Ukraine : "J'appelle la Chine à travailler avec nous pour mettre fin à la guerre", annonce Sébastien Lecornu

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  • Sébastien Lecornu, ministre des Armées.
    Sébastien Lecornu, ministre des Armées. Photo - MAXPPP
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Propos recueillis par Manuel Cudel

Alors que la guerre en Ukraine entre dans sa deuxième année, Sébastien Lecornu, le ministre des Armées, a accordé un entretien exclusif à Midi Libre.

La guerre en Ukraine entre dans sa deuxième année. La France accentuera-t-elle son soutien à Kiev ?

Oui, nous allons continuer de permettre à l’Ukraine d’exercer sa légitime défense sur son territoire face à l’agression russe. Nous avons aidé notamment sur l’artillerie, avec les canons TRF1 et les Caesar, et leurs obus et pièces détachées.

Mais aussi sur la défense sol-air, indispensable à la fois pour protéger les manœuvres sur le champ de bataille mais aussi les populations et les infrastructures civiles des bombardements russes.

Les chars AMX-10 RC - la France a été le premier pays à annoncer la livraison de chars à l’Ukraine - seront, eux, livrés d’ici à la fin de la semaine.

Envisagez-vous aussi la livraison de chars Leclerc ?

C’est une option que nous avons étudiée, mais il faut le reconnaître avec humilité et lucidité, le char Leclerc n’a pas connu un grand succès à l’export.

Là où la livraison de chars Leopard 2 de plusieurs pays peut permettre de faire masse, l’envoi de Leclerc n’aurait aucun effet de levier.

Par ailleurs, du fait de leur haut niveau technologique, ils nécessitent une maintenance particulièrement délicate.

Les Ukrainiens ont convenu avec les alliés que le Leopard 2 était la réponse la plus adaptée. Êtes-vous prêt à livrer les avions demandés par Kiev ?

Il n’y a pas de tabou, nous continuons d’échanger avec les Ukrainiens à ce sujet. Mais livrer des avions prend du temps. Ce serait bien au-delà du printemps alors que les Ukrainiens ont besoin à court terme de faire face à des contre-offensives russes. Le sujet n’est pas tant politique, il est logistique, matériel et technique.

Avez-vous fixé des limites dans les livraisons d’armes ?

Oui, il y a trois lignes rouges. D’abord il ne faut pas abîmer notre propre défense : jamais nous n’avons pris de décision qui a amoindri les capacités françaises.

Ensuite, il faut rester dans une logique défensive. Enfin, il faut que cela soit efficace sur le terrain pour les Ukrainiens.

Nous réfléchissons aussi à la façon d’aider l’Ukraine pour se défendre dans la durée. Si la guerre cesse demain, il faut qu’elle puisse tenir une posture défensive et dissuasive pour se protéger des menaces régionales.

Le chef de la CIA pointe une "dangereuse" escalade dans la coopération militaire entre Téhéran et Moscou, est-ce que cela vous inquiète ?

Oui, c’est une source d’inquiétude car Téhéran avance dans la voie de la prolifération nucléaire. Par ailleurs, les Russes utilisent beaucoup de matériel venu de l’Iran, notamment les drones Shahed. C’est un enjeu de sécurité collective pour l’ensemble de la communauté internationale.

C’est pourquoi nous devons avoir une réflexion à 360° sur les menaces qui peuvent peser sur l’Europe et notre pays.

Craignez-vous des livraisons d’armes de Pékin à Moscou ?

Livrer des armes à un pays agresseur n'a évidemment rien à voir avec livrer des armes à un pays qui exerce son droit à la légitime défense. Les Américains ont mis en garde Pékin à ce sujet et nous appelons également la Chine à ne livrer aucune arme à la Russie. J'appelle les autorités chinoises à travailler avec nous pour faire respecter le droit international et mettre fin à ce conflit. C'est avec cet objectif que le Président de la République se rendra d’ailleurs en Chine en avril.

Comment accueillez-vous le plan de paix de la Chine ?

Que la Chine veuille contribuer à la résolution de ce conflit ne peut qu’être une bonne nouvelle. Cela doit naturellement se faire sur la base du dialogue avec les Ukrainiens.

La menace nucléaire est-elle plus prégnante désormais ?

Cette guerre se fait sous la menace nucléaire russe. Il n’y a pas de doute. Cela démontre que notre dissuasion nucléaire - décidée par les Gaullistes dans les années 60 - est utile, et nous protège. Il faut le redire au moment où la NUPES-France Insoumise veut la remettre en cause.

La France continuera-t-elle, parallèlement, à dialoguer avec la Russie ?

La France, en raison de son statut de puissance dotée de l’arme nucléaire, se doit de garder cette ligne ouverte et de parler, autant que de besoin et quand cela est utile, à la Russie. Mais cela ne rime en rien avec de la naïveté.

Quelles leçons la France tire-t-elle, d'ores et déjà, de cette guerre ?

Nous devons continuer à renforcer nos capacités de renseignement, pour anticiper et analyser ce qui se passe sur un champ de bataille, mais aussi avant une éventuelle guerre.

Nous avons déjà fait un bond en avant depuis une vingtaine d’années : nous ne sommes pas dépendants des autres pays, par exemple, pour voir ce qui se passe sur le théâtre ukrainien. Ce n’était pas le cas lors de la première guerre du Golfe.

On doit aussi observer avec attention tous les détournements d’objets civils à des fins militaires - comme les attaques de pipelines, ou informatiques, l’utilisation de groupes paramilitaires comme Wagner… pour adapter nos armées avec ces menaces hybrides, qui se systématisent. C’est aussi le nouvel enseignement de cette guerre.

Quelle forme prendra la loi de programmation militaire (LPM) qui rehausse d’un tiers le budget des armées ?

Il y a déjà une rupture en termes de moyens. 413 Md€ sur la période 2024-2030, c’est une somme colossale, mais qui se justifie car beaucoup de sauts technologiques sont à faire pour nos Armées sur l’intelligence artificielle, le cyber, ou encore sur la capacité à sécuriser les fonds sous-marins…

Plus de 5 Mds€ seront investis sur les drones, un effort significatif similaire sera également fait sur le spatial et sur la défense sol-air. Heureusement, Emmanuel Macron n’a pas attendu la guerre en Ukraine pour rompre dès 2017 avec plus de vingt ans de diminution du budget des armées.

Après un premier quinquennat consacré à la réparation de nos Armées, nous engageons désormais une logique de transformation, à bien des égards similaires aux choix des Gaullistes dans les années 60 avec, entre autres, l’investissement dans l’atome. C’est un nouveau moment de vérité pour notre pays.

Pourtant, en 2017, le chef d’état-major des armées, Pierre de Villiers, avait démissionné, pointant les économies imposées par le chef de l’État. Il a eu ensuite une prise de conscience ?

Non, l’augmentation du budget des armées était déjà écrite noir sur blanc dans le programme électoral d’Emmanuel Macron pendant la campagne de 2017. On peut évidemment critiquer l’action du chef de l’État, mais sur l’augmentation des moyens militaires, c’est lui qui rompt avec le passé.

Qu’attendez-vous par ailleurs de l’exercice Orion déclenché dans le sud de la France ?

Cet entraînement est historique, d’une ampleur sans précédent depuis trente ans. Il vise à mettre en condition nos soldats dans le cadre d’un engagement militaire majeur et à tester notamment notre capacité à agir en interarmées ou à conduire une coalition d’alliés.

L’exercice Orion a aussi des vertus dissuasives, le monde entier l’observe, car il montre également nos capacités militaires.

L’armée française pourrait-elle faire face à une guerre de haute intensité telle que celle qu’affronte l’Ukraine ?

Une puissance nucléaire, membre et située à l’ouest de l’Otan, comme la France, ne peut pas être comparée à l’Ukraine. Tous ceux qui le font dans le débat politique national trompent nos concitoyens.

La question est que savons-nous faire seul pour défendre nos intérêts - ou en coalition - pour aller défendre un allié de l’Otan ? Nous nous fixons des objectifs en termes de réactivité comme d’endurance. La LPM nous permettra d’avoir de nouveaux standards.

La guerre a montré aussi la nécessité de relocaliser certaines industries de l’armement. Ce sera le cas ?

Je souhaite, en effet, une sécurisation de nos approvisionnements sur certaines filières stratégiques. C’est une condition pour garantir notre souveraineté et notre autonomie stratégique.

Nous avons commencé à relocaliser une partie de la production de poudre pour les obus, nous allons aussi le faire à moyen terme sur les munitions conventionnelles et les missiles.

Après le Mali, l’armée française vient de quitter le Burkina Faso. Restera-t-elle au Tchad, au Niger et dans les autres pays d’Afrique où elle est présente ?

Nous sommes dans un moment de discussion globale avec nos partenaires. Les armées de certains pays africains montent en puissance, c’est une bonne nouvelle, et là où nous avons des installations militaires, par exemple au Gabon, au Sénégal, en Côte d’Ivoire, nous devons discuter avec leurs dirigeants pour dimensionner efficacement nos moyens.

Ils nous demandent de mieux coller à leur demande, c’est le travail exigeant mais indispensable que je suis en train de faire avec eux. Mais nous n’avons aucun plan de fermeture en Afrique.

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