Aveyron : le dernier buronnier de l'Aubrac, Jean Fournier, s'en est allé

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  • Jean Fournier donne du sel à la vache comme il s’est nourri du sel de la vie, en toute simplicité, cellede buronnier sur l’Aubrac.
    Jean Fournier donne du sel à la vache comme il s’est nourri du sel de la vie, en toute simplicité, cellede buronnier sur l’Aubrac. Reproduction Centre Presse Aveyron
  • Jean Fournier a œuvré sur la montagne jusqu'à la fermeture du dernier buron en 2002. Jean Fournier a œuvré sur la montagne jusqu'à la fermeture du dernier buron en 2002.
    Jean Fournier a œuvré sur la montagne jusqu'à la fermeture du dernier buron en 2002. Reproduction Centre Presse Aveyron
  • Jean Fournier, domicilié à Saint-Chély-d'Aubrac, fier de présenter le couteau laguiole fabriqué par son neveu Jérôme Lamic, meilleur ouvrier de France.
    Jean Fournier, domicilié à Saint-Chély-d'Aubrac, fier de présenter le couteau laguiole fabriqué par son neveu Jérôme Lamic, meilleur ouvrier de France. Reproduction Centre Presse Aveyron
  • Michel et Léon Verlaguet, bédélier et pastre du Théron, Jean-Paul Pourade biographe des buronniers, Jean Mas, ancien cantalès du Théron et Jean Fournier, dernier cantalès du Théron.
    Michel et Léon Verlaguet, bédélier et pastre du Théron, Jean-Paul Pourade biographe des buronniers, Jean Mas, ancien cantalès du Théron et Jean Fournier, dernier cantalès du Théron. Reproduction Centre Presse Aveyron
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Olivier Courtil

Jean Fournier a quitté le plateau de l’Aubrac, ses hommes et ses montagnes vêtues de burons, à 83 ans.

Comme ils se retrouvent facilement les hommes de la montagne lorsque l’un des leurs vient à manquer. Et ils étaient nombreux, sous la voûte de l’église Saint-Éloi de Saint-Chély-d’Aubrac, embarrassés de leur tristesse, les yeux errants sur le sol et peinés de ne rien pouvoir devant cet immense chagrin de la famille de Jean Fournier, dernier cantalès de l’Aubrac, enlevé à l’affection des siens et de ses amis "montagnes", alors qu’il venait d’entrer dans sa 83e année. Car, une étoile s’est allumée dans le ciel glacial de l’Aubrac et, comme la bougie des soirées funèbres, sa flamme vacillante veille depuis sur le corps sans vie du dernier cantalès de l’Aubrac millénaire.

Au-delà des cultures, des âges et des croyances, l’expérience de la mort imminente a fait espérer, qu’avant que ne vienne pour lui la nuit de l’éternité, l’ami Jean ait pu voir se dérouler devant lui, comme un film prodigieusement accéléré, les années d’une enfance heureuse, vécue depuis ce 5 décembre 1940 qui l’avait vu naître à Luc, sur les contreforts de l’Aubrac, au cœur d’une famille de paysans qu’égayaient une fratrie de cinq frères et trois sœurs.

Avec ses frères Paul, Pierre, Fernand et Roger, Jean fut de ces buronniers, qui après les années d’école communale et le certificat d’études en poche, ont pendant près d’un demi-siècle transmis les traditions ancestrales de la fabrication de la tomme d’Aubrac au cœur des estives, chaque année, du 25 mai au 13 octobre.

Début en 1955 à Alte Teste

C’est en 1955, alors que son frère Pierre venait de louer la montagne d’Alte Teste, que Jean a entamé comme "roul", sa vocation de buronnier qui ne devait s’achever que le 13 octobre 2002, alors que les exigences de l’Europe, en matière de mises aux normes, sonnaient la fermeture des deux seuls burons encore en activité ayant survécu à la désertification des villages du plateau d’Aubrac : Camejane en Aveyron et le Théron en Lozère.

En 1961, alors qu’il était au printemps de sa vie, Jean allait connaître l’aventure d’une guerre qui ne disait pas son nom et dont il ignorait tout mais qui s’imposa à toute une génération en Algérie.

L’an 1963 fut pour Jean celui du retour aux sources, au buron de Chantecoin, près de signal de Mailhebiau, point culminant de l’Aubrac à 1 469 mètres d’altitude, où l’attendait, pour les deux traites quotidiennes, un troupeau de 105 vaches. Et ce fut, pour le nouveau Cantalès de Cantecouillou, malgré un labeur éreintant, entre intempéries et journées du point du jour au crépuscule, des années de passion pour le terroir et d’expression du savoir-faire ancestral des buronniers.

Et 1984 pointa pour Jean sa première année de Cantalès au buron du Théron, sur la montagne de Montorzier qu’avait acquis son frère Pierre, et le début d’une nouvelle aventure pour ce métier qu’il a, toute sa vie, exercé dans les règles de l’art et l’éternelle passion du terroir chevillée au corps.

Mais les 264 burons que comptait l’Aubrac à la fin de la Deuxième

Guerre mondiale ne furent bientôt plus que deux : Camejane sous la houlette de son Cantalès Baptiste Raynal et de ses buronniers : Léon Verlaguet, Michel Miquel et Denis Vidal et le Théron avec son Cantalés Jean Fournier et Michel Verlaguet que son père Léon avait finalement rejoint. La nostalgie des burons que le vent de l’Histoire emportait amenait souvent les anciens buronniers à apporter le coup de main salutaire à leur ami Jean mais aussi à lui rendre visite pour le dernier "au revoir une bonne fois pour toutes" d’André Gruner, de Louis Bancarel, de Jean Mas et de Michel Miquel.

L’univers de Jean s’était soudain assombri lorsque le destin l’avait brutalement privé de l’affection qu’il portait à son frère Pierre. Mais sa force de vie avait triomphé et il continuait son existence dans la mémoire de ses parents, de sa sœur Henriette et de son frère Pierre trop tôt disparu. Sans doute Jean pensait-il que la plus cruelle des peines était de ne trouver de réconfort en aucune chose de ce monde. Ni ses paroles ni son regard ne trahissaient son profond chagrin de voir la vie ainsi éparpiller les siens.

Buron fermé en 2002

Le 13 octobre 2002 devait sonner pour Jean l’heure de tourner définitivement la clé de ce buron du Théron auquel il avait consacré vingt années de sa vie de buronnier. Alors il organisa son temps de retraité en arpentant les prés de son neveu Pierre, de la ferme des Enfrux à Saint-Chély-d’Aubrac, veillant à une vie paisible des belles d’Aubrac en estives, à la pitance des chats fidèles gardiens de l’étable de Montorzier, et partageant sa passion pour la cueillette des champignons et du serpolet avec Ugo Diaz, jeune Cantalés du buron de la Treille, en Lozère, seul "masuc" dont la mise aux normes européennes a permis le renouveau de son activité à la fabrication de la tomme d’Aubrac. Jean aurait aimé avoir encore du temps, pour contempler, le soir venu, le coucher de soleil sur cette montagne de Montorzier et, à l’ombre du vieux buron moussu, entendre courir son enfance sur les pierres des drailles, le murmure de l’eau au cœur des boraldes et profiter de la beauté des choses éphémères.

Mais, le destin en a décidé autrement. Ce destin ne fera pourtant pas oublier le profond attachement de Jean aux hommes de la montagne et aux belles d’Aubrac à la robe froment qui l’ont accompagné tout au long de sa vie. Jean était un homme de cœur, fidèle en amitié, profondément attaché à cette terre d’Aubrac, qu’il n’aurait jamais dû quitter. Saint-Exupéry a écrit : "Quand nous prendrons conscience de notre rôle même le plus effacé, alors seulement nous serons heureux. Alors seulement, nous pourrons vivre en paix, car ce qui donne un sens à la vie donne un sens à la mort."

Dans sa modeste condition humaine, l’enfant de la Montagne est devenu un travailleur infatigable, un ami fidèle et un brave homme et il a par sa grandeur d’âme, donné un sens à sa mort.

Non, rien, pas même le chagrin de cette mort venue, ne fera oublier ce doux regard d’homme de la montagne, qui sous la visière de son éternel béret, masquait le sourire de l’amitié savoureuse.

L’ode au "masuc" et aux "montanhiers" que décline d’une voix nimbée d’émotion son frère Paul Fournier, dernier poète buronnier de l’Aubrac, rappelle que rien ne fera oublier que Jean est entré, dans la mémoire du temps. Et alors que, de la voix de Denis Vidal, s’élève dans le chœur de cette église, l’hommage "Ô biergo de los mountognos", et que la cabrette d’Isabelle Baldit égrène les musiques traditionnelles du terroir, l’espoir renaît au travers de cet adieu à l’ami Jean car c’est écrit : "Nous nous reverrons un jour ou l’autre. Si Dieu le veut."

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