Paris. Agriculture en Aveyron : les producteurs s’adaptent aux nouvelles modes de consommation

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    À la Ferme d’Agen, quatre associés unissent leurs efforts pour satisfaire les clients. Reproduction - Centre Presse Aveyron
Publié le
Anaïs Arnal

Alors que l’inflation entraîne une baisse du pouvoir d’achat, les courses du quotidien restent une dépense prioritaire pour une majorité de Français. Si 9 ménages sur 10 font leurs emplettes alimentaires en supermarché, d’autres circuits de distribution émergent et se développent pour répondre à un désir grandissant de consommation responsable.

Les chiffres des dernières études nationales (lire en encadré) révèlent que les Français veulent consommer plus responsable et manger plus sainement. Si aucune enquête n’a été menée sur le sujet en Aveyron, Didier Lascoumes, membre du bureau de l’association Consommation logement cadre de vie (CLCV), distingue toutefois deux profils.

 "Les jeunes achètent pas mal de produits transformés voire ultra-transformés tandis que les plus de 50 ans se tournent vers des produits bruts, de saison, qu’ils cuisinent. Cela revient moins cher de préparer soi-même que d’acheter tout prêt, mais la livraison à domicile a explosé pendant la crise Covid et beaucoup de gens ont conservé cette habitude. À Rodez, il se consomme désormais plus de pizzas livrées à domicile qu’emportées chez le pizzaïolo."

La crise sanitaire a en effet accéléré la digitalisation de l’offre. Pendant les périodes de confinement et de couvre-feux, les Français ont expérimenté de nouveaux services comme le click & collect, le drive ou encore la livraison à domicile. Des canaux qui continuent de se développer, mais selon une étude menée par SES-imagotag et l’institut OpinionWay en octobre 2021, si la part des achats sur le web atteint 50 % chez les moins de 25 ans, 26 % de la population alternent entre courses physiques et numériques, et 65 % des consommateurs font encore leurs courses uniquement en magasin, principalement dans les hypers ou supermarchés.

Marchés de plein vent

Qu’est devenu le traditionnel marché hebdomadaire de la place du village ? "Nous constatons une forte baisse de fréquentation, déplore Sylvie Lopès, présidente de l’Association des commerçants non sédentaires de l’Aveyron. Les gens regardent le prix avant tout et pensent faire des économies en allant en supermarché. Ils peuvent stationner facilement et gratuitement, juste devant le magasin, et faire tous leurs achats au même endroit. Nous, on déballe aux quatre vents et en hiver, entre le chauffage, le droit de place et l’augmentation du carburant, certains exposants ne font plus le déplacement."

Vente directe

Au Gaec La Ferme d’Agen, à Agen-d’Aveyron, qui existe depuis 30 ans, les quatre associés, qui louent 6 hectares de terre pour la culture maraîchère et l’élevage de poules pondeuses, continuent d’aller sur les marchés de Rodez les mercredis et samedis, mais reconnaissent qu’ils privilégient désormais la vente directe à la ferme. "Avant, nous faisions 70 % de notre chiffre d’affaires sur les marchés et 30 % à la ferme, maintenant c’est l’inverse, déclare Bastien Puech, associé du Gaec depuis cinq ans.

Nous avons développé trois formules : la cueillette, la vente en boutique et le distributeur automatique, ce qui nous permet d’élargir la gamme en proposant d’autres produits que les nôtres, de répondre aux besoins de différents profils clients et d’être plus rentables logistiquement puisqu’on s’épargne le trajet, la manutention de la marchandise et les six heures passées sur le stand."

La cueillette séduit les parents qui viennent passer un moment à la fois ludique et pédagogique avec leurs enfants, mais également les consommateurs qui font du stock de tomates, de haricots verts ou d’autres courgettes pour l’hiver car les produits sont deux fois moins chers. La boutique permet un temps d’échange avec les producteurs tandis que le distributeur fonctionne plutôt comme un service de dépannage afin d’acheter sa salade à 19 h 30 pour le dîner ou des œufs pour faire un gâteau le dimanche.

Magasins de producteurs

D’autres producteurs ont fait le choix de s’associer pour ouvrir des magasins. C’est le cas du Panier paysan, à Nuces, de Pays’en direct, à Rodez, de Terre Ségala, à Naucelle, d’Au marché paysan, à Millau, ou encore de Saveurs paysannes, à Villefranche-de-Rouergue. Créé en 2012, ce magasin de producteurs a déménagé il y a un an et demi pour s’offrir plus de visibilité et tripler sa surface de vente. "Depuis, nous avons vu notre chiffre d’affaires progresser pour atteindre 1 million d’euros en 2022, confie un des 25 producteurs qui se relayent pour assurer la permanence au magasin. L’équipe est complétée par un salarié chargé notamment de mettre en rayon les produits d’une vingtaine de dépôt-vendeurs et par quatre salariés qui travaillent à la fois au rayon boucherie et à l’atelier de découpe situé à l’arrière du magasin."

Associations paysannes

L’association Paysans bio d’Aveyron (photo), créée il y a une dizaine d’années, réunit 12 producteurs de l’Aubrac au Larzac en passant par le Ségala et le Lévézou, qui font de la viande bio de bœuf, de veau, de porc, d’agneau et de poulet, mais également des lentilles. "Issus de structures familiales de taille moyenne, nous pratiquions tous la vente directe sur nos fermes et nous souhaitions nous ouvrir sur l’extérieur", explique Olivier Rames, président de l’association.

Le proverbe "Tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin" a trouvé tout son sens puisqu’en se regroupant, les Paysans bio d’Aveyron ont pu répondre à des appels d’offres et fournissent aujourd’hui les cantines des collèges publics de l’Aveyron et des lycées publics d’Occitanie, les cuisines centrales de Rodez et de Millau, des Ehpad, des épiceries indépendantes et des magasins Biocoop. "Nous sommes réticents à travailler avec la grande distribution car nous avons le sentiment d’être considérés comme un apporteur d’image. On n’a pas senti une grande motivation pour travailler avec nous au prix juste", regrette le président de l’association qui a réalisé un chiffre d’affaires de 270 000 euros l’an dernier, en hausse de 30 % par rapport à 2021.

Distributeurs automatiques

Autre canal de distribution, les libre-service ouverts 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, comme Boxaqui, qui a ouvert ses portes fin 2021 à La Primaube. Dans un local de 25m2, 106 casiers mettent en avant des lots de produits locaux et bios (légumes, fruits, viandes, fromages, yaourts, etc.). "Le client renseigne les numéros des casiers qui l’intéressent sur l’écran tactile, paye par carte bancaire et récupère sa marchandise", explique Julie Guillemin, associée et salariée de l’entreprise qui commercialise les produits de ses trois associés et d’une douzaine d’autres producteurs aveyronnais.

Après un peu plus de deux ans d’existence, Boxaqui a fait sa place et réalise autour de 16 000 € de chiffre d’affaires par mois avec un panier moyen d’environ 20 € par client. Des clients qui viennent du village ou habitent les communes alentour et profitent de leur passage sur l’avenue principale pour faire leurs emplettes. Au Petit bonheur paysan, à Moyrazès, Les Saveurs authentiques de l’Aveyron, à Sauveterre-de-Rouergue, La Grange de Bel-Air, à Lanuéjouls ou Mimi dans les orties, à Saint-Laurent-d’Olt, y proposent leurs produits sur le site internet "cagette.net" qui fonctionne plutôt comme un drive fermier : le client passe commande en ligne et récupère sa cagette directement chez le producteur.

Amaps

Le concept des Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap), dont la première a été créée en avril 2001, à Aubagne, dans les Bouches-du-Rhône, est à la croisée de plusieurs expériences – les Teikei ou "engagement de collaboration" au Japon, dans les années 1970, et les CSA (Communauty support agriculture) aux États-Unis et au Canada dans les années 1980, les Jardins de Cocagne depuis le début des années 1990, en France, – et diverses influences – les mouvements d’éducation populaire, l’agriculture paysanne et biologique, les associations de développement rural ou encore les consommateurs militant contre la malbouffe.

"En payant à l’avance ses paniers, l’adhérent permet au producteur d’avoir une source de revenus stable et fiable, explique Anne Douteau, trésorière de l’Amap du Ruthénois. Appelé Amapien, il est solidaire des problématiques que peut rencontrer le producteur, mais il profite aussi des embellies !"

L’Aveyron compte pas moins de 18 Amaps réparties sur son territoire. L’Amap du Ruthénois propose les produits de 10 producteurs (pain, légumes, viandes de bœuf et d’agneau, volaille, fromages de brebis et de chèvre, yaourts de vache, de brebis et de chèvre, agrumes) sous forme de contrats saisonniers et approvisionne 120 mangeurs, de tous âges et de toutes catégories socio-professionnelles, sur trois lieux de distribution (Rodez, Sainte-Radegonde et Calmont).

"Après un engouement certain de 2017 à 2020, le nombre d’Amapiens se stabilise avec des personnes réellement concernées par le soutien aux agriculteurs locaux, soucieuses de consommer des produits de saison, bio et au juste prix", analyse Anne Douteau. Le tarif dépend de la taille du panier, mais il faut compter 12 € par semaine pour un panier de légumes pour deux personnes. "Il y a maintenant beaucoup de sources pour acheter local et bio. Le principe de l’Amap en est un, avec ce côté créateur de lien entre l’agriculteur et le mangeur. C’est un système très transparent. Nous rencontrons les producteurs toutes les semaines, ce qui permet de poser des questions."

Circuits courts

Plusieurs organisations ont un fonctionnement similaire dans le département. On ne présente plus les "Locomotivés" qui, en 2012, sur le Lévézou, ont été les pionniers du circuit court en proposant des produits locaux, bios, à prix équitables. Aujourd’hui, ils travaillent avec pas moins de 35 producteurs et ont un réseau de plus de 2 000 membres à qui ils livrent des paniers dans 39 points relais et drive d’entreprises.

La Ruche qui dit oui, à Montbazens, soufflera ses huit bougies au mois de mars. "Au départ, nous étions à Lugan, puis on s’est déplacé à la salle des fêtes de Roussennac avant de nous installer à Montbazens, raconte la responsable Marie-France Costes. Le client fait ses courses en ligne et récupère sa commande le vendredi, entre 17h30 et 18h30. Nous avons de nombreuses références : il y a les produits permanents et locaux de Goutrens, de Vaureilhes, de Galgan, de Rignac, de Maleville, de Firmi, et des offres ponctuelles comme le fromage du Jura, les viandes et charcuteries basques, le sel de Guérande ou encore le poisson de Cherbourg."

La ruche de Montbazens travaille avec une quarantaine de producteurs qui fixent eux-mêmes leurs tarifs, sachant qu’ils touchent 80 % HT du montant des ventes. "Nous comptons plus de 300 clients dont le panier moyen oscille entre 20 et 40 € par semaine. Ils apprécient le large choix de produits locaux, de saison, cultivés en agriculture biologique ou raisonnée, mais aussi les liens qui se créent avec les producteurs au fil du temps."

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il est aussi possible de sortir des sentiers battus en matière d’alimentation. Les initiatives sont nombreuses, les philosophies différentes et les canaux de distribution variés, ce qui offre plein d’alternatives aux consommateurs qui veulent devenir consomm’acteurs.

Alimentation saine et budget maîtrisé égalent mission impossible ?

Selon le baromètre Shopper 2021 commandé par in-Store Media à Ipsos, les Français restent attachés au rituel des courses alimentaires : 84 % les font au moins une fois par semaine. Pour 92 % des consommateurs, c’est en hyper ou supermarchés, 33 % dans des commerces de bouche, 27 % en proxy, 19 % en drive et 7 % en livraison à domicile. L’étude révèle que les Français recherchent d’abord des produits alimentaires sains et équilibrés (76 %), made in France, locaux ou de saison (70 %) et issus de l’agriculture biologique (55 %).

Il semble que la crise sanitaire a renforcé ces aspirations. Les consommateurs déclarent favoriser la production française (59 %), acheter plus de produits frais et non transformés (53 %), plus de produits locaux (52 %) et privilégier le fait-maison (51 %). Mais l’équation "fin du monde contre fin du mois" est encore difficile à résoudre : au moins un tiers des Français trouve difficile de contrôler ses dépenses tout en consommant des produits sains et équilibrés (36 %), issus de l’agriculture biologique (43 %) ou made in France (44 %), et seuls 4 Français sur 10 se disent prêts à payer plus cher pour des produits respectueux de l’environnement ou pour des marques engagées et responsables.

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