Cannes: "Le dernier des injustes" de Lanzmann, l'histoire avec un grand H

  • Le réalisateur Claude Lanzmann pose pour les photographes à Cannes le 19 mai 2013
    Le réalisateur Claude Lanzmann pose pour les photographes à Cannes le 19 mai 2013 AFP - Alberto Pizzoli
  • Photo prise le 24 février 2005 d'un bâtiment de Terezin (Theresienstadt en allemand), créée en septembre 1941.
    Photo prise le 24 février 2005 d'un bâtiment de Terezin (Theresienstadt en allemand), créée en septembre 1941. AFP/Archives - Michal Cizek
  • Photo prise le 24 février 2005 d'un cimetière de Terezin, le "ghetto modèle" des nazis, près de Prague Photo prise le 24 février 2005 d'un cimetière de Terezin, le "ghetto modèle" des nazis, près de Prague
    Photo prise le 24 février 2005 d'un cimetière de Terezin, le "ghetto modèle" des nazis, près de Prague AFP/Archives - Michal Cizek
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AFP

Claude Lanzmann, auteur de "Shoah", documentaire fleuve sur l'extermination des Juifs par les nazis, revient avec "Le dernier des injustes" sur l'histoire du "ghetto modèle" de Terezin, près de Prague, et la personnalité contestée du dernier "doyen des juifs".

Présenté dimanche à Cannes hors compétition, le documentaire exploite pour la première fois le long témoignage recueilli par Claude Lanzmann en 1975 à Rome de Benjamin Murmelstein, dernier président du conseil juif du ghetto de Terezin, ou dernier "doyen des juifs" selon la terminologie nazie.

Les conseils juifs avaient été mis en place pour faire régner l'ordre allemand dans les ghettos. Ne pas accepter la fonction signifiait la mort.

Le "sommet de la cruauté et de la perversité nazie"

Terezin (Theresienstadt en allemand), créée en septembre 1941, a été appelée aussi la ville "donnée aux juifs par Hitler", pour les autres, le ghetto du mensonge, puisque élu par le criminel nazi Adolf Eichmann pour leurrer le monde.

Dans le documentaire, les images de propagande mettant en scène des enfants joyeux ou des personnes âgées dans une maison de retraite idyllique s'écroulent devant celles de dessins réalisés par d'anciens détenus.

A Terezin, par laquelle passèrent près de 150.000 hommes, femmes, vieillards et enfants, fut atteint le "sommet de la cruauté et de la perversité nazie", dans "une combinaison unique de mensonge et de violence nue", jugeait le cinéaste en février dans un entretien à l'AFP.

Le documentaire de 3h30 éclaire encore sous un autre jour la mise en oeuvre de la solution finale grâce à ce témoin unique. Et pour cause.

Le rabbin Benjamin Murmelstein avait été chargé avant par Eichmann d'organiser à Vienne l'émigration forcée des juifs d'Autriche à partir de l'été 1938 jusqu'au déclenchement de la guerre. Il luttera d'ailleurs pied à pied contre lui pour en faire sortir plus de 121.000.

Eichmann, "un démon"

Parce qu'il a bien connu Eichmann, il s'insurge contre ceux - dont la philosophe allemande Hannah Arendt - qui le considéraient comme un simple gratte-papier obéissant. "C'était un démon", assène-t-il avec force.

Le rabbin ne comprend pas pourquoi, au procès d'Eichmann en Israël, sa participation à la Nuit de cristal n'a pas pu être prouvée, lui qui l'a vu de ses yeux participer au saccage de la synagogue de la Seitenstettengasse de Vienne.

"Le dernier des injustes" comme se qualifie lui-même Murmelstein en référence au "Dernier des Justes" d'André Schwarz-Bart, parle du rôle contesté des conseils juifs.

Le rabbin Murmelstein, auteur en 1961 d'un livre en italien sur le ghetto, raconte les luttes de pouvoir à Terezin et ses "premiers ennemis" parmi les détenus pour des questions d'organisation sanitaire.

"Les gens étaient des martyrs, pas des saints", déclare-t-il face à la caméra, en confessant lui-même son goût du pouvoir, son "désir d'aventures".

Avec un sens très particulier de la formule, il se compare à Shéhérazade racontant un conte, faisant semblant d'être la marionnette des nazis pour "me sauver et sauver le ghetto", dit-il.

Son tort est sans doute d'avoir été le seul "doyen des juifs" de Terezin à survivre. Les deux précédents ont été tués d'une balle dans la nuque, l'un à Terezin, l'autre à Auschwitz.

Accusé de collaboration avec l'ennemi par un certain nombre de juifs, Benjamin Murmelstein a été arrêté en 1945 et emprisonné par la justice tchèque pendant 18 mois avant d'être acquitté. Il s'est exilé ensuite à Rome où il est décédé en octobre 1989.

Claude Lanzmann rappelle qu'il n'y a pas eu de "vrais collabos" chez les juifs à part un groupuscule à Vienne. "On voit bien qui sont les vrais tueurs", conclut-il, en disant souhaiter que Murmelstein gagne "plus de compréhension, d'empathie et que les procureurs se calment".

Source : AFP

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