Islam et judaïsme : le difficile exercice de la foi en Aveyron

  • Début de prière à la mosquée de Rodez.
    Début de prière à la mosquée de Rodez. Repro CP
Publié le , mis à jour
Lola Cros

Zone rurale.  Pour les personnes de confessions juive et musulmane, pratiquer sa religion en Aveyron relève souvent du parcours du combattant. Peu (ou pas) de lieux de prière confine les fidèles au «système D».

Un à un, parfois en petits groupes, ils passent la porte de la mosquée de Rodez. Saluent le président. Se déchaussent. Et entrent dans la salle de prière. Ce mardi, sur les coups de 13 heures, une vingtaine de fidèles assistait à la deuxième prière de la journée. «Bien loin de l’affluence du vendredi quand la mosquée est pleine à craquer», confie au même moment Mimoun Boujnane, président de l’association cultuelle des musulmans de Rodez. Dans un paysage où clochers et édifices chrétiens sont légion, seules trois mosquées pointent à l’horizon (Rodez, Millau, Decazeville*)… et pas une seule synagogue.

D’après les estimations de l’Ifop, 1% des Aveyronnais seraient musulmans, à peine 0,1% juifs. Difficile alors de parler de véritables «communautés» religieuses. «C’est un mot que je bannis car elle ne représente aucune réalité à l’échelle de l’Aveyron», réagit Simon Massbaum, représentant départemental du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif). Impossible à quantifier précisément, ce dernier estime à «une petite centaine» le nombre de personnes de confession juive en Aveyron, «sans distinguer ceux qui pratiquent de ceux qui se revendiquent seulement “de culture juive”».

«Celui qui vit ici et pratique sa foi mérite une médaille 

Outre leur faible représentation démographique et leur dispersion géographique, les fidèles pâtissent surtout de l’absence de structures permettant d’organiser une pratique régulière et commune de leur foi, comme le préconisent les deux religions. D’où le relatif bricolage qui s’opère aux quatre coins du département, ne serait-ce que pour assurer un service minimum. «Celui qui vit en Aveyron et pratique rigoureusement sa foi mérite une médaille !, ironise le représentant israélite. Objectivement, c’est incompatible. Aucune structure ne le permet.» «Ceux qui pratiquent au quotidien le font dans l’intimité du foyer. D’autres, plus rares, se rendent à Toulouse, à deux heures de là, pour la prière du vendredi ou pour acheter des produits casher, introuvables en Aveyron». Partant de ce constat, Simon Massbaum balaie d’un revers de main l’idée de construire une synagogue en Aveyron.

Tout est une question de moyens»

Pour les associations musulmanes en revanche, la problématique est tout autre. «Tout est une question de moyens», résument tour à tour leurs représentants. Après avoir récolté auprès des fidèles puis injecté plusieurs centaines de milliers d’euros dans la construction de deux mosquées, les associations cultuelles du chef-lieu et de Decazeville peinent aujourd’hui à assurer la présence d’un imam. «À Rodez, un bénévole s’occupe de la prière. C’est un fidèle qui connaît le Coran par cœur, et qui est là pour les 5 prières quotidiennes, confie le président ruthénois. L’imam marocain que nous avions est parti il y a quelques mois. Depuis, nous en cherchons un autre… mais il est difficile de trouver quelqu’un qui ait une formation spécifique, qui soit en mesure de guider la prière en français et en arabe.» 

Alors, le président s’en remet au Conseil français du culte musulman (CFCM) de Midi-Pyrénées qui se charge de «répartir» les imams formés dans la région… si tant est qu’il y en ait.  Son homologue decazevillois, Salem Errahhaoui, partage une expérience similaire: «Nous n’avons pas les finances pour s’attacher les services d’un imam à plein-temps. Un fidèle assure la prière du vendredi, quand il peut… et quand il ne garde pas ses enfants. Sinon, le plus âgé ou le plus expérimenté prend le relais.» «C’est comme à la pétanque, il n’y a jamais personne pour s’engager»

A Decazeville, «il y a toujours un peu de monde mais jamais personne pour s’engager»

Nichée au cœur du bassin minier de l’ouest, marquée par une immigration massive de main-d’œuvre au XXe siècle, Decazeville ne compte plus que 6 000 habitants -contre 20 000 dans les années 60- mais jouit d’une concentration musulmane relativement remarquable. «Une centaine de familles» fréquente la mosquée, quoique la salle de prière reste «souvent vide en journée». Au grand dam de Salem Errahhaoui, président bénévole de la mosquée et kinésithérapeute de profession, visiblement éreinté d’œuvrer depuis sept ans pour faire de la mosquée un lieu de sociabilité. En vain. Sa conclusion est amère : «C’est comme à la pétanque ou dans toutes les associations, il y a toujours un peu de monde mais jamais personne pour s’engager et prendre des décisions.»

À Millau, «l’affaire marche bien»

Plus au sud, le constat détonne. À Millau, «l’affaire marche bien, tout le monde est content, lâche, dans un sourire, le président de l’association locale, Sougrate Abdelhak. Nous avons un imam attitré à plein-temps. Il n’est pas Millavois mais Espagnol d’origine marocaine. Nous avons décidé de l’embaucher quand il s’est présenté à nous. Les cotisations mensuelles des fidèles, de l’ordre de 10€, permettent de le payer et d’entretenir la mosquée.» Dans cette ville populaire et cosmopolite de 22 000 habitants, l’association, «victime de son succès», songe désormais à agrandir le bâtiment inauguré en 2012. «Depuis, beaucoup de familles se sont installées ici. Nous en accueillons plus de 400, alors forcément nous sommes à l’étroit !» 

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