Réforme des retraites : pourquoi le risque est "très grand de voir la loi censurée" par le Conseil constitutionnel

Abonnés
  • Le conseil constitutionnel dispose d'un mois pour trancher.
    Le conseil constitutionnel dispose d'un mois pour trancher. Illustration Centre Presse Aveyron
Publié le
Propos recueillis par Y. Povillon

Le constitutionnaliste Dominique Rousseau estime qu'il "existe au moins deux griefs d’inconstitutionnalité". Et que la "censure de la loi permettrait d’apaiser la colère, de calmer les esprits" après une motion de censure rejetée de très peu à l'Assemblée nationale lundi 20 mars.

En saisissant directement le Conseil constitutionnel, Élisabeth Borne a-t-elle a coupé l’herbe sous le pied de ses opposants ?

Non, je pense qu’elle a voulu montrer qu’elle ne craignait pas l’examen du Conseil constitutionnel. D’autres Premiers ministres l’ont fait. Elle dit avoir confiance en la constitutionnalité de cette réforme des retraites.

La réforme des retraites peut-elle être invalidée par le Conseil constitutionnel ?

Il y a un risque très grand de voir la loi censurée pour des raisons de procédures. Il existe au moins deux griefs d’inconstitutionnalité. Le premier est d’avoir utilisé l’article 47.3 fait pour les lois de finances et de financement de la Sécurité sociale de l’année en cours. C’est la raison pour laquelle les délais de débat sont restreints : 20 jours pour l’Assemblée nationale, 15 jours pour le Sénat. Il n’y avait aucune raison objective d’utiliser cet article. Je rappelle que les précédentes réformes du régime des retraites ont été faites par des lois ordinaires : Édouard Philippe en 2019, Marisol Touraine sous Hollande ou Eric Woerth sous Sarkozy…

Quel est le second grief ?

Celui du principe de “clarté et de sincérité du débat parlementaire”. Or l’Assemblée nationale n’a pas voté de texte et s’est arrêtée à l’article 2 alors qu’il y avait vingt articles. Des amendements ont été déclarés irrecevables. Au Sénat, ils ont utilisé l’article 38 qui limite le débat avec un orateur pour un orateur contre… Les Sages pourront juger que ce principe a été considérablement, gravement, manifestement malmené.

Ce serait une invalidation totale ou partielle de la réforme ?

Totale. Si le Conseil constitutionnel invalide la réforme, la loi ne pourrait pas être promulguée, il faudrait tout reprendre à zéro avec une autre procédure, reprendre la concertation avec les organisations syndicales…

Les Sages disposent de combien de temps pour statuer ?

Un mois sauf si la Première ministre demande l’urgence, alors ils auraient huit jours. Mais tout a été fait très vite, je pense qu’un mois est nécessaire pour délibérer et rendre sa décision. Mais finalement, le Conseil n’aura pas à se prononcer sur le fond de la loi. Il n’aura pas à dire si c’est constitutionnel de passer de 62 à 64 ans. Il pourra l’invalider sur la forme. Il dirait en fait : “Vous pouvez passer de 62 à 64 ans mais pas de cette manière-là”.

Dans ce cas, le gouvernement ne s’exposerait-il pas à un procès en amateurisme ?

Certes, mais ils ont été prévenus à plusieurs reprises que la voie n’était pas la bonne. Le gouvernement s’est entêté en pensant qu’au bout du compte, cela finirait par passer. Ils sont conscients que la voie utilisée était incertaine d’un point de vue constitutionnel…

Le Conseil constitutionnel peut-il être influencé par le fait que la censure aurait des conséquences sur les violences auxquelles on assiste ?

Oui, à la marge. Il est clair qu’une censure de la loi permettrait d’apaiser la colère, de calmer les esprits. Le Conseil constitutionnel peut y être sensible. Cela pourrait même servir tout le monde. L’opinion publique car la loi ne serait pas promulguée, le président de la République ne serait pas tenu responsable et pourrait dire que c’est le Conseil constitutionnel qui a décidé, qu’il est allé au bout de la réforme, prête à être promulguée… Tout le monde pourrait sortir par le haut. Bref, cela permettrait un apaisement général du pays.

Cet article est réservé aux abonnés
Accédez immédiatement à cet article
2 semaines offertes
Voir les commentaires
Sur le même sujet
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?