Thierry Marx : "Je crois en la croissance à impact social et environnemental d'un restaurant"

  • Le chef Thierry Marx est président de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie. Le chef Thierry Marx est président de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie.
    Le chef Thierry Marx est président de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie. Crédits Mathilde de l'Ecotais
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ETX Daily Up

(ETX Daily Up) - En distribuant de nouvelles étoiles, le guide Michelin célébrera le 6 mars la créativité autant que l'enthousiasme d'un secteur professionnel qui travaille au maintien de la gastronomie comme un pan symbolique de la culture française. Si passionnante soit-elle, cette émulation culinaire ne doit pas faire oublier une problématique que toute la profession connaît et doit résoudre : le manque de main d'oeuvre. 250.000 postes restent toujours vacants tandis que 300.000 saisonniers manquent encore à l'appel. Un défi qui ne date pas d'hier, que la crise sanitaire a complexifié en ajoutant un volet social. Entretien avec le chef Thierry Marx, président de l'UMIH, qui vient d'ouvrir le restaurant ONOR, à Paris, une table qui se veut engagée et solidaire.

Le défi majeur que doit relever la restauration française concerne le manque cruel de main d'oeuvre. Depuis quand les professionnels font-ils face à cette problématique ?

Thierry Marx : en 2000, une étude réalisée par un cabinet international pour Relais & Châteaux balayait l'idée que l'apparition des 35 heures, dont la formule a été adaptée à 39 heures dans la restauration, était une explication au manque de main d'oeuvre qui existait déjà. Cette analyse prédisait que les écoles de formation ne fourniraient plus la ressource nécessaire pour faire tourner les établissements durablement. Cette prédiction s'est réalisée : aujourd'hui, 60% des élèves d'un CFA ou d'un lycée professionnel n'exerceront pas nécessairement ce pour quoi ils ont été formés.

Quelles sont les raisons qui empêchent les potentiels candidats de venir travailler dans la restauration ?

Il faut vraiment s'interroger sur ce qui manque au personnel pour parvenir à s'émanciper professionnellement. D'abord, il n'y parvient pas pour une question de rémunération. La grille salariale a été augmentée pour séduire les candidats. Mais il y a d'autres problématiques à résoudre pour trouver une solution, comme celles du logement et de la mobilité. Quand vous habitez le Médoc et que vous souhaitez travailler à Bordeaux mais que vous ne disposez pas du permis de conduire, vous n'envisagez pas un tel projet professionnel. Le coût du logement autant que celui du transport sera trop lourd à intégrer dans le budget.

Les conditions de travail des salariés de la restauration, physiquement difficiles et qui ne permettent pas toujours de concilier vie de famille et carrière, ont largement été décrites par les salariés au moment de la crise sanitaire. N'expliquent-elles pas désormais en premier lieu cette problématique de main d'oeuvre ?

Le personnel ne souhaite plus avoir un rapport sacrificiel au travail. Lorsque vous proposez à un candidat un contrat à durée indéterminée, il vous répond préférer signer d'abord un contrat à durée déterminée. Il a le choix et n'attend pas cet emploi en particulier. Dans la restauration, vous avez la possibilité de traverser la rue et décrocher un job dans l'heure dans le bistrot d'en face. La relation au travail a changé. Le personnel ne souhaite pas nécessairement gagner davantage d'argent, mais préfère une compensation sur sa vie sociale. Il souhaite par exemple avoir l'opportunité d'accompagner les enfants à l'école au moins une fois par semaine ou jouir de deux jours de repos consécutifs. Il aimerait retrouver cette vie sociale qu'il a connue pendant la crise sanitaire.

Le recrutement est particulièrement difficile pour les postes de commis. Dans votre restaurant ONOR, vous vous appuyez sur les talents que vous formez à Cuisine Mode d'emploi(s). N'est-ce pas une première solution à la problématique ?

Les écoles ne nous fourniront plus de commis. L'élève qui suit une formation de cuisine, comme chez Ferrandi, détient un compte Instagram et n'est pas du tout intéressé pour être commis chez moi. Son but, c'est d'être célèbre. Et il a raison, on ne peut pas lui jeter la pierre. Par le passé, on était ravi de trouver n'importe quel poste dans un restaurant trois étoiles. Aujourd'hui, un jeune préfère devenir chef tout de suite et apprendre en s'inspirant au fur et à mesure, en s'appuyant notamment sur la masse de contenus publiés sur les réseaux. Il y a un grand nombre de Mozart de la cuisine qui sont révélés. Mais, quelques années plus tard, on se demande où sont passés certains. Il faut donc proposer aux candidats recrutés une montée en puissance. Il faut qu'un commis devienne demi-chef de partie ou chef de partie en l'espace de six mois, sinon il s'en ira. L'objectif du restaurant ONOR, c'est de croire à une autre économie, non plus à une économie de performance, mais une économie de croissance en conscience. Je crois en la croissance à impact social avec une valeur partagée et un impact environnemental. Au sein de l'équipe, parmi les 10% du personnel en inclusion, certains salariés peuvent venir de mes écoles. Par ailleurs, mes seconds sont actionnaires de l'entreprise.

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