Canet-de-Salars : Sarah Singla, agricultrice pionnière de la conservation des sols

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  • Sarah Singla est installéesur le Lévézou depuis 2010.
    Sarah Singla est installéesur le Lévézou depuis 2010. GR
Publié le
RICHAUD Guilhem

Installée sur le Lévézou, à Canet-de-Salars, l’Aveyronnaise cultive des semences pour RAGT. En 10 ans, elle est devenue une experte du semis direct sous couvert végétal, qui permet de préserver les sols, mais, également, de mieux protéger les cultures des aléas climatiques.

Elle est la star de l’agriculture de conservation des sols." La réputation de Sarah Singla la précède un peu partout en France. Agricultrice à Canet-de-Salars, elle est l’une des pionnières du semis direct sous couvert végétal, qui se développe petit à petit, en Aveyron, mais aussi partout ailleurs dans le pays. Elle répond à ce compliment avec beaucoup d’humilité. Et se contente d’expliquer que "comme Obélix, je suis tombé dedans quand j’étais petite".

En effet, c’est son père qui a lancé la méthode en 1980. En attendant de reprendre la ferme familiale en 2010, elle a souhaité faire des études pour devenir ingénieur agronome. Un moyen de maîtriser parfaitement les enjeux de sa méthode, mais aussi de l’agriculture en général.

Une méthode aux trois piliers

Quand il s’agit d’évoquer son activité, Sarah Singla est capable de parler de l’histoire des civilisations et leur relation à l’agriculture, elle cite également les philosophes des Lumières, et évidemment, elle connaît parfaitement les techniques agricoles. " Si vous regardez l’histoire, aucune des civilisations agraires n’a vécu plus de 500 ans car elles avaient perdu la fertilité de leurs sols, détaille-t-elle. C’est ce qui est arrivé en Mésopotamie et dans d’autres endroits autour de la planète. Alors si sur le long terme, on continue à travailler les sols, il y aura de l’érosion et demain, on n’aura plus d’agriculture. "

Sarah Singla plaide donc pour une production sans labour, appelée l’Agriculture de Conservation des Sols (ACS), qu’elle applique sur son exploitation. À ses yeux, la préservation du sol et la restauration de la fertilité des sols concerne tous les producteurs, "que l’on soit céréalier, éleveur, viticulteur, arboriculteur ou encore maraîcher : notre sol est notre principal outil de production". Pour elle, la porte d’entrée dans la préservation des sols est d’éviter de les laisser nus, exposés aux intempéries et aux fortes chaleurs. "On n’expose pas directement notre peau quand il pleut à seau ou quand il fait 40 °C. Le sol a aussi besoin d’être protégé. Nous cherchons donc à le couvrir au maximum que ce soit par des résidus de cultures ou par la présence de plantes vivantes qui vont également jouer un rôle important dans le recyclage des éléments minéraux, dans la structuration du sol et dans la réduction de l’érosion." Entre deux cultures principales, elle implante donc un couvert végétal. "On l’installe juste après la moisson et si les conditions le permettent, il se développe pendant l’été. Cette culture sera soit laissée au sol, soit récoltée, soit pâturée par les animaux. Ensuite, à l’automne, nous implanterons une céréale sans aucun travail du sol préalable." L’agriculture de conservation des sols, dans un contexte économique difficile, permet de réduire fortement les coûts de production : les charges de mécanisation liées au travail intensif du sol pour installer une culture disparaissent et laissent place à la seule opération du semis.

Plus efficace en cas de sécheresse

La méthode présente beaucoup d’avantages. D’autant plus qu’elle permet d’optimiser l’utilisation d’engrais, mais elle est aussi moins consommatrice en eau. Capital à une époque où les périodes de sécheresse sont de plus en plus fréquentes. " Longtemps, on avait les quatre saisons dans l’année, explicite Sarah Singla. Que l’on soit en labour ou en agriculture de conservation des sols, on avait à peu près les mêmes résultats. Mais aujourd’hui, avec le dérèglement climatique, on s’aperçoit qu’on a de plus en plus régulièrement une saison sèche suivie d’une saison des pluies et que les parcelles en agriculture de conservation des sols s’en sortent beaucoup mieux. Avec cette méthode, on capte plus d’eau, on augmente le taux de matière organique et on est moins exposés à la sécheresse. Quand il pleut, l’eau va pouvoir s’infiltrer dans le sol. Quand on laboure, on crée des semelles de labour à une vingtaine de centimètres sous le sol et l’eau ne peut plus s’infiltrer. Dans ce cas, soit elle ruisselle sur les terrains en pente, soit elle stagne. Quand l’eau stagne, on entre dans un phénomène qu’on appelle l’anoxie : les racines ne peuvent plus respirer. Si la culture ne respire pas elle meurt. " De quoi expliquer, que malgré les pluies de ces dernières semaines, l’Aveyron soit déjà confronté à un épisode de sécheresse qui inquiète beaucoup d’agriculteurs.

Préparer l’avenir

Alors si la solution existe, pourquoi n’est-elle pas généralisée ? Aujourd’hui, selon Sarah Singla, elle est utilisée, sous cette forme, dans 4 à 5 % des exploitations. Ce chiffre est en progression, mais c’est encore long. Car les freins existent. "Il y a un frein social : à certains endroits, on a peur que le voisin nous regarde mal. Il y a aussi des conflits de générations dans les exploitations. Il s’agit de remettre en cause des systèmes qui sont en place depuis des années. Il y a aussi un aspect psychologique, avec la peur de se lancer dans une technique pas encore maîtrisée." Il y a aussi la question du glyphosate (lire par ailleurs). C’est pour répondre à tous ces doutes que Sarah Singla, depuis dix ans, parcourt la France entière, afin de défendre sa méthode dont elle peut prouver l’efficacité sur le long terme. "Je n’y vois que des bénéfices, assure-t-elle. On accroît nos rendements avec des charges plus faibles donc on augmente notre marge par hectare. On a des sols qui répondent mieux et on voit aussi que la terre s’améliore. Chaque agriculteur, en complément de son acte de production, devrait avoir pour objectif de laisser un peu plus de terre sur Terre. J’ai la chance d’être agricultrice et j’espère laisser une terre qui sera encore plus fertile pour ceux d’après."

En 2019, Sarah Singla, avec le producteur réalisateur lotois François Stuck, est à l’origine du documentaire "Bienvenue les vers de terre". Dans celui-ci, ils donnent la parole à une dizaine d’agriculteurs d’Aveyron, du Lot, de Côte-d’Or et du Berry, qui pratiquent et travaillent au développement de l’agriculture de conservation et de régénération des sols. Depuis sa sortie, le documentaire a été diffusé dans la France entière, et Sarah Singla est souvent venue pour animer des conférences sur le sujet. En effet, en se lançant dans cette aventure, elle souhaitait "renouer un dialogue entre les agriculteurs et les consommateurs".

Le film a également été mis à disposition d’établissements d’enseignement agricole comme support pédagogique ainsi qu’auprès des organisations professionnelles agricoles, là aussi pour sensibiliser à ce type de pratiques culturales.

"Le glyphosate, indispensable pour la préservation des sols"

C’est forcément un de reproches qui est fait à l’agriculture de conservation des sols. Sans labour, il faut trouver une solution pour désherber le sol. Sarah Singla l’assume : "La meilleure solution, à l’heure actuelle, si on fait l’analyse bénéfices-risques, c’est le glyphosate." Bien consciente que ce discours va à contre-courant des discours écologiques ambiants, l’Aveyronnaise plaide pour une vision globale du sujet. "On se trompe de débat, assure-t-elle. On est en train de stigmatiser un outil sans regarder les finalités. Il faut voir les résultats et tous les bénéfices que l’agriculture de conservation des sols va produire. On tape sur le glyphosate sans savoir pourquoi."Pour l’agricultrice, le débat autour de ce produit est une aberration : "Si on voulait complètement l’interdire, cela demanderait aussi de la cohérence d’un point de vue politique : d’un côté, on veut interdire le glyphosate en France alors qu’il n’est jamais appliqué sur les cultures que nous faisons pousser – il est utilisé uniquement avant semis si besoin de nettoyer la parcelle - et de l’autre côté, on autorise massivement les importations de cultures telles que le soja OGM sur lequel du glyphosate est appliqué en cours de végétation." Mais au-delà, elle tient à rappeler que "l’histoire de l’agriculture est une histoire de désherbage. L’agriculture est née il y a 12 000 ans. Le premier désherbant de l’histoire de l’humanité, à l’âge de Cro-Magnon, était le feu. Le deuxième, c’est le désherbant mécanique, par le travail du sol, et le troisième, c’est la chimie".Pour Sarah Singla, la question du glyphosate est à se poser dans un ensemble : "Parmi les trois désherbants existants, le feu, la mécanique et la chimie, quel est celui qui a le moins d’impact au regard de tout ce que la société nous demande ? Il faut bien savoir que depuis que l’agriculture de conservation des sols existe, c’est la première fois dans l’histoire de l’humanité, qu’on arrive à restaurer la fertilité des sols et à remettre en culture des sols voués à devenir des déserts pour les générations d’après. Aujourd’hui, nous savons que grâce à elle, nous stockons du carbone dans les sols, nous réduisons l’érosion, nous préservons l’eau et nous améliorons la biodiversité. On fait de l’intensification écologique : plus on produit de biomasse à l’hectare, plus on peut laisser des surfaces naturelles intactes pour la faune sauvage. Nous répondons donc à toutes les attentes sociétales."
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Les commentaires (1)
Laurent__du_79 Il y a 6 mois Le 29/10/2023 à 19:15

C'est le climat qui a besoin d'eau et de végétation l'été. Le secret d'un bassin hydrologique en bonne santé c'est sa densité végétale (la référence étant la forêt de feuillus), plus on génère de biomasse plus on augmente le pouvoir de rétention d'eau des sols et donc de filtration, plus la densité végétale est importante et plus on alimente le cycle des pluies.