L'avenir des stations de ski face au dérèglement climatique

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    L'avenir des stations de ski face au dérèglement climatique
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BPI France

A l’heure du changement climatique, de nombreux domaines skiables s’attèlent désormais à adapter leur modèle économique en vue de pérenniser emplois et patrimoine culturel. Et loin de tourner la page sur les sports d’hiver, les professionnels misent plutôt sur la résilience et l’innovation pour préserver leur activité.  

" Ça n’a aucun sens de prôner un démantèlement total des stations de ski. On ne peut pas faire fi de toute cette culture qui les entourent ou même de leur encrage territoriale ", affirme Mathieu Dechavanne, PDG de la Compagnie du Mont Blanc, une société qui exploite les domaines skiables et remontées mécaniques de la vallée de Chamonix-Mont-Blanc depuis 1950. " L’enjeu, c’est de faire preuve d’intelligence collective pour imaginer un modèle agile. Il va donc falloir être raisonnable et patient, car ça va prendre du temps. Mais c’est beaucoup plus intéressant que d’opter pour la facilité et de tout démanteler sans réfléchir à l’impact économique et local que ça aura ".

Selon un rapport du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), sur l’enneigement des domaines skiables en haute montagne, daté de 2019, l’épaisseur moyenne de neige en hiver à basse altitude diminuera probablement de 10 à 40 % entre 2031-2050, par rapport à la période 1986-2005, et ce quel que soit le scénario d’émission. Pour 2081-2100, la baisse projetée serait quant à elle de 50 à 90 %. Des chiffres qui interrogent sur la pérennité des stations de ski et sur l’impact économique que cet arrêt pourrait entrainer sur l’économie locale. " On est au cœur de l’endroit où se manifeste le plus les effets du dérèglement climatique. Typiquement, on a vu la Mer de Glace fondre dès le début des années 85, et depuis ça ne fait que s’amplifier. On perd six à huit mètres de glace par an ", déplore Mathieu Dechavanne avant d’ajouter. " On doit s’adapter, ce n’est plus une option mais une nécessité ".

" Il y a une dichotomie entre ce risque potentiel lié à l’évolution climatique et d’un autre côté, une activité qui se porte très bien "

Première source de revenus pour les territoires de montagne, les domaines skiables doivent leur existence à l'enneigement. Le 25 décembre dernier, la station des Brasses fermait ses 14 remontées mécaniques faute de neige. Situé entre 1 000 et 1 500 mètres d'altitude, ce domaine skiable de Haute-Savoie qui réalise d’ordinaire un chiffre d'affaires de 1,5 million d'euros par an a dû se résoudre à mettre une quarantaine de personnes au chômage technique. La veille, ce même redoux avait contraint la station de Combloux, en Haute-Savoie également, à stopper son activité. Et cette hausse des températures, loin de ne concerner que la fréquentation des domaines skiables, impacte également la stabilité des sols, cimentés par le gel. " Il y a cinq ans, en plein mois de mars, nous avons dû stopper l’exploitation de l’un de nos appareils à cause de l’affaissement des sols dû à un mois d’août caniculaire. Une première pour nous ! ", se rappelle le PDG de la Compagnie du Mont Blanc. " Si on m’avait dit il y a quelques années de ça que je stopperais un appareil exposé face nord à plus de 2 000 mètres d’altitude, à cause d’un affaissement de sol, je vous aurais très probablement ri au nez ". En ce sens, depuis 2014, l’entrepreneur lance chaque année des investissements conséquents dans le but d’adapter ses infrastructures aux aléas climatiques.

Si beaucoup y voient là un combat perdu d’avance au vu de certaines études annonçant un arrêt du ski de moyenne d’ici 30 ans, les opérateurs pondèrent pourtant ces pronostics. " Cela ne veut pas dire que le climat va complètement changer. Il y aura toujours de l’enneigement, néanmoins, il sera plus faible, avec des chutes de neige beaucoup plus conséquentes mais aussi plus réduites. Mais tout ne s’arrêtera pas demain ! ", précise le PDG de la Compagnie du Mont Blanc. D’autant plus quand on sait que la saison 2021-2022 avait été marquée par un regain d'intérêt pour la montagne, avec une augmentation de 20 % de la fréquentation par rapport à 2019, selon l'Observatoire national des stations de montagne. Un engouement également noté par Jean-Yves Rémy, PDG de Labellemontagne. Ce groupe familial spécialisé dans la gestion de stations de montagnes, a enregistré en 2022 son meilleur chiffre d’affaires, toutes saisons confondues. " En ce qui nous concerne, les dernières années ont été les plus profitables et les plus fortes en activité. Il y a une espèce de dichotomie entre ce risque potentiel lié à l’évolution climatique et d’un autre côté, une activité qui se porte très bien ".

Un poids économique et humain à mesurer

Qu’il semble loin le temps où l’on érigeait des villes nouvelles entièrement dédiées à la pratique du ski. Dans l'euphorie des Trente Glorieuses, cette conquête des sommets répondait à un impératif politique clair : démocratiser une activité jusqu'alors réservée à quelques initiés. En 1964, un Plan neige voit le jour afin de faire en altitude ce que la mission Racine projette pour le littoral languedocien. Mais soixante ans plus tard, les politiques, conscients de l’impact du dérèglement climatique sur cette activité, semblent revoir leur copie. " Aujourd’hui, j’ai le sentiment que l’administration, et plus largement l’Etat, a déjà tourné la page sur les exploitations de haute et moyenne montagne. Mais ce n’est pas en balayant tout d’un revers de main qu’on apportera de vraies solutions à ces territoires. Quelles sont aujourd’hui les remises en causes sur le plan économique et social et qu’a-t-on à notre disposition pour remplacer cette activité si elle vient à fermer ? ", interroge Jean-Yves Rémy, le PDG de Labellemontagne. Une question lourde de sens quand on sait qu’en France, les stations de ski génèrent chaque année plus d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires, et que plus de 120 000 emplois dépendent de leur ouverture (commerces, hébergements, école de ski, services de la station, etc.).

Initié en 2021, le plan Avenir montagne visait pourtant à aider les professionnels du secteur à relancer l’investissement pour répondre aux défis structurels auxquels ils font face. Ses trois piliers reposaient sur l’accélération la transition écologique dans les massifs, la diversification de l’offre touristique et la réduction de " lits froids ", ces appartements en station inutilisés une grande partie de l’hiver. En ce sens, un fonds de dotation à hauteur de 331 millions d’euros – 300 millions pour les investissements et 31 millions d’accompagnement à l’ingénierie - avait été mis en place. Mais deux ans plus tard, l’impact réel de ce plan sur le quotidien des exploitants de hautes et moyennes montagne divise encore. Au sein de sa station de La Bresse, le PDG de Labellemontagne a récemment effectué des investissements et signé une nouvelle délégation de service public pour 25 ans, comprenant des clauses de revoyure si d’aventure les conditions climatiques n’étaient plus acquises. " Ici on ne parle pas d’extension du domaine skiable mais de renouvellement du matériel. Et l’administration a trouvé ça complètement incongru au vu du contexte climatique ", précise Jean-Yves Rémy. " Mais ce n’est pas parce qu’on vient de connaitre quelques semaines de redoux que l’entreprise ou l’activité est en péril ".

Un public curieux de mieux comprendre l’impact du dérèglement climatique sur les paysages de montagne

En réaction aux injonctions de plus en plus pressantes de l’Etat, les opérateurs de remontées mécaniques développent désormais une stratégie d’adaptation qui consiste à pallier le manque de neige grâce à fabrication de neige de culture. Selon France Montagne, 29 % des pistes de ski françaises en sont aujourd’hui équipées. Un pourcentage équivalent à la part du chiffre d’affaires que les domaines skiables doivent investir chaque année pour produire cette neige de culture. Pour ce faire, les professionnels se dotent de canons à neige qui pulvérisent des gouttelettes d'eau sous pression dans un air à une température négative. Elles gèlent instantanément et se transforment en flocons de neige en retombant. Au-delà de permettre une meilleure couverture des pistes en cas de conditions météorologiques médiocres, la neige de culture a une durée de vie beaucoup plus longue. " Je n’ai jamais trop compris les polémiques sur le sujet. C’est de l’eau qu’on emprunte dans un lac en hiver, et qu’on restitue l’été sur le même versant. Et elle est à disposition des agriculteurs", note Mathieu Dechavanne. Une stratégie que le PDG de la Compagnie du Mont Blanc à mis en place dans son exploitation de Megève. Proche des pistes, le lac de Javen, une fois l’hiver venu, devient un réservoir naturel qui approvisionne la station en neige et ce, sans ajout d’additifs. Ainsi, 30 à 40 % du domaine skiable du dirigeant est enneigé grâce à cette solution. Un pourcentage que Mathieu Dechavanne ne tient néanmoins pas à augmenter. " Il y a encore beaucoup de débats sur l’exploitation de neige de culture car cela demande beaucoup d’eau, d’énergie, d’équipements et d’argent, ce qui manque cruellement à certains en ce moment ", pondère pourtant Emmanuelle George, chercheure en aménagement touristique de montagne.

En ce sens, les opérateurs ne comptent plus seulement sur la neige de culture pour stabiliser leur offre, mais misent également sur une diversification de leur activité. " La station de Métabief (Doubs), qui rencontre depuis quelques temps déjà des problèmes de rentabilité, a décidé de planifier l’arrêt de ses remontée mécanique. Donc tout l’enjeu d’ici 2035 est de s’organiser et maintenir l’emploi dans la région ", complète la chercheuse. A Chamonix, dans la station de Mathieu Dechavanne, PDG de la Compagnie du Mont Blanc, 45 % du chiffre d’affaires est fait l’été. Une fréquentation en partie due à la présence de touristes qui s'y pressent pour admirer le Mont Blanc. " Mais pour beaucoup d’autres stations, ça tourne plutôt autour de 3 ou 4 % ", atteste le dirigeant. Si le VTT, les randonnées pédestres ou les visites de fermes sont aujourd’hui plébiscités par les régions afin de valoriser leur territoire tout au long de l’année, Mathieu Dechavanne note pourtant que le modèle comporte encore quelques axes d’amélioration nécessaires. " L’activité de VTT créait de gros problèmes de flux avec les randonneurs et ça dégrade également des chemins. Donc, oui la diversification c’est bien mais ce n’est pas la solution miracle pour maintenir l’activité de ski de moyenne montagne ". Certains exemples nous prouvent cependant qu’un juste milieu est possible. A la Clusaz, station-village situé à 1 700 mètres d’altitude, l’activité ne s’arrête pas quand les télésièges rentrent au bercail. Les nombreux commerces – restaurants, boulangeries, chocolateries, bijouteries… - restent ouverts toute l’année, avec des pics de fréquentation en été et en hiver.

" Sur le domaine de Chamonix, il y a une forte appétence du public pour mieux appréhender le biotope dans lequel il se trouve et comprendre l’impact du dérèglement climatique sur ce dernier. Ils sont également très curieux de connaitre nos actions en faveur de l’environnement ". Un constat qui a récemment poussé le PDG de la Compagnie du Mont Blanc à imaginer le Glaciorium, un centre d'Interprétation des glaciers et du climat, situé à 1 900 mètres d’altitude. A travers une visite de 25 minutes, ce lieu - qui sortira de terre courant 2024 - permettra au public de mieux comprendre les enjeux climatiques et de prêter davantage attention à l’écosystème qui les entoure, " car il n’y a pas que les glaciers qui sont impactés ", conclu Mathieu Dechavanne.

Cet article a été publié initialement sur Big Média L'avenir des stations de ski face au dérèglement climatique
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