Turquie : au pouvoir depuis vingt ans, Recep Tayyip Erdogan remporte la présidentielle, pour un troisième mandat de cinq ans

  • Donné perdant par les sondages avant le premier tour de l’élection présidentielle, le chef de l’Etat l’a emporté dimanche avec 52 % des suffrages.
    Donné perdant par les sondages avant le premier tour de l’élection présidentielle, le chef de l’Etat l’a emporté dimanche avec 52 % des suffrages. MaxPPP
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Hervé Garric avec Reuters

Le président sortant, Recep Tayyip Erdogan, a été confirmé dimanche 28 mai pour cinq années supplémentaires à la tête de la Turquie.

Recep Tayyip Erdogan a remporté dimanche le second tour de l'élection présidentielle en Turquie, prolongeant son règne de 20 ans à la tête d'un pays polarisé par des politiques de plus en plus autoritaires qui ont permis à Ankara, membre de l'Otan, de s'imposer comme une puissance militaire régionale.

Kemal Kiliçdaroglu, le candidat d'une alliance de partis d'opposition, a estimé qu'il s'agissait de l'élection la "plus injuste depuis des années", mais il n'en a pas contesté l'issue.

Les résultats témoignent d'une nation profondément divisée, alors que le président sortant a remporté 52,1% des suffrages, contre 47,9% pour son rival.

Ce scrutin était considéré comme l'un des plus importants de l'histoire centenaire de la Turquie, l'opposition ayant estimé être en mesure de détrôner Recep Tayyip Erdogan, dont la popularité a été mise à mal par la crise du pouvoir d'achat, et de revoir les politiques du président sortant.

Une image renforcée d'invincible

Au lieu de cela, la victoire de Recep Tayyip Erdogan renforce l'image d'invincible de ce dirigeant qui a redessiné les politiques intérieures, économiques, sécuritaires et diplomatiques de la Turquie.

La perspective de cinq années supplémentaires avec Recep Tayyip Erdogan au pouvoir est un coup dur pour les opposants qui l'accusent de nuire à la démocratie en s'arrogeant toujours plus de pouvoir, une accusation que le président rejette.

S'exprimant devant des partisans à Ankara après l'annonce des résultats, Recep Tayyip Erdogan a promis de tourner la page des querelles passées et de laisser place à l'unité avec des valeurs et rêves communs.

Mais il a rapidement changé de ton, s'en prenant à l'opposition et accusant sans preuve Kemal Kiliçdaroglu de soutenir des terroristes. Il a aussi exclu de libérer Selahattin Demirtas, chef du parti pro-kurde, qu'il considère comme terroriste.

Recep Tayyip Erdogan, âgé de 69 ans, a fixé comme priorité de son nouveau mandat la lutte contre l'inflation, une mission à portée de main, a-t-il ajouté.

Plus tôt dans la soirée, depuis le haut d'un bus à Istanbul, il a déclaré à des partisans que "le seul vainqueur du jour est la Turquie". "Je vous remercie tous de nous avoir confié à nouveau la responsabilité de gouverner le pays pour les cinq prochaines années", a-t-il dit.

Vladimir Poutine félicite son "cher ami"

Hors des frontières turques, les résultats du scrutin ont probablement été accueillis avec déception par les gouvernements occidentaux préoccupés par les relations étroites entre la Turquie et la Russie. Le président russe Vladimir Poutine a félicité son "cher ami" Recep Tayyip Erdogan pour sa victoire.

Via Twitter, le président américain Joe Biden a dit avoir hâte de "continuer à collaborer en tant qu'alliés de l'Otan sur des questions bilatérales et des défis mondiaux partagés". Les liens entre Washington et Ankara, déjà tendus à propos de la Syrie et de la Russie, ont été affectés par le veto mis pour l'instant par la Turquie à l'adhésion de la Suède dans l'Otan.

Des "immenses défis avec la France"

Le président français Emmanuel Macron a pour sa part mis en avant les "immenses défis" qui attendent Paris et Ankara.

"La France et la Turquie ont d'immenses défis à relever ensemble. Retour de la paix en Europe, avenir de notre Alliance euro-atlantique, mer Méditerranée", a-t-il dit sur Twitter.

Recep Tayyip Erdogan, qui été longtemps en désaccord avec de nombreux gouvernements du Moyen-Orient avant d'adopter une position plus conciliante ces dernières années tout en renforçant son influence par un biais militaire, a reçu des félicitations des présidents iranien et israélien ainsi que du roi d'Arabie saoudite.

Des partisans de Recep Tayyip Erdogan, rassemblés devant sa résidence à Istanbul, ont salué sa réélection. "Je m'attends à ce que tout aille mieux", a déclaré Nisa, 28 ans, qui portait un bandeau au nom d'Erdogan.

Un autre partisan estimait quant à lui que la Turquie deviendrait plus forte avec Recep Tayyip Erdogan au pouvoir pendant encore cinq ans. "Il y a des questions, des problèmes dans tous les pays du monde, dans les pays européens aussi ? Avec une direction forte, nous surmonterons les problèmes de la Turquie également", a dit Mert, 39 ans, accompagné de son fils.

De son côté, Bugra Oztug, 24 ans, qui a voté pour Kemal Kiliçdaroglu, a déclaré ne pas être surprise du résultat, reprochant à l'opposition de ne pas avoir su changer.

"Je suis triste et déçue, mais je ne suis pas désespérée. Je pense toujours qu'il y a des gens qui peuvent voir les réalités et la vérité", a-t-elle commenté.

Incertitude sur l'économie

Au cours de la campagne, Recep Tayyip Erdogan a utilisé une rhétorique nationaliste et conservatrice pour rassembler les électeurs, rejetant au second plan les difficultés économiques profondes de la Turquie.

Kemal Kiliçdaroglu, qui avait promis d'engager le pays vers une plus grande démocratie et une plus grande collaboration, a déclaré que le scrutin montrait la volonté du peuple de changer le gouvernement autoritaire. "Tous les moyens de l'État ont été mis à la disposition d'un seul homme", a-t-il dit.

Les opposants à Recep Tayyip Erdogan étaient persuadés que les électeurs allaient le punir dans les urnes pour la réponse tardive du gouvernement au double séisme de février qui a fait 50.000 morts et des millions de sans-abri.

Mais le parti islamo-conservateur AKP (Parti de la justice et du développement) au pouvoir a terminé ce mois-ci en tête des élections législatives dans 10 des 11 provinces affectées par la catastrophe.

Le succès de Recep Tayyip Erdogan vient de la croyance de ses partisans "en sa capacité à résoudre les problèmes, même s'il en a créé beaucoup", a commenté Emre Erdogan, professeur de sciences politiques à l'université Bilgi d'Istanbul.

Avec le soutien des électeurs conservateurs

Alors que le dirigeant a conservé le soutien des électeurs conservateurs qui se sont longtemps sentis marginalisés, "cette ère sera caractérisée par un déclin des libertés politiques et civiles, une polarisation et des luttes culturelles entre deux tribus politiques", a ajouté Emre Erdogan.

L'incertitude quant aux conséquences de cette réélection sur la politique économique a fait reculer dimanche la livre turque à 20,05 pour un dollar, proche d'un plus bas atteint vendredi à 20,06.

Des détracteurs de Recep Tayyip Erdogan ont imputé la crise économique à la politique intransigeante du président, qui a imposé une baisse des taux d'intérêt. 

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