Aveyron : Joël Ayral condamné à 20 ans de réclusion, retour sur un conflit familial qui a viré au drame

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  • Joël Ayral, avec ses conseils, après l’énoncé du verdict : 20 ans de réclusion criminelle.
    Joël Ayral, avec ses conseils, après l’énoncé du verdict : 20 ans de réclusion criminelle. Centre Presse Aveyron - José A. Torres
Publié le , mis à jour
Mathieu Roualdès

On revient sur cette semaine de procès après la condamnation de Joël Ayral à 20 ans de réclusion criminelle.

Cinq jours de débats intenses et parfois passionnés, plus de vingt témoins, sept experts, des heures de plaidoiries… Et un verdict, tombé ce vendredi en fin d’après-midi : Joël Ayral est condamné à 20 ans de réclusion criminelle pour le double meurtre de sa sœur et de son beau-frère le 21 mars 2019, au hameau de Condamines sur la commune de Castelnau-de-Mandailles.

Il échappe à la perpétuité

À l’énoncé de ce verdict, il a jeté un regard vers ses deux fils, assis au premier rang tout au long de la semaine. Puis il a longuement échangé avec ses avocats, parfois avec un sourire non dissimulé… À 66 ans, Joël Ayral échappe à la perpétuité qu’il encourait à l’ouverture de son procès. Le jury n’a pas retenu la préméditation. Il n’a pas non plus suivi l’avocate générale, Nathalie Bany, dans ses réquisitions de la matinée : entre 25 et 30 ans.

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"Il ne méritait pas de finir sa vie en prison"

"Un jour, Joël Ayral sortira et retrouvera ses enfants. Il pourra reprendre une vie qui jusqu’à ce 21 mars 2019 était celle d’un bon père, d’un homme exemplaire qui a toujours travaillé. Il ne méritait pas de finir cette vie en prison », ont réagi ses deux conseils, Me Jean-Marc Darrigade et Me Alexandre Martin, avant de quitter le palais de justice. Et de saluer « un verdict humain".

C’est sur cette humanité, "où l’on tue depuis des millénaires pour des bouts de terre", que les deux conseils ont axé leurs plaidoiries, vendredi 10 février matin. "Joël Ayral n’est pas ce criminel froid, pervers, calculateur qu’on peut croiser dans les cours d’assises", ont-ils assuré face aux jurés. Alors, qu’est-ce qui a bien pu pousser leur client à devenir "un animal", comme il l’a concédé durant son procès, cette soirée du 21 mars 2019 ?

Pourquoi a-t-il tué "sauvagement" ?

Qu’est-ce qui a bien pu l’emmener à tuer "sauvagement", d’une dizaine de coups d’un canon de carabine et de cisailles, sa sœur Henriette et son beau-frère Firmin au pied de leur maison ? Ils avaient 72 et 80 ans. Cinq filles et de nombreux petits enfants. Tous ont suivi ce procès, sans un geste d’humeur. Et sans se départir d’une rare dignité en de telles circonstances.

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Leur histoire familiale a longtemps été décryptée, analysée, dévoilée aussi. Rien n’a été épargné. Ni caché sur cette fratrie Ayral, composée de huit enfants nés dans la modestie d’une petite exploitation agricole du Nord-Aveyron. Joël, né en 1956, en est le benjamin. Henriette en était l’aînée. Elle est la seule à ne pas avoir fait d’études. De son éducation, l’une de ses sœurs parlera "d’élevage".

Elle était destinée à reprendre la ferme familiale. Joël, lui, a longtemps travaillé comme formateur à l’Afpa, un organisme pour adultes. Rapidement dans sa vie sont arrivées "des failles, qui ont fait craquer la digue". Un accident de voiture dans lequel l’un de ses frères décédera, un mariage qui finira par être "ingérable" avec une femme instable psychologiquement, le décès d’une dernière compagne d’un cancer… Et la succession familiale. On est dans les années 1990. Joël s’entend bien avec tous ses frères, mais n’a déjà plus de contact avec son aînée Henriette à qui il n’a pas pardonné "une dénonciation" amoureuse…

Comme dans beaucoup de fratries, le partage familial est venu réveiller toutes ces tensions cachées. Car dans cette ruralité où la valeur travail écrase tout le reste, on ne va pas chez le psychologue et on ne parle pas de ses problèmes lors des repas dominicaux. À la succession, les secrets éclatent au grand jour. On apprend qu’Henriette n’est pas une sœur, mais "une demie" née d’une précédente relation de sa mère. On l’appellera alors "la bâtarde", ne sera épaulée que par l’une de ses sœurs et lors du partage, elle se sentira lésée. Elle engage une première procédure judiciaire contre ses parents.

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Scène de crime

S’en suivront des dizaines d’autres, cette fois face à Joël. Lui a acquis une parcelle familiale. Sur celle-ci, déborde un coin de la maison de sa sœur et son beau-frère. On parle de six mètres carrés… Il ne le supporte pas. Les deux camps se déchirent. Sûr d’être dans son bon droit, le benjamin perd néanmoins toutes ses actions en justice. Il ne supporte pas, là non plus.

La haine se nourrit un peu plus, les accrochages verbaux et physiques s’accumulent. « Il leur a pourri la vie durant des années, ils vivaient dans la peur tout le temps », témoigneront les filles et petites-filles du couple défunt. À Condamines, tout le monde est au courant "des histoires". Face à la cour cette semaine, voisins, amis, connaissances se sont succédé et tous l’ont dit, sans jamais prendre parti d’un côté ou de l’autre : "On savait que ça finirait mal". Et effectivement, de la haine familiale naîtra une scène de crime. Particulièrement violente. Le jury s’y est plongé dedans à de nombreuses reprises cette semaine. Avec deux versions.

Celle d’un Joël Ayral, assurant que cette nuit du 21 mars 2019, il était venu à Condamines tailler un arbuste. Avant de se faire agresser "par Monsieur et Madame".
"On lui a mis deux coups de carabine derrière la tête. Puis, toute sa haine est ressortie", ont expliqué ses conseils, se gardant de reprendre l’invraisemblable scène "de roulés-boulés" décrite par leur client en début de procès.

"La goutte qui a fait déborder le vase"

De l’autre côté de la barre, personne n’y a cru. Voilà plusieurs jours que Joël Ayral, tout juste retraité en 2019, s’était ouvert à la gendarmerie, aux huissiers, à une employée d’un cabinet d’assurances qu’il allait "y avoir des morts". Que "sans les enfants, je l’aurais buté". Que "tout lui tombait dessus". Comme cette saisie sur son compte bancaire le jour du drame, issue d’une condamnation face à sa sœur. "La goutte qui a fait déborder le vase", s’interrogera l’accusation. Pour qui "l’état de santé des victimes ne leur permettait pas de se battre et de faire des roulés-boulés".

Jeudi encore, Nathalie Bany a soutenu sa version : celle d’un Joël Ayral attendant que Firmin ne sorte son chien. Avant de l’agresser et d’en faire de même avec Henriette. "Cela explique pourquoi on les a retrouvés en pyjama pour lui et en chemise de nuit, pieds nus, pour elle. On peut penser qu’elle soit sortie précipitamment pour défendre son mari… La position de ces deux corps, face contre terre, côte à côte, épaule contre épaule, m’interroge. Cela ressemble à un tableau de chasse".

D’autres questions resteront sans réponse : à qui appartenait la carabine, arme du crime ? Pourquoi Joël Ayral a changé de trajet à son retour de Condamines et s’est séparé de ses habits ? Pourquoi n’a-t-on pas retrouvé le sang de sa blessure à la tête sur l’appuie-tête du siège de sa voiture ? Pourquoi quelques mois après le drame, l’un de ses hangars mis sous scellé a été "visité" ?

"Chacun a sa légende dans cette histoire. Mais rien ne ressemble à une préméditation. C’est simplement un homme à bout qui finit par exploser et se rend à la gendarmerie après son crime", ont plaidé les avocats de la défense. Avant de faire ce vœu : "On espère que cette décision sera un vecteur de paroles dans cette famille pour, pourquoi pas, un jour, recoller les morceaux…" Dans ses dernières paroles, avant que le jury ne parte délibérer, Joël Ayral a confié : "Le seul regret que j’ai, c’est qu’on ne se soit jamais parlé".

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