Aveyron : aux urgences, l’épuisement des médecins restreint l’accès
L’accès aux urgences des hôpitaux de Rodez et Decazeville sera conditionné à un appel au "15" ces prochains jours. La conséquence d’un manque de professionnels, mais aussi de l’épuisement de ceux en place selon l’urgentiste et syndicaliste Frank Becker.
Comment expliquez-vous ces périodes de "régulation" aux urgences à Rodez et Decazeville ?
C’est la politique des 30 dernières années en termes d’offre de soin médical qui fait les dégâts d’aujourd’hui, à savoir le numerus clausus qui avait été mis en place. On forme moins de médecins, donc il y en a moins sur le marché. Par ailleurs, de plus en plus, les médecins ont envie d’avoir une vie qui ne soit pas un sacerdoce.
Il y a par ailleurs des mesures récentes qui n’ont pas arrangé les affaires pour les départements comme l’Aveyron…
Vous parlez de la loi Rist, qui plafonne le salaire des médecins remplaçants ?
Oui. 1 389 € brut les 24 heures dans un hôpital public contre 1 500 € net dans le privé. Le marché est national, les intérimaires vont partout.
La FHP, Fédération de l’hospitalisation privée, s’était engagée à ne pas surenchérir, mais les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. Aujourd’hui, dans tous les secteurs où il n’y a que de l’offre en public, on sent les effets de cette loi. Les praticiens s’investissent localement, mais quand on leur dit "vous allez toucher un tiers de moins", s’ils trouvent mieux ailleurs, ils vont ailleurs, c’est normal.
La capacité d’accueil sera donc moindre dans les deux services concernés. Pourquoi ?
Parce que nous n’avons pas assez de praticiens. On s’est épuisé cet été, on est épuisés. Là, tout ce qu’on essaye de faire, c’est de travailler un nombre d’heures normal mais on est obligé de diminuer l’offre de soin. Tout le monde a donné son maximum, on n’en peut plus, donc il y a des trous qui se créent, qui désorganisent le tout. Sur Decazeville, ce sont les intérimaires qui ne reviennent plus, ça crée des soucis plus importants. On a perdu de la ressource médicale, qui tenait depuis septembre, à cause de la loi Rist.
Comment avez-vous préparé la gestion de ces journées qui s’annoncent tendues ?
Des réunions ont lieu entre l’Agence régionale de santé, l’administration et les praticiens pour coordonner les soins et assurer la sécurité des filières. On doit remodeler l’offre de soin pour qu’il n’y ait pas de rupture brutale à un endroit et qu’on ne puisse pas répondre. Il y a une coordination entre les ARS, les directions et les praticiens.
Comment s’organise le fonctionnement des services d’urgence concernés ?
Il y a une solidarité entre les médecins de ville et les hospitaliers, une solidarité qui marche bien. Les médecins de ville, au taquet, trop peu nombreux, acceptent de voir en cette période difficile un ou deux patients en plus, qu’ils auraient envoyés habituellement aux urgences. Les appels sont régulés, le médecin régulateur prend la décision, mais là aussi c’est extrêmement compliqué parce qu’on manque de médecins aussi à la régulation, au "15".
Quel rôle peut jouer l’hôpital en de telles circonstances ?
On ne peut pas faire avec ce qu’on n’a pas mais ne pas prévoir, c’est déjà pleurer. Les directions sont toujours à l’affût, essayent de prévoir et d’anticiper. On n’a rien à reprocher aux directions sur l’Aveyron.
Que propose l’Amuf, le syndicat auquel vous appartenez ?
On veut mettre en place un SAS (Service d’accès au soin), que nous, au niveau de l’Amuf, on n’a jamais appelé de nos vœux (à lire dans notre édition de demain vendredi 15 septembre, NDLR). Nous demandons des renforts des moyens existants sur le service d’urgences pour le faire fonctionner normalement au lieu de mettre un filtre supplémentaire.
Il faudrait rouvrir les capacités de médecine d’urgence. Ces capacités n’existent plus, notre demande est de les remettre en place pour former des généralistes, cardiologues, peu importe leur spécialité initiale, à la médecine d’urgence en faisant une capacité qui dure deux ans… contre quatre ans pour le Diplôme d’études spécialisées de médecine d’urgence, nécessaire aujourd’hui.
Qui a la solution face à ce genre de situation ?
C’est l’État et les universités, pour former les praticiens. Nous commençons à recevoir des étudiants en médecine, c’est-à-dire avant qu’ils ne soient internes. On a commencé à former plus de médecins mais il faut leur donner des terrains de stage, les élargir tout en ayant la compétence pour les former.
Y a-t-il une sorte de désamour entre les futurs médecins et les urgences ?
La médecine d’urgence est maintenant l’avant-dernière spécialité choisie par les internes, c’est-à-dire que tous les postes ne sont pas pourvus en France.
On est dans une hyper-spécialisation qui ne correspond pas aux besoins actuels de la population. J’ai vu l’évolution sur 23 années, la pénibilité va crescendo, c’est de pire en pire. On fournit de plus en plus d’heures supplémentaires, on est à bout. Le nombre de passage a fortement augmenté entre les différents services.
Les régulations à Rodez
Depuis lundi 11 septembre à compter de 8 h 30 jusqu’au jeudi 14 septembre à 8 h 30, et du jeudi 14 septembre à 18 heures jusqu’au vendredi 15 septembre à 8 h 30, du vendredi 15 septembre à 18 heures jusqu’au samedi 16 septembre à 8 h 30. À Decazeville : du mercredi 13 septembre, à compter de 16 heures jusqu’au jeudi 14 septembre à 8 h 30.
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