TEMOIGNAGES. "Etre maire, c’est prenant sept jours sur sept et ça use", regards croisés de l'ex-édile de Cransac et du premier magistrat d'Aubin

  • Le maire de Cransac, Michel Raffi, 76 ans, vient de démissionner. Michel Baert, 64 ans, maire d’Aubin depuis 9 mois.
    Le maire de Cransac, Michel Raffi, 76 ans, vient de démissionner. Michel Baert, 64 ans, maire d’Aubin depuis 9 mois. La Dépêche du Midi - B. D.
Publié le , mis à jour
Béatrice Dillies

Ce mardi 11 avril, un nouveau maire a été élu à Cransac-les-Thermes. Il a succédé à Michel Raffi, qui a démissionné le 3 avril. Dans la commune voisine d’Aubin, Michel Baert, entré en politique en 2020, est devenu maire en juillet 2022. Tous les deux ont un regard passionné sur la fonction, mais pointent aussi du doigt ses difficultés. 

Dans un entretien au Figaro, David Lisnard, le président de l’ Association des maires de France, s’est alarmé du nombre de démissions d’élus locaux. Le phénomène n’est pas nouveau. Mais, selon lui, il n’a jamais atteint un tel niveau.

Plus de 1 000 maires auraient jeté l'éponge depuis 2020

Plus de 1 000 maires auraient jeté l’éponge depuis 2020. Surcharge de travail, augmentation des violences, faibles indemnités, etc., de nombreuses causes expliquent ce phénomène. Selon l’Observatoire de la démocratie de proximité réalisée par l’Association des maires de France et le CEVIPOF/SciencesPo, 55 % des maires ne pensent pas solliciter un nouveau mandat en 2026.

"J’ai eu un souci cardiaque il y a 5-6 ans. Il a fallu qu’on me pose un stent. Arrivé au centre de rééducation à Beaumont-de-Lomagne, un médecin me demande ce que je faisais dans la vie. J’ai répondu : "Je suis maire". Sa réponse a été immédiate : "Ne m’en dites pas plus. On en a souvent !" 

Michel Raffi a pris soin de s’asseoir sur la chaise d’un adjoint pour raconter cette anecdote, dans la salle vide du conseil municipal de Cransac-les-Thermes, jeudi dernier. À la gauche du septuagénaire visiblement reposé, le fauteuil de maire qu’il a occupé pendant quinze ans.

"Pour les gens, le maire, c'est le bon Dieu, ils veulent tout de suite"

Le matin, il s’est offert une balade en famille dans la campagne aveyronnaise, avec ses deux fils et leurs enfants arrivés de Lyon et Toulouse pour les vacances. Une première qui n’aurait pas été possible sans l’officialisation de sa démission du mandat de maire, le 3 avril 2023.

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Tandis que Michel Raffi savoure, Michel Baert en est à son quatrième rendez-vous de la journée dans la commune voisine. Maire d’Aubin depuis le 8 juillet 2022, l’ancien "premier-maître" de la Marine nationale n’était pas vraiment destiné à entrer en politique lorsqu’il a eu un coup de cœur pour le village en 2015. C’est Brigitte, la future adjointe aux écoles, qui lui a proposé de s’engager sur la liste de Laurent Alexandre, en 2020, quand elle a découvert "son penchant à gauche". Le décès prématuré de l’adjoint aux finances l’a propulsé dans la garde rapprochée du maire qui, devenu député Nupes, lui a finalement laissé sa place après concertation de l’équipe.

"Si on demande de l'argent, ce n'est pas pour jouer au flipper", s'agace Michel Baert

Neuf mois plus tard, Michel Baert a l’air comme un poisson dans l’eau à la mairie. Arrivé à 8 h 30 pour consulter les messages et les dossiers en cours, il commence par une mauvaise nouvelle. "Une demande de subvention rejetée. Soi-disant qu’on n’est pas éligible. On est dans une commune pauvre. Si on demande de l’argent, ce n’est pas pour jouer au flipper", s’agace le premier édile attendu par ses adjoints à la réunion de préparation des réunions de quartier du mois d’avril.

En chemin pour la salle bleue, il croise le président des Boules noires aubinoises venu faire une demande d’occupation de l’espace public pour la brocante vide-greniers du mercredi suivant. Les deux hommes discutent cinq minutes entre deux portes puis se saluent. "La protéine du maire, c’est le bonheur des gens", sourit Michel avant de pénétrer dans la salle bleue. Il reste dix minutes, le temps de rappeler dans quel esprit il voit les réunions de quartier, et il laisse ses adjoints travailler pour régler une question RH (ressources humaines) avec le directeur des services.

Dans la foulée, sa pause repas est écourtée par une restauratrice qui souhaite proposer des crêpes et des gaufres à la piscine cet été. Petit test produit et retour à la mairie où il doit encore éplucher le projet de budget avant de nous accorder une parenthèse dans sa journée bien remplie.

Des indemnités très faibles vu l'ampleur de la tâche

En tant que maire d'Aubin, commune de 3 777 habitants, Michel Baert est censé toucher une indemnité de 2100 euros par mois. Mais il a choisi de se limiter à 1 300 € par mois, "comme Ruffin", ce qui lui a permis de financer deux postes de délégués à temps partiel pour faciliter le travail des adjoints au maire.

Ces mêmes adjoints qui gagnent 865 € par mois pour leur tâche. La commune de Cransac-les-Thermes est plus petite, puisqu'elle compte 1 530 habitants (la DGF est calculée sur la base de 1950 habitants, en tenant compte des curistes puisque la seule station thermale de l'Aveyron attire tout de même 5 300 curistes par an). Si bien que l'indemnité des adjoints au maire tombe là à 500 € par mois. Quant au maire, comme à Aubin, il a pris moins que les 1 500 € par mois auxquels il avait droit, limitant ses indemnités à 1 180 € par mois.

Rendez-vous est pris avec Michel Raffi à la limite des deux communes. Une rencontre pleine de respect même si la ligne politique n’est pas tout à fait la même. Il faut dire que tous les deux connaissent l’ampleur de la tâche. "Le plus grand bonheur du maire, c’est de recevoir les gens. C’est presque toujours une bouffée d’oxygène. Ils viennent avec des problèmes et, quasiment toujours on peut trouver des réponses. Souvent, ils se sentent incompris. Déjà, le simple fait de les écouter, ça va mieux", sourit un Michel Baert ultra-motivé, avec l’enthousiasme du débutant.

"C’est vrai qu’aider nos concitoyens et faire progresser sa ville, c’est valorisant, souligne Michel Raffi. Mais entre les décisions et la rapidité d’exécution, c’est autre chose. Quand on est élu, une des premières qualités, c’est l’humilité. Les gens qui disent merci, c’est assez rare pour être relevé. Je trouve qu’il y a une impatience qui s’est accrue depuis le Covid. Les gens sont de plus en plus dans l’exigence du tout, tout de suite. Et puis c’est prenant. Tu es sollicité en semaine, le week-end, la nuit parfois, quand tu fais les courses et que tu entends : "Ah, puisque tu es là… Cette accumulation, au bout d’un moment, ça use."

Michel Baert en a conscience. Contrairement à son homologue qui n’a pas pris un jour de congé en 15 ans, il a décidé de partir une semaine avec son épouse fin juin. "Ce n’est pas de la saturation, mais il faut décompresser", sourit le maire d’Aubin. Des vacances plus faciles à prendre maintenant pour Michel Raffi, redevenu simple conseiller municipal. "Allez, je vous laisse. Je n’ai plus d’excuse pour la pelouse. Je vais devoir sortir la tondeuse."

Michel Raffi, la voix nouée, explique les raisons de sa démission

Michel Raffi a présidé son dernier conseil municipal le 30 mars. Conseil à l'issue duquel il a lu la déclaration ci-dessous, en présence des conseillers départementaux du canton. "Je préside pour la dernière fois cette assemblée en tant que maire. À la sémantique juridique qui fait état de démission je préfère celle plus humaine et plus adaptée de "passage de relais". "J'ai souhaité en effet quitter mes fonctions de maire et j'ai présenté ma demande en ce sens auprès de monsieur le préfet. J'effectue mon cinquième mandat d'élu, soit bientôt 30 ans, avec plusieurs années à la tête de la Commune. À 75 ans, la charge mentale, la tension nerveuse, la difficile et longue période du Covid et les lourdes responsabilités qui pèsent sur la personne du maire, m'ont persuadé qu'il était temps de céder la place à ce niveau". "J'ai connu des moments personnels et familiaux très difficiles (perte de mon épouse) dans le mandat précédent qui m'ont conduit à ne pas prendre de congé et, ce, depuis plus de 15 ans. La fatigue accumulée et quelques "alertes de santé" sont aussi les raisons de ce choix qui s'impose à moi aujourd'hui". "C'est avec un grand pincement au cœur et une profonde émotion que j'ai pris cette décision. Je suis heureux d'avoir servi pendant toutes ces années ma commune et mes Concitoyens. J’ai sans doute fait des erreurs, mais j'ai toujours œuvré dans l'intérêt général avec abnégation et la volonté d'avancer et de faire avancer, avec les moyens dont je disposais". J'ai connu avec tous mes collègues qui m'ont accompagné durant ces longues années, des situations financières délicates qui nous ont amenés à se poser de nombreuses questions quant à la pérennité de notre collectivité. Après beaucoup de ténacité, après beaucoup de détermination, après beaucoup de travail mené par mes prédécesseurs, André Réqui et Jean-Paul Linol, à qui je rends un profond hommage, avec ma participation, mon investissement et l’implication aussi d’autres personnes notamment de l’Office de Tourisme, nous avons pu obtenir ce Casino tant espéré qui assure aujourd'hui une assise financière indispensable et une attractivité certaine. Il permet d'échafauder des projets structurants et de disposer d'un peu de sérénité mais ce, avec toute la prudence qui s'impose car tout est fragile, le Covid en a été une réelle illustration. Comme j'ai pu le préciser à la Cour régionale des comptes: "Que pourrions-nous faire aujourd'hui sans les ressources fiscales du Casino "? Le passage de relais est ainsi une action perpétuelle. Les fonctions d'élu et a fortiori celle de maire relèvent de plus en plus du sacerdoce tant le monde change, tant les exigences sont multiples et pressantes. Quand l'on ne vit pas jour après jour au sein d'une mairie, on ne peut pas se rendre compte des difficultés nombreuses et croissantes de tous ordres. Enfin, je dois dire aussi que j'ai pu prendre cette décision parce que je suis entouré d'une équipe compétente, motivée et dynamique que je remercie chaleureusement. Je reste donc conseiller municipal auprès de cette assemblée et je poursuis également, en accord avec le président de Decazeville communauté, tous mes mandats communautaires, c'est-à-dire, vice-président de la communauté de communes et président de l'Office de tourisme et du thermalisme communautaire. Je vais tout de même pouvoir garder du temps pour ma famille mais aussi pour moi. Je remercie tous les élus, femmes et hommes, avec qui j'ai travaillé durant ces années, je remercie le personnel communal ainsi que toutes celles et ceux qui, en fonction de leurs compétences, permettent à Cransac-les-Thermes d'être une commune qui bouge, qui vit et qui a et mérite une grande place au sein de notre beau département. Je n’oublie pas les associations qui, par leur dévouement, leurs activités et animations contribuent au maintien du lien social. La mairie devant jouer son rôle pour favoriser et conforter ce lien si nécessaire à la vie. Merci à vous toutes et tous de m'avoir aidé dans cette première moitié de mandat à faire vivre et progresser notre si attachante commune. Je souhaite que le prochain maire poursuive dans cette voie dans l'intérêt de nos concitoyens et du territoire et je lui apporterai tout mon soutien. De grands défis se profilent à l'horizon qui nécessiteront encore plus de solidarité, de sens civique et d'esprit communautaire car notre force ne peut être que collective. Je serai bien entendu présent à vos côtés et j'y veillerai à mon niveau. Je vous remercie toutes et tous". L’hémicycle cransacois lui a réservé une salve d’applaudissements nourris, qui est allée droit au cœur de Michel Raffi.
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