TEMOIGNAGES. "Etre maire, c’est prenant sept jours sur sept et ça use", regards croisés de l'ex-édile de Cransac et du premier magistrat d'Aubin
Ce mardi 11 avril, un nouveau maire a été élu à Cransac-les-Thermes. Il a succédé à Michel Raffi, qui a démissionné le 3 avril. Dans la commune voisine d’Aubin, Michel Baert, entré en politique en 2020, est devenu maire en juillet 2022. Tous les deux ont un regard passionné sur la fonction, mais pointent aussi du doigt ses difficultés.
Dans un entretien au Figaro, David Lisnard, le président de l’ Association des maires de France, s’est alarmé du nombre de démissions d’élus locaux. Le phénomène n’est pas nouveau. Mais, selon lui, il n’a jamais atteint un tel niveau.
Plus de 1 000 maires auraient jeté l'éponge depuis 2020
Plus de 1 000 maires auraient jeté l’éponge depuis 2020. Surcharge de travail, augmentation des violences, faibles indemnités, etc., de nombreuses causes expliquent ce phénomène. Selon l’Observatoire de la démocratie de proximité réalisée par l’Association des maires de France et le CEVIPOF/SciencesPo, 55 % des maires ne pensent pas solliciter un nouveau mandat en 2026.
"J’ai eu un souci cardiaque il y a 5-6 ans. Il a fallu qu’on me pose un stent. Arrivé au centre de rééducation à Beaumont-de-Lomagne, un médecin me demande ce que je faisais dans la vie. J’ai répondu : "Je suis maire". Sa réponse a été immédiate : "Ne m’en dites pas plus. On en a souvent !"
Michel Raffi a pris soin de s’asseoir sur la chaise d’un adjoint pour raconter cette anecdote, dans la salle vide du conseil municipal de Cransac-les-Thermes, jeudi dernier. À la gauche du septuagénaire visiblement reposé, le fauteuil de maire qu’il a occupé pendant quinze ans.
"Pour les gens, le maire, c'est le bon Dieu, ils veulent tout de suite"
Le matin, il s’est offert une balade en famille dans la campagne aveyronnaise, avec ses deux fils et leurs enfants arrivés de Lyon et Toulouse pour les vacances. Une première qui n’aurait pas été possible sans l’officialisation de sa démission du mandat de maire, le 3 avril 2023.
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Tandis que Michel Raffi savoure, Michel Baert en est à son quatrième rendez-vous de la journée dans la commune voisine. Maire d’Aubin depuis le 8 juillet 2022, l’ancien "premier-maître" de la Marine nationale n’était pas vraiment destiné à entrer en politique lorsqu’il a eu un coup de cœur pour le village en 2015. C’est Brigitte, la future adjointe aux écoles, qui lui a proposé de s’engager sur la liste de Laurent Alexandre, en 2020, quand elle a découvert "son penchant à gauche". Le décès prématuré de l’adjoint aux finances l’a propulsé dans la garde rapprochée du maire qui, devenu député Nupes, lui a finalement laissé sa place après concertation de l’équipe.
"Si on demande de l'argent, ce n'est pas pour jouer au flipper", s'agace Michel Baert
Neuf mois plus tard, Michel Baert a l’air comme un poisson dans l’eau à la mairie. Arrivé à 8 h 30 pour consulter les messages et les dossiers en cours, il commence par une mauvaise nouvelle. "Une demande de subvention rejetée. Soi-disant qu’on n’est pas éligible. On est dans une commune pauvre. Si on demande de l’argent, ce n’est pas pour jouer au flipper", s’agace le premier édile attendu par ses adjoints à la réunion de préparation des réunions de quartier du mois d’avril.
En chemin pour la salle bleue, il croise le président des Boules noires aubinoises venu faire une demande d’occupation de l’espace public pour la brocante vide-greniers du mercredi suivant. Les deux hommes discutent cinq minutes entre deux portes puis se saluent. "La protéine du maire, c’est le bonheur des gens", sourit Michel avant de pénétrer dans la salle bleue. Il reste dix minutes, le temps de rappeler dans quel esprit il voit les réunions de quartier, et il laisse ses adjoints travailler pour régler une question RH (ressources humaines) avec le directeur des services.
Dans la foulée, sa pause repas est écourtée par une restauratrice qui souhaite proposer des crêpes et des gaufres à la piscine cet été. Petit test produit et retour à la mairie où il doit encore éplucher le projet de budget avant de nous accorder une parenthèse dans sa journée bien remplie.
Des indemnités très faibles vu l'ampleur de la tâche
En tant que maire d'Aubin, commune de 3 777 habitants, Michel Baert est censé toucher une indemnité de 2100 euros par mois. Mais il a choisi de se limiter à 1 300 € par mois, "comme Ruffin", ce qui lui a permis de financer deux postes de délégués à temps partiel pour faciliter le travail des adjoints au maire.
Ces mêmes adjoints qui gagnent 865 € par mois pour leur tâche. La commune de Cransac-les-Thermes est plus petite, puisqu'elle compte 1 530 habitants (la DGF est calculée sur la base de 1950 habitants, en tenant compte des curistes puisque la seule station thermale de l'Aveyron attire tout de même 5 300 curistes par an). Si bien que l'indemnité des adjoints au maire tombe là à 500 € par mois. Quant au maire, comme à Aubin, il a pris moins que les 1 500 € par mois auxquels il avait droit, limitant ses indemnités à 1 180 € par mois.
Rendez-vous est pris avec Michel Raffi à la limite des deux communes. Une rencontre pleine de respect même si la ligne politique n’est pas tout à fait la même. Il faut dire que tous les deux connaissent l’ampleur de la tâche. "Le plus grand bonheur du maire, c’est de recevoir les gens. C’est presque toujours une bouffée d’oxygène. Ils viennent avec des problèmes et, quasiment toujours on peut trouver des réponses. Souvent, ils se sentent incompris. Déjà, le simple fait de les écouter, ça va mieux", sourit un Michel Baert ultra-motivé, avec l’enthousiasme du débutant.
"C’est vrai qu’aider nos concitoyens et faire progresser sa ville, c’est valorisant, souligne Michel Raffi. Mais entre les décisions et la rapidité d’exécution, c’est autre chose. Quand on est élu, une des premières qualités, c’est l’humilité. Les gens qui disent merci, c’est assez rare pour être relevé. Je trouve qu’il y a une impatience qui s’est accrue depuis le Covid. Les gens sont de plus en plus dans l’exigence du tout, tout de suite. Et puis c’est prenant. Tu es sollicité en semaine, le week-end, la nuit parfois, quand tu fais les courses et que tu entends : "Ah, puisque tu es là… Cette accumulation, au bout d’un moment, ça use."
Michel Baert en a conscience. Contrairement à son homologue qui n’a pas pris un jour de congé en 15 ans, il a décidé de partir une semaine avec son épouse fin juin. "Ce n’est pas de la saturation, mais il faut décompresser", sourit le maire d’Aubin. Des vacances plus faciles à prendre maintenant pour Michel Raffi, redevenu simple conseiller municipal. "Allez, je vous laisse. Je n’ai plus d’excuse pour la pelouse. Je vais devoir sortir la tondeuse."