée en France il y a dix ans, on ne voyait jamais à la carte d'un restaurant un jeune millésime de l'appellation Bâtard-Montrachet. Aujourd'hui, la tendance s'est inversée. Il y a une question d'espace pour les vignobles et aussi de budget pour le consommateur qui n'a plus nécessairement les moyens de s'offrir ce genre de vieux millésimes. Les palais semblent de moins en moins adaptés à ces vins âgés, surtout pour les jeunes consommateurs car ils ont de moins en moins la possibilité de les déguster.

Il n'y a pas qu'à l'étape de la vinification que l'on modifie la matière des contenants, le conditionnement du vin change aussi. On parle désormais du bag-in-box mais aussi de la canette. Peut-on craindre une dégradation de la qualité de la dégustation avec ces nouveaux conditionnements ?

La canette protège convenablement le vin. Il n'y a pas d'évolution avec ce nouveau conditionnement. J'ai déjà dégusté de très bons vins servis en canette. Ce ne sont pas des vins vieillis, ce sont des jus qui se dégustent jeunes tout comme pour ceux conditionnés en bag-in-box. Les rouges comme les blancs sont autant adaptés. Ce qui compte, c'est ce qui a à l'intérieur. C'est pourquoi, il faut prêter attention à la qualité du domaine qui a choisi la canette. Il faut s'intéresser au projet. Préférer un vin bio pour choisir une canette de vin de qualité est une bonne piste. Il faut aussi consacrer un budget honorable, à partir de cinq ou six euros la canette. Bien sûr, il est difficile d'imaginer le service d'un vin en canette dans un restaurant gastronomique...

Le salon professionnel Wine Paris & Vinexpo Paris se tiendra du 13 au 15 février prochains, à la Porte de Versailles sous le parrainage du chef étoilé Guy Savoy. Il accueillera plus de 30.0000 visiteurs français et internationaux.

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