"Mon changement d'orientation a été une force, j'ai eu la niaque pour réussir !" (Aurélie Collomb-Clerc, prix Michelin Passion Dessert)

  • Aurélie Collomb-Clerc a été élue pâtissière de l'année en 2021 par le magazine Le Chef Aurélie Collomb-Clerc a été élue pâtissière de l'année en 2021 par le magazine Le Chef
    Aurélie Collomb-Clerc a été élue pâtissière de l'année en 2021 par le magazine Le Chef Courtesy of AnneEmmanuellThion
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ETX Daily Up

(ETX Daily Up) - En publiant de nouvelles étoiles, le guide Michelin n'honore pas seulement des cuisiniers, mais des pâtissiers aussi, à travers le prix "Passion Dessert". Au sein de cette promotion, une seule femme est félicitée par Bibendum, et pas n'importe laquelle. Non seulement Aurélie Collomb-Clerc est la cheffe pâtissière du restaurant triplement étoilé Flocons de sel à Megève, mais elle est aussi un exemple de réussite en matière de changement d'orientation. Entretien avec une femme passionnée qui a fait de sa reconversion une force.

Vous voilà lauréate du prix réservé à la pâtisserie par le guide Michelin. Vous ne vous destiniez pourtant pas professionnellement au monde de la gastronomie...

J'ai d'abord mené un cursus en institut d'études politiques, mais à 20 ans j'ai décidé de réaliser un changement d'orientation totale pour devenir pâtissière. Pour démarrer ce métier, il me fallait obtenir de bonnes bases avec les connaissances nécessaires. J'ai essayé d'engranger un maximum de bagages, en opérant six ans d'apprentissage.

Lorsque l'on commence un parcours professionnel en suivant un cursus intellectuel pour ensuite se diriger vers une filière de l'artisanat, est-ce que le doute peut être un frein ?

Je me suis bien sûr interrogée au départ, mais je n'ai pas eu d'hésitation quant à ce changement de cursus. J'ai eu la chance d'avoir des parents qui m'ont toujours encouragé dans ce que je voulais entreprendre. Avoir un métier qui nous épanouit, c'est ce qu'il y a de plus important. C'est le message que je porte auprès des élèves d'écoles hôtelières. Je leur explique que je n'ai jamais pris cette réorientation comme un échec. On a le droit de changer d'avis. En fait, c'est en essayant quelque chose, que l'on sait vraiment ce qu'on veut faire.

Quel était votre objectif en réalisant ce changement d'orientation ?

Je n'avais pas encore l'idée de travailler en tant que pâtissière dans un restaurant. J'avais conscience qu'il fallait d'abord que je puise toutes les connaissances en travaillant en boutique. C'est ce que j'ai fait en exerçant chez Bruno Bétemps au Grand-Bornand durant quatre ans. Lorsque j'ai effectué mon premier service au restaurant, j'ai su que mon projet professionnel se dirigerait dans cette voie. J'ai réalisé une année d'apprentissage aux côtés de Cédric Perret, au domaine des Avenières, à Cruseilles. Le chef m'a proposé de remplacer le sous-chef à l'issue de cette formation.

Comment a démarré votre expérience professionnelle au restaurant du chef Emmanuel Renaut ?

Lorsque le restaurant gastronomique au domaine des Avenières a fermé ses portes, j'ai postulé au Flocons de Sel, à Megève, sans imaginer que je puisse être retenue. Je connaissais l'ambiance d'une table gastronomique, mais je n'avais pas encore l'expérience d'une adresse étoilée. J'étais prête à accepter n'importe quel poste chez Emmanuel Renaut. Je fus lauréate du concours des arts gourmands, et je pense que cela a joué en ma faveur pour être retenue en tant que cheffe de partie. Neuf mois après mon arrivée, le chef pâtissier est parti. Le chef Renaut m'a proposé le challenge de prendre la suite. Le défi m'a littéralement animé. Je voulais que le chef soit fier de moi. J'ai tout donné pendant un an. Il a fallu que je fasse mes preuves et que je prenne ma place. Mais le chef avait confiance en moi, cela facilite les choses !

Votre ascension est fulgurante. Ne trouve-t-elle pas son explication dans votre changement d'orientation dans la mesure où il vous a engagé à mener une vraie réflexion sur le métier et le quotidien qu'il imposera ?

En effet, quand on prend une telle décision, c'est qu'on est vraiment sûr de ce qu'on veut ! On demande à des jeunes de 15 ans de savoir ce qu'ils veulent faire de leur vie. C'est vraiment dur ! Mon changement d'orientation a été une force. J'ai eu la niaque de réussir dès le départ et je me suis investie à fond.

Quand on est une femme, est-ce que l'on se pose davantage de questions quand on souhaite se réorienter, d'autant plus dans un milieu qui se féminise difficilement ?

Je ne pense pas faire partie de ces femmes qui se posent des questions. Je suis quelqu'un qui fonce. Mais, je peux comprendre que certaines s'en posent afin de savoir si leur métier est compatible avec leur vie de famille. En ce qui me concerne, j'ai décidé de me consacrer à ma carrière. Je suis âgée de 33 ans. J'ai décidé de mettre ma vie personnelle de côté. On entend souvent ces chefs remercier leurs femmes lorsqu'ils obtiennent une, deux ou trois étoiles parce qu'elles ont sacrifié leur carrière pour eux. Pour ma part, j'aimerais qu'un homme en fasse autant. Pourquoi pas ! J'ai conscience aussi de travailler dans une maison où le chef Renaut a toujours laissé une place aux femmes. Cela aide à avoir confiance et à se dire qu'on a notre place. Le travail a été adapté par exemple pour notre seconde en cuisine, qui a des horaires aménagés afin qu'elle associe sa vie de famille.

Pour que le métier se féminise davantage, les solutions ne se recoupent-elles pas avec celles que l'on avance désormais pour séduire de nouveaux candidats, comme deux jours de repos consécutifs ou un seul coup de feu par jour ?

Dès qu'une femme souhaite fonder une famille, elle devra faire des concessions. Si un chef a envie de garder une collaboratrice, la concession ne devrait-elle pas plutôt venir de lui ? C'est une solution que l'on ne souligne jamais, même si le terme "concession" n'est pas juste. Ce n'est pas une concession quand un patron est content du travail d'un salarié.

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