Brésil: Tony Barros, photographe tout terrain de la Cité de Dieu

  • Le photographe brésilien Tony Barros (en haut 2e gauche) et le photographe de l'AFP Christophe Simon (en haut à droite) dans la favela la Cité de Dieu à Rio de Janeiro le 24 janvier 2014
    Le photographe brésilien Tony Barros (en haut 2e gauche) et le photographe de l'AFP Christophe Simon (en haut à droite) dans la favela la Cité de Dieu à Rio de Janeiro le 24 janvier 2014 AFP/Archives - Yasuyoshi Chiba
  • Photographie prise par un enfant de la favela la Cité de Dieu à Rio de Janeiro le 30 janvier 2014
    Photographie prise par un enfant de la favela la Cité de Dieu à Rio de Janeiro le 30 janvier 2014 AFP/Archives - Silvana de Ararujo Barcelo
  • Photographie prise par un enfant de la favela la Cité de Dieu à Rio de Janeiro le 13 avril 2013
    Photographie prise par un enfant de la favela la Cité de Dieu à Rio de Janeiro le 13 avril 2013 AFP/Archives - Marcio Ferreira dos Santos
  • Photographie prise par un enfant de la favela la Cité de Dieu à Rio de Janeiro le 23 février 2013
    Photographie prise par un enfant de la favela la Cité de Dieu à Rio de Janeiro le 23 février 2013 AFP/Archives - Kauan Oliveira de Lima
Publié le
AFP

Si tout n'était officieux dans le dédale misérable de la Cité de Dieu, longtemps la favela la plus dangereuse de Rio de Janeiro, Tony Barros, 47 ans, en porterait sans doute le titre de photographe officiel.

"Être photographe ici, ce n'est pas comme tenir un studio à Copacabana. Il faut connaître les codes. Peu importe que tu sois bien vu depuis longtemps. Si un jour tu commets une virgule d'erreur, tu es mort", témoigne ce pur autodidacte.

Les ruelles coupe-gorge de ce bidonville d'environ 40.000 habitants, repris aux mains des trafiquants en 2011 par la police, il les connaît comme sa poche depuis l'enfance.

La photo l'a construit, aidé à déjouer tous les pièges qui mènent à la "marginalité".

Le déclic est immédiat quand son amie Nadine Gonzalez, une Française qui développe depuis huit ans des projets de mode dans les favelas, lui présente le photographe de l'AFP Christophe Simon.

Le "gringo" explique qu'il veut apprendre les rudiments de la photographie de reportage à des jeunes de la favela, pour qu'ils racontent en images leur passion pour le ballon, l'enfance du football brésilien.

- Un métier ou la drogue-

"J'ai trouvé ça super. C'était un vieux rêve que j'avais", explique Tony, casquette sur la tête, tee-shirt, bermuda et appareil en bandoulière: sa panoplie de tous les jours. "C'est fondamental d'offrir à ces jeunes des projets professionnalisants. Parce qu'ici il n'y a que deux options: ou apprendre une métier ou sombrer dans le trafic".

Tony est arrivé avec sa mère à la Cité de Dieu dans les années 1960 quatre ans après sa fondation. Son père ? "Un marin" qu'il a peu connu. Il a neuf ans quand sa mère décède.

Par chance, un oncle, petit employé de la compagnie d'électricité le prend avec lui dans son modeste appartement à Copacabana. Il lui donne une "éducation rigide", mais une éducation.

A 16 ans, fin de la parenthèse. Tony retourne à la Cité de Dieu, devenue "une terre de fous".

Des factions de trafiquants de drogue s'y disputent impitoyablement le contrôle du territoire.

La sœur de Tony le laisse livré à lui-même. Il traîne sur les plages pour échapper à l'ambiance oppressante du bidonville, se nourrit de mangues sauvages.

Placé dans un centre de la Fondation nationale pour le bien-être des mineurs, sorte de maison de redressement, il côtoie les futurs caïds de la drogue les plus redoutés de Rio.

- Mode favela -

"Mon oncle m'avait donné une base. Contrairement aux autres, j'ai cherché à apprendre tout ce que je pouvais": cours de peinture automobile, d'infirmier...

Les enfants des rues, drogués à la colle, maltraités par la police, il les retrouve à sa sortie du collège en travaillant dans un centre d'attention animé par un séminariste, près de la cathédrale de Rio. "C'est là que j'ai commencé à prendre des photos, avec ces enfants".

Il en fera son métier. A la Cité de Dieu, jusqu'en 2003-2004, aucune personne extérieure ne pouvait entrer sans autorisation des trafiquants avec un appareil photo. Sous peine de mort.

Anniversaires, mariages, bals funk, Tony est invité ou toléré partout. Même s'il s'est "souvent retrouvé avec une arme braquée sur la tête".

En 2001-2002, il se met au photojournalisme, grâce à Viva Favela, un projet de journalisme citoyen alimenté par des correspondants locaux.

Le succès international du film coup de poing "La Cité de Dieu" (2002) braque les projecteurs sur la favela.

Tony, lui, met la favela à la mode, littéralement. Il fonde avec la Brésilienne Gisele Guimaraes le projet "Lente dos Sonhos" ("Optique des rêves") qui apprend à des jeunes filles de la communauté à devenir top-modèles.

En 2002, les photos de son premier défilé sont publiées dans le journal populaire Extra. "C'est la première fois qu'on publiait à Rio quelque chose sur la Cité de Dieu sans rapport avec la violence", explique Tony. D'autres publications suivront dans des magazines européens.

Le studio de Tony fut jadis un vestiaire de la Garde nationale, abandonné pendant une dizaine d'années. Les gens "venaient s'y droguer, se prostituer, déféquer". Trois pièces en carrelées en enfilade, aux murs décrépis. Sur une étagère, son musée personnel: des vieux Zénith, Canon ou Olympus, de l'âge pré-numérique...

C'est ici que Tony va continuer à animer avec Christophe Simon l'atelier des apprentis reporters, au moins jusqu'aux jeux Olympiques d'été de Rio. Et qui sait, un jour, aider l'un d'eux à devenir un photographe professionnel.

Source : AFP

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