Un étonnant réseau de voleurs de livres russes découvert : plusieurs ouvrages dérobés en France, une université de Montpellier prise pour cible

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  • L’un des ouvrages saisis lors de l’opération coordonnée fin avril par Europol. L’un des ouvrages saisis lors de l’opération coordonnée fin avril par Europol.
    L’un des ouvrages saisis lors de l’opération coordonnée fin avril par Europol. Europol
Publié le , mis à jour
François Barrère

L’organisation criminelle visée fin avril par une opération coordonnée par Europol avait notamment sévi à l’Université Paul-Valéry de Montpellier.

Ils ont fait des repérages en 2023 à la bibliothèque de l’université Paul-Valéry Montpellier 3, ils sont passés à l’acte à la Bibliothèque nationale de France (BNF) à Paris, comme à l’École nationale supérieure de Lyon (ENS). Plusieurs membres d’un étonnant réseau international, spécialisé dans le vol d’éditions originales de grands auteurs de la littérature russe, ont été la cible d’une vaste opération coordonnée par Europol, le 24 janvier, en Géorgie et en Lettonie, après une première vague d’arrestations en France en novembre dernier.

Une centaine de policiers ont fouillé 27 sites, arrêté quatre suspects et récupéré plus de 150 livres, dont l’un au moins avait été dérobé en 2023 en France, alors que des vols similaires ont été recensés depuis deux ans en Tchéquie, en Estonie, en Finlande, en Allemagne, en Pologne et en Suisse.

170 livres volés, un préjudice de 2,5 millions d’euros

"Ce groupe criminel serait responsable du vol d’au moins 170 livres, causant un préjudice financier s’élevant à environ 2,5 M€, et une perte patrimoniale incommensurable pour la société. Certains de ces objets historiques ont été vendus aux enchères à Saint-Pétersbourg et à Moscou, les rendant ainsi irrécupérables", précise l’organisation policière européenne, qui a centralisé les informations d’une dizaine de pays concernés.

Car depuis 2022, un gang de Géorgiens, se prétendant universitaires, est au cœur du soupçon. Ils demandaient à consulter dans les plus grandes bibliothèques européennes des éditions originales des fleurons de la littérature russe du XIXe siècle : Pouchkine, Gogol Tolstoï ou Dostoïevski. La directrice de la bibliothèque de l’université de Varsovie a démissionné après le vol de toute la collection d’éditions de Pouchkine (plus d’un million d’euros de préjudice), celle de Vilnius estime à 450 000 € le butin raflé par les voleurs.

Certains s’enfuient directement avec les ouvrages, en profitant d’inattention du personnel, comme à l’ENS de Lyon, où une édition de Boris Godounov de 1825, estimée à 70 000 €, a disparu. D’autres ont une technique beaucoup plus élaborée : ils viennent à plusieurs reprises et passent des heures à étudier les ouvrages, en les photographiant et les mesurant avec minutie. Après coup, plusieurs bibliothèques découvrent que les livres originaux ont été remplacés par des faux, très bien exécutés. Neuf éditions rarissimes de Pouchkine et de Lermontov ont ainsi été subtilisées à la BNF de l’Arsenal, dans le IVe arrondissement de Paris, entre mars et octobre dernier. Coût estimé : 650 000 € !

Face à ces vols, une alerte est diffusée chez les bibliothécaires, et une enquête ouverte par les policiers de l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC). Les responsables universitaires ouvrent l’œil : ils ont raison.

"Un usager parlant russe s’est présenté la semaine du 2 octobre 2023 à la bibliothèque Ramon Llul en demandant si nous avions de telles éditions. Il est reparti rapidement puisque nous n’avions aucun ouvrage ancien en russe. Comme il avait l’air assez suspect, insistant, nous avons contacté le service de police chargé de l’enquête", indique-t-on à l’Université Paul-Valéry Montpellier 3. Les policiers ont examiné les images de vidéosurveillance du campus, mais l’individu, visiblement venu en repérage, n’était pas l’un de ceux déjà identifiés.

Un réseau "structuré, organisé et itinérant".

Début novembre 2023, Mikheil Z., un Géorgien de 48 ans, recherché sur mandat d’arrêt pour les vols de Vilnius et de Varsovie, est arrêté à l’aéroport de Bruxelles. C’est aussi lui le mystérieux chercheur qui aurait subtilisé les ouvrages de la BNF. Fin novembre, Valerian R., un Géorgien de 57 ans, est à son tour incarcéré en France après avoir été arrêté dans le Doubs.

Les dernières arrestations viennent compléter le tableau déjà dressé par les policiers de l’OCBC : un réseau "structuré, organisé et itinérant, composé de malfaiteurs chevronnés", certainement attiré par l’appât du gain et les faibles risques de ces larcins très rentables. Mais l’hypothèse d’un projet plus politique et de grande ampleur "visant à rapatrier ce précieux patrimoine culturel devenu symbolique et identitaire" n’est pas exclue, dans un pays obsédé par le nationalisme où Vladimir Poutine ne cesse de vanter l’identité, voire la supériorité culturelle russe : les vols ont débuté deux mois après l’attaque de l’Ukraine.

L’affaire rappelle aussi que nos bibliothèques contiennent de véritables trésors, qu’il faut protéger des convoitises. En février 2022, un réseau composé de Polonais et d’un Hongrois, de mèche avec un antiquaire de Berlin, avait été lourdement condamné à Béziers pour avoir volé 82 cartes géographiques, découpées dans des livres du XVIe siècle, notamment à la bibliothèque de la faculté de médecine de Montpellier, mais aussi à Avignon et Clermont-Ferrand.

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