DECRYPTAGE. Pour le politologue aveyronnais Dominique Reynié : "Cette séquence sur la réforme des retraites confirme la poussée des forces populistes"

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Publié le , mis à jour

L'Aveyronnais Dominique Reynié, politologue, professeur à Sciences Po et président de la Fondation pour l’innovation politique, pose son regard sur la décision du Conseil constitutionnel rendue vendredi 14 avril sur la réforme des retraites.

Quel regard portez-vous sur la décision du conseil constitutionnel  ?

Je n'avais pas anticipé de décision particulière mais je considérais qu'il y avait deux types de décisions à observer différemment. D'abord, la décision sur la validation de la partie la plus importante du texte, le report de l'âge légal à 64 ans, et la réponse à la proposition de référendum d'initiative partagé (RIP). Et pour cause, on aurait pu avoir d'un côté une validation de l'âge et de l'autre, une validation du RIP. Ou bien aussi, une invalidation des deux.

La validation du report de l'âge légal et du RIP me semblait impossible pour des raisons de logique

La validation des deux me semblait impossible pour des raisons de logique. Je ne parle pas d'impossibilité juridique. Pourquoi ? Cela aurait voulu dire, d'un côté, on valide la loi faisant passer à 64 ans l'âge de départ à la retraite. Et de l'autre côté, on valide la demande de RIP pour remettre en cause cette loi. 

Emmanuel Macron avait 15 jours pour promulguer la loi. Il l'a finalement fait dans la nuit du vendredi 14 au samedi 15. Comment doit-on l'analyser ?

Mon sentiment qu'Emmanuel Macron a voulu manifester la fin de ce cycle puisqu'il y avait déjà dès vendredi soir, des demandes de non-promulgation de la loi des syndicats. Il était question d'adresser, cela a été dit médiatiquement, au président de la République, la demande de non-promulgation du texte.

Ce qui avait été le choix de Jacques Chirac au moment du CPE. On voit une trace ce qu'avait fait la droite chiraquienne. Cela donne le sentiment de "parce que cela a été déjà fait, c'est encore possible".

On est contre une loi, elle est adoptée et on continue à être contre parce qu'on pense qu'elle ne pourrait pas être promulguée. Cela étend le champ de la contestation du pouvoir législatif jusqu'à ce que la loi soit promulguée par le pouvoir exécutif.

Pour Emmanuel Macron, c'est une manière de dire : "Il n'y aura plus de conflit social". 

Ne risque-t-on pas un "embrasement" du pays ?

Depuis le départ, j'ai toujours défendu la thèse qu'il n'y avait pas cette mobilisation dont on parle dans le débat public et médiatique. Je ne la reconnais pas.

La référence aux sondages ne m'a pas convaincu pour signifier l'opposition massive de la France sur le sujet

En matière de sondages d'opinion, les Français ne sont pas favorables à ce passage à 64 ans, ce qui n'est pas surprenant. C'est là que je trouve que les enquêtes d'opinion ont parfois des limites. Si l'on pose comme question "Est-ce que vous voulez travailler plus ?", il est normal que la réponse est non.

En revanche, si la question était : "Est-ce que vous voulez travailler plus ce qui permettra aux nouvelles générations de bénéficier du système par répartition ?", on n'aurait pas eu les mêmes résultats. Je ne sais pas s'il y aurait une majorité de oui mais le résultat aurait été autre.

Dans le passé, il y a eu des mobilisations plus importantes

Aussi, la référence aux sondages ne m'a pas convaincu pour signifier l'opposition massive de la France sur le sujet. Pour moi, il n'y a pas de mobilisation historique. Quand on regarde la moyenne des manifestations qui ont eu lieu, on arrive à 780 000 personnes en moyenne par manifestation. Et les pics qui ont eu lieu autour d'1,2 millions, cela n'a rien d'historique sur un tel événement.

Dans le passé, il y a eu des mobilisations bien plus importantes, je pense, par exemple, à celles qui ont fait chuter Alain Juppé en 1995. D'ailleurs, deux des Sages du Conseil constitutionnel, ont, dans leur histoire, un rapport avec les retraites. Laurent Fabius, le président, lorsqu'il était membre du gouvernement Mauroy qui a fait passer la retraite à 60 ans. Et Alain Juppé, qui n'a pas réussi entre 1995 et 1997, à réformer le système des retraites comme il le proposait. 

Ces manifestations ont été honorables dans une France qui compte 49 millions d'électeurs.

Le président de la République et les syndicats s'y sont mal pris successivement et simultanément

Peut-on parler de victoire pour Emmanuel Macron et a contrario de défaite pour l'intersyndicale ou non ?

Le président de la République et les syndicats s'y sont mal pris successivement et simultanément. C'est frappant. Emmanuel Macron n'a pas su expliquer sa réforme. Et il n'a pas su faire porter son explication par suffisamment de personnalités politiques de poids. Cela s'est donc cristallisé sur sa "figure", sur sa personne. Cela explique ce phénomène d'impopularité. 

Les syndicats s'y sont mal pris aussi car on n'a jamais entendu avec clarté leurs propositions alternatives ou a contrario qu'il ne fallait rien faire lorsque les choses étaient satisfaisantes en l'état. 

Il y a une revendication qui a été totalement passée sous silence à la fois par les syndicats et le chef de l'Etat, c'est la question intergénérationnelle. Le système par répartition meurt de notre situation démographique. C'est programmé. Il n'y a pas assez d'actifs qui naissent. Demain, les nouvelles générations n'auront pas de système de retraite dès lors qu'il n'y a pas les effectifs d'actifs correspondant aux générations antérieures. Donc, dans ce cas-là, la logique, c'est de travailler plus longtemps, si on veut garder un système par répartition.

Cet argument-là, il n'a pas été porté avec force par le chef de l'Etat et le gouvernement. Les syndicats auraient pu critiquer cet argument. Ils ont même essayé d'embarquer les nouvelles générations dans l'opposition à la réforme. Cela a été confusément perçu. Les deux parties, de ce point de vue, se sont mal débrouillées.

Aussi, les syndicats me paraissent ressortir en difficultés de cette séquence. Ils montrent une sorte de faiblesse à convaincre l'opinion et peser significativement par l'argumentation. 

Emmanuel Macron sort gagnant plus que vainqueur de cette confrontation mais il doit changer

Pour le chef de l'Etat, cela n'est pas une victoire. Il sort gagnant plus que vainqueur de cette confrontation. Mais il doit changer. C'est une question de méthode du président. S'il ne saisit pas cette crise pour passer dans une étape où l'on va voir clairement un gouvernement agir avec des ministres qui vont se mettre en avant et peser plus lourd politiquement, cela va devenir compliqué pour Emmanuel Macron. Il ne peut pas continuer à rester dans un rapport frontal. 

"Je craignais l'hypothèse du RIP"

"Si la deuxième demande de RIP (référendum d'initiative partagée) est accepté, pour moi, ce serait une nouvelle très importante qui aurait parmi ses conséquences, la capacité d'achever la métamorphose de la politique française en un système favorable aux partis populistes".

"Si il y avait eu validation du RIP vendredi 14 avril, cela signifiait la chose suivante : ceux qui considèrent que la démocratie représentative parlementaire est inférieure à la démocratie plébiscitaire ou référindaire vont avoir raison. Autrement dit, "ce qui a été fait au sein du système parlementaire peut être défait non pas par une opposition majoritaire au Parlement mais par un mouvement manifestant qui se transforme par hypothèse en un référendum qui par hypothèse aussi serait hostile au texte législatif". C'était l'espoir de ceux qui avaient déposer la demande de RIP. Cela revenait à dire que la démocratie parlementaire était officiellement considérée comme contestable par la rue et par le référendum.

"De mon point de vue, cela aurait validé l'orientation populiste de la politique française. Je craignais l'hypothèse d'un RIP. Cela voulait dire qu'il y avait neuf mois pour recueillir les signatures ; une fois recueillies, il fallait une validation par le Conseil constitutionnel. Ensuite, on avait six mois pour que les assemblées examinent ce projet. Au terme de ce délai, le président de la République devait convoquer un référendum".

"Cela nous amenait au minimum jusqu'à l'automne 2024. On aurait alors eu depuis vendredi soir jusqu'en 2024, une grande compétition de signatures entre les organisations politiques les plus capables de porter ce thème du référendum, à savoir La France insoumise et le Rassemblement national. Les 5 millions de signatures, elles auraient été atteintes sans problème. "Au passage, les élections européennes auraient été prises dans ce maestrum, les Jeux olympiques exposés à cette expression populaire et manifestante. On était, de fait, pas loin d'aborder les élections locales de 2026 dans cette même ambiance. Et presqu'assurément, cela donnait la couleur principale de la Présidentielle de 2027. Avec une possibilité, je ne l'exclus pas aujourd'hui, de voir au second tour Marine Le Pen et Jean-Luc Mélanchon".

On ne parvient toujours pas à voir la reconstruction du système des partis qui a été dynamitée entre 2016 et 2017 par les primaires à gauche et à droite et par la Présidentielle de 2017

Et maintenant ?

S'agissant de la loi elle-même, elle va s'appliquer au fur et à mesure. Les effets ne vont pas s'en faire ressentir maintenant. En revanche, la question qui se pose est : "Que fait-on maintenant ?" Comment gouverne-t-on sous la Ve République avec une majorité relative ? 

Une nouvelle notion cette fois-ci, la présence de la violence (...) Je ne confonds pas les manifestants et les casseurs

Que faut-il retenir de cette séquence des retraites ?

On ne parvient toujours pas à voir la reconstruction du système des partis qui a été dynamitée entre 2016 et 2017 par les primaires à gauche et à droite et par la Présidentielle de 2017.

Cela confirme la poussée des forces populistes, avec une notion nouvelle cette fois-ci, la présence de la violence. Je ne confonds pas les manifestants et les casseurs. Mais, malgré tout, c'est une présence quasi systématique et impressionnante. C'est donc plutôt un populisme de droite qui va tirer les marrons du feu. 

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