60 ans après la grande grève, les mineurs du Bassin de Decazeville se souviennent

  • C’était dur mais les mineurs aimaient leur métier.
    C’était dur mais les mineurs aimaient leur métier. Repro CP - Collection ASPIBD
Publié le
R.L. (DDM)

Décembre 1961. La mine est l’activité économique essentielle du bassin decazevillois quand tombe la mauvaise nouvelle : « la condamnation du bassin minier aveyronnais ». 60 ans après, Bini, Milou, Tine ou encore Yéton, quatre anciens mineurs se souviennent comme si c’était hier…Ils nous racontent ce mouvement historique dans l’histoire sociale, à l’heure où le territoire vit un nouveau mouvement pour l’emploi : celui des Sam. La Société aveyronnaise de métallurgie, premier employeur privé du bassin decazevillois depuis de nombreuses années, a été placée en liquidation judiciaire vendredi 26 novembre par le tribunal de commerce de Toulouse. Depuis, les 333 salariés occupent l’usine, zone des Prades à Viviez. Et comme un clin d’œil à l’histoire, ils ont décidé eux également de passer les fêtes ensemble sur le site.

Soixante ans après la « condamnation du bassin minier aveyronnais », ils sont toujours là. 60 ans après, ils se souviennent de cette « mort de leur activité » comme si c’était hier. Ils, ce sont quatre anciens mineurs : Paul Munoz, alias Bini, Émile Ruffié dit Milou, Eugène Garcia dit Yeton et René Marty dit Tine. Et ils racontent…


Bini, âgé aujourd’hui de 90 ans, est entré à la mine en 1945, à l’âge de 14 ans et demi. Son «classard », Milou, est lui entré en 1947 à 17 ans. Yéton en 1950 à 15 ans et le benjamin, Tine, en 1956, à 18 ans. Parcours identique pour tous, visite médicale, la mine école de Paylaret (Saint-Michel) pendant 2 ans, avec des descentes ponctuelles au fond de la mine de Bourran (Decazeville). Et puis la grande « plongée » dans les ténèbres des galeries noires.

Émile Ruffié dit Milou.
Émile Ruffié dit Milou. R.L. - DDM

« On ne savait pas qu’on n’allait pas revoir la surface pendant 66 jours. »

Bini se souvient de sa première journée de mineur : « Je suis descendu au puits 12 de Cransac qui était un puits de descente personnel mais aussi de matériel et j’ai été très impressionné, puis on prend l’habitude ». Le boutefeu Émile Ruffié dit Milou rebondit : « Sur Cransac, le puits 1 était le puits principal d’extraction du charbon et du personnel. Au Gua, le puits XV était une mine réputée être mine à feu. À Combes il y avait le Bannel et à Decazeville Bourran ». Mais sous terre, « tout se rejoignait », ajoutent-ils en chœur.

Arrive le 19 décembre 1961. 6 heures du matin, descente au fond comme d’habitude. « Sauf que l’on ne savait pas ce qui nous attendait. On ne savait pas qu’on n’allait pas revoir la surface pendant 66 jours. C’est au fond que l’Intersyndicale nous a annoncé la grève générale avec occupation du fond », se remémore la quadrette. Comment ont-ils accueilli cette annonce ? Difficilement, car rester éloignés de leurs familles était pénible à supporter. D’autant plus pour Bini et Tine dont les épouses étaient enceintes.

René Marty, dit Tine.
René Marty, dit Tine. R.L. - DDM

Odette, l’épouse de René Marty raconte : « Ce même jour, le 19 décembre une voiture, ou plusieurs, a sillonné le bassin pour signaler aux familles que leurs maris, pères, frères… ne rentreraient pas à la maison ». Le quatuor poursuit : « En s’engageant dans cette action, nous ne pensions pas qu’elle allait s’éterniser pendant 66 jours. Durant toute cette durée, nous ne sommes remontés à la surface qu’une fois, pour participer à la grande manifestation de Decazeville qui avait réuni 50 000 personnes. On a préparé des couches pour dormir avec de la paille, des matelas… les cabas nous parvenaient du jour, et puis pour tuer le temps, cartes, pétanque et même des quilles de 8 au fond ».

« La solidarité au fond était une valeur intrinsèque des mineurs… »

Eugène Garcia, dit Yeton.
Eugène Garcia, dit Yeton. R.L. - DDM

Ils poursuivent : « La solidarité au fond, qui était une valeur intrinsèque des mineurs, mais aussi celle extérieure, avec bien évidemment le soutien total de nos familles mais aussi celle de tout le monde ouvrier, les autres puits de mine, les différentes corporations, les paysans… Bref, tout le monde nous soutenait. Sachant que c’est tout la houillère qui était à l’arrêt pendant 66 jours, le fond, le jour, les bureaux… ».

Tout n’a pas été rose au fond de la mine. Bien au contraire. 66 jours sans voir le jour, sans voir ses proches, le tout avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête… « Être séparé de ses proches pour Noël a été très difficile à vivre. Il y a eu quand même une messe célébrée au fond. Et puis, certains de nos camarades se sont engagés, eux, dans une grève de la faim. Bini et Milou, qui ont connu la grève de 1948, longue de 55 jours, du 4 octobre au 29 novembre, font un parallèle en avouant qu’en 1948, elle avait été très dure à vivre car les CRS étaient partout et on mangeait à la soupe populaire… Quand il y en avait. Alors que là on était ravitaillé ».

Malgré leur courage, leurs convictions… tous se rendront à l’évidence. Leur combat, aussi dur a-t-il été, n’a pas aidé à inverser le cours des choses. « Si on considère que la grève avait été engagée pour sauver le fond, on peut dire que c’est un échec. La mine a fermé et entraîné le départ de nombreuses familles vers d’autres sites miniers. D’ailleurs, démographiquement et économiquement, ça a été le début de la fin, car sur plus de 4 000 emplois miniers, seuls 700 à 800 sont resté ici. » Globalement, cette situation n’a pas fait que des heureux, car s’il n’y a pas eu de licenciements secs, il y a eu aussi beaucoup « de casse morale ». La plupart des mineurs ont été mutés vers d’autres bassins miniers, comme Yéton à Carmaux. Il précise à ce sujet : « Après plusieurs années là-bas, je suis revenu au pays pour finir mon temps à la centrale ».

La vie n'a plus été la même

La vie n’a plus été la même après cette grève. Plus dure même. Partir n’était déjà pas facile en soi et ceux qui ont été obligés de le faire n’ont pas toujours été accueillis les bras ouverts. « Il y a eu également les usines de reconversion, un filon pour les investisseurs et la galère, doux euphémisme, pour les anciens mineurs que ce soit au niveau humain et financier. Mais en poussant la réflexion on peut tirer du positif. Deux d’entre nous, Bini et Milou, ont fini leur temps à la Découverte, au lavoir et à la centrale de Penchot. L’exploitation à ciel ouvert a duré encore quelques décennies et permis l’embauche de nombreux jeunes qui aujourd’hui touchent leur retraite de la mine. »

Paul Munoz dit Bini.
Paul Munoz dit Bini. R.L. - DDM

Pour les jeunes mineurs, une reconversion a été proposée. « Cela a été le cas pour René Marty, qui est entré à la SNCF, dont il est retraité aujourd’hui, mais je serai bien resté à la mine, où j’étais boutefeu et où je gagnais bien ma vie. J’ai mis plus de 15 ans à la SNCF pour rattraper le salaire de la mine ». Cette « aventure » restera à jamais gravée. Autant de souvenir qu’ils racontent encore aujourd’hui. Et tous sont unanimes sur un point : « Le métier de mineur est dangereux, très dangereux ».

Sam : "Il faut espérer que l'histoire ne se répètera pas" 

Au cours des conversations, ils se sont remémoré les copains qu’ils ont perdus, les coups de grisou mortels, mais aussi l’ambiance, la fraternité, la solidarité entre tous les mineurs, ce langage commun propre au fond. « Et ça, ça vaut tous les risques du monde. À la fin de la grève, nous étions soulagés. Nous avions aussi de la colère car on nous a, en quelque sorte, condamnés. Une colère qui a resurgi dans les années 80 et la fermeture de la sidérurgie et qui se poursuit aujourd’hui avec le combat de la Sam, et les menaces de fermeture. » Une Sam dont l’actualité rappelle celle des mineurs en 1961. « Mes fils y travaillent », lance Yeton. « Le mien aussi», complète René Marty. «60 ans après, il faut espérer que l’histoire ne se répétera pas. Et de se souvenir qu’un haut politique de cette époque, soi-disant mal accueilli, aurait dit qu’il transformerait le bassin en désert… On ne va pas y croire quand même ».
 


 

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