Agriculture en Aveyron : les agriculteurs d’aujourd’hui veulent plus de libertés, décrytpage d'une profession en pleine mutation
Fini le temps où les agriculteurs travaillaient 7 jours sur 7, 365 jours par an au sein de leur exploitation. Pour devenir moins contraignant, offrir plus de flexibilité et rester attractif pour les jeunes générations, le métier a dû évoluer et s’adapter aux modes de vie d’aujourd’hui. Tour d’horizon des dispositifs qui existent pour permettre aux agriculteurs d’appuyer sur le bouton pause.
Nos parents avaient gagné un temps précieux avec la mécanisation. Nous, on bénéficie des automatismes qui ne nous donnent pas moins de travail, mais permettent de l’aménager et de le répartir différemment dans la journée. On peut, par exemple, aller chercher les enfants à l’école pendant la traite", explique Jérôme Valière, agriculteur et président du service de remplacement depuis 2018.
Créé en 1972 par les Jeunes agriculteurs, l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (Apca), la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et la Confédération nationale de la mutualité, de la coopération et du crédit agricoles (CNMCCA), ce service, qui a fêté ses 50 ans l’an dernier, est apparu à la même période que les congés maternités. "L’idée était de libérer du temps à l’agriculteur tout en assurant la continuité des travaux en cas d’absence. Les volants, comme on les appelait, arrivaient à la ferme le lundi matin avec leurs valises."
Le service de remplacement, 50 ans au service des agriculteurs
Service social basé sur la solidarité et la proximité, le service de remplacement est une association reconnue comme groupement d’employeurs qui embauche des salariés agricoles pour remplacer les chefs d’exploitation adhérents pendant leur absence. "Nous avons découpé l’Aveyron en sept secteurs avec, pour chacun d’eux, un agriculteur responsable de planning. Les missions peuvent aller de deux jours à six mois et les raisons de se faire remplacer sont multiples : maladie, accident, naissance, formation, vacances, week-ends… En 2022, plus de 500 agriculteurs, soit un tiers de nos adhérents, ont fait appel à notre service pour plus de 10 000 journées de remplacement. Nous avons fait travailler 200 agents, dont 15 en CDI, ce qui représente 46 équivalents temps plein."
Les agents de remplacement ne sont pas forcément agriculteurs, ils sont généralement jeunes, aiment être dehors et ont parfois pour projet de s’installer. "C’est confortable pour eux car ils ont un revenu stable et régulier (1 600 euros nets, plus les avantages comme frais de déplacement, heures supplémentaires et RTT, pour 39 heures par semaine à l’embauche en CDI, NDLR), et bénéficient de plus de temps libre, déclare Jérôme Valière. Nous intervenons régulièrement dans les collèges et les lycées pour lutter contre l’indécrottable image du salarié de la production agricole, celle du pousse brouette incapable de réfléchir. Nous mettons en avant le fait qu’au contraire, il doit avoir des compétences techniques, auxquelles nous pouvons le former, et profite d’une grande autonomie."
L’espace emploi service pour gérer l’administratif
Outre le service de remplacement, pour lequel la demande augmente doucement mais sûrement, il existe un autre service qui a été mis en place par la FDSEA il y a de nombreuses années : l’espace emploi service (EES). "Nous avons développé ce service pour offrir aux agriculteurs-employeurs un accompagnement efficace dans les tâches administratives liées à la gestion des salariés (contrats de travail, bulletins de salaires, déclarations…) mais aussi aux risques professionnels, pénibilité, audit juridique et social, etc.", explique Benoît Fagegaltier, agriculteur et président de l’EES qui emploie une salariée pour s’occuper de toutes ces tâches administratives fastidieuses et chronophages.
Pour réduire l’astreinte sur les exploitations, les grosses structures qui peuvent se le permettre embauchent des salariés en direct. Autrement, il existe les groupements d’employeurs dont le nombre a explosé ces dernières années. Le principe est simple : plusieurs agriculteurs se regroupent pour embaucher un ou plusieurs salariés qui interviennent sur leurs propriétés. S’il existe encore des entreprises de travaux agricoles, il y a aussi ce que l’on appelle dans le jargon "le travail à façon" avec les Coopératives d’utilisation des matériels agricoles (Cuma). Là, il s’agit d’un salarié qui réalise un travail particulier avec une machine (moissonneuse-batteuse par exemple) pour plusieurs fermes. La mutualisation permet de faire des économies d’échelle et de gagner du temps.
Gaec de L’Espérance, un modèle à suivre
Autre exemple de fonctionnement vertueux qui permet à ses associés de se ménager du temps libre pour déconnecter : le Groupement agricole d’exploitation en commun (Gaec) de L’Espérance à Baraqueville. "Ce métier est un des plus beaux. Nous vivons au rythme des saisons, faisons naître des animaux et des plantes… Mais travailler 7 jours sur 7, jour et nuit, gérer l’imprévu, gagner peu, être isolé… Ce qui pouvait faire rêver sur le papier peut vite devenir ce qui nous fait plonger. L’agriculture, c’est passionnant mais comme toutes les passions, cela peut devenir excessif et dangereux", raconte Jean-François Alary qui a décidé de rompre avec ce fonctionnement pour optimiser les charges de la structure et avoir le droit d’être malade.
Au début des années 1990, il créé le Gaec avec deux voisins. Aujourd’hui, ils se sont spécialisés dans la production laitière (240 vaches qui produisent un peu plus de 2 millions de litres de lait par an) et sont cinq associés : Jean-François Alary et son fils Bastien, Laurent Monteillet, Laurent Enjalbert et Julien Pouget. "Le plus important, c’est ce qui ne se voit pas, c’est l’humain. Nous travaillons dans une super ambiance, le respect de l’autre et la discipline, et en 30 ans, il n’y a jamais eu de conflits. Nous avons déplacé nos centres d’intérêt. Ce ne sont pas le foncier, le matériel ou les bêtes, c’est dégager un maximum de temps libre pour vivre, tout simplement." Comme ils sont cinq associés pour faire le travail de quatre, il y en a toujours un en RTT. Ils embauchent un salarié 17 week-ends par an de manière à n’être d’astreinte qu’un week-end sur trois. Ils prennent trois semaines de congés, deux l’été, une en fin d’année. Résultat, chaque associé travaille 4 jours sur 7.
"Quand on part, c’est en totale confiance, l’esprit libre et tranquille, on déconnecte vraiment, déclare Jean-François Alary. Je vais avoir 56 ans, j’ai mis toute une vie à construire ça, mais aujourd’hui, je m’éclate dans mon métier. En plus, en me reposant, je n’ai pas la tête dans le guidon et je suis plus performant. Les conditions de travail constituent un véritable enjeu dans le monde du travail. Il n’y a qu’à voir d’autres secteurs comme l’hôtellerie-restauration. L’argent ne fait plus rêver, les gens veulent profiter."
157
C’est le nombre d’installations aidées en Aveyron en 2022, un record depuis dix ans. "Il le faut car, d’ici 2027, un agriculteur sur deux sera en âge de prendre la retraite", souligne la directrice des Jeunes agriculteurs de l’Aveyron Mathilde André. La part des femmes est de plus en plus importante et il faut également noter que 44 % des personnes qui s’installent ne sont pas issues du monde agricole, ce qui offre une belle diversité au niveau des productions.
Les Jeunes agriculteurs relèvent le défi de l’attractivité
"Nous sommes chagrinés que l’émission "L’Amour est dans le pré" présente des profils caricaturaux. Les Jeunes agriculteurs (JA) de l’Aveyron comptent 360 adhérents et aucun ne se reconnaît dans cette téléréalité. L’agriculture, ce n’est pas ça. Nous voulons prendre le contrepied de ce genre d’émission pour redonner ses lettres de noblesse au métier et le rendre attractif, notamment auprès des jeunes", explique Mathilde André, directrice de la structure syndicale départementale agricole.
Pour ce faire, les JA ont lancé le podcast "Dans leurs bottes". Tous les quinze jours, les auditeurs accompagnent Mathilde dans ses pérégrinations à travers l’Hexagone. "Le principe est simple : je prends le petit-déjeuner avec un agriculteur, il me raconte son histoire, on échange sur son métier, ses doutes, ses envies et ses idées. C’est une conversation sur le temps long qui permet d’incarner et d’humaniser l’agriculture d’aujourd’hui."
Pour redorer le blason d’une profession qui souffre encore de nombreux clichés, les JA organisent régulièrement des événements destinés au grand public. Il y a eu les "Agrifolies" jusqu’en 2015 et "Sous les pavés les prés" pendant quatre ans à Rodez plage. "En 2022, nous avons organisé "Merci qui ? Merci les agris !" sur deux jours au Monastère. Un week-end à la fois festif et pédagogique qui a tellement bien fonctionné que l’on va le reconduire en 2023."
Les JA de l’Aveyron mènent également des actions de promotion du métier pour susciter des vocations. "En partenariat avec le conseil départemental, nous faisons visiter des exploitations aux élèves de 4e et de 3e, nous sommes sollicités par les établissements de formation agricole et participons à des forums métiers", détaille Mathilde André, ajoutant qu’au niveau national, les JA font partie de l’association "Demain je serai paysan", initiative qui vise à promouvoir le métier d’agriculteur auprès des jeunes et à leur donner toutes les informations nécessaires pour se former et s’installer.
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