Grand format. "Une expérience incroyable avec des moyens parfois dérisoires" : les pompiers de l'Aveyron sur le front des mégafeux au Canada

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  • Le lieutenant Olivier Rouquette a fait partie du premier détachement de l'aide internationale au Canada.
    Le lieutenant Olivier Rouquette a fait partie du premier détachement de l'aide internationale au Canada. Sdis 12 - Olivier Rouquette
  • Au plus près des flammes. Au plus près des flammes.
    Au plus près des flammes. Sdis 12 - Olivier Rouquette
Publié le , mis à jour

Pendant trois semaines, le lieutenant Olivier Rouquette, sapeur-pompier volontaire en Aveyron, a lutté contre les incendies monstres qui ravagent le Canada, dans le cadre des renforts internationaux. Il raconte.

Cette année 2023 est en train de pulvériser un triste record : quand 7,1 millions d’hectares étaient partis en cendres en 1995 (précédant record), il n’aura fallu que 6 mois pour comptabiliser déjà 10 millions d’hectares de surface brûlée cette année. Soit un cinquième de la surface hexagonale de la France.

Reconnaissance aérienne pour déterminer les moyens à engager sur place.
Reconnaissance aérienne pour déterminer les moyens à engager sur place. Sdis 12 - Olivier Rouquette

Enfant, beaucoup ont rêvé de devenir pompier. Pour combattre le feu, conduire un camion rouge, sauver les gens. Aujourd’hui âgé de 54 ans, Olivier Rouquette est devenu imprimeur mais réalise son rêve de gosse en Aveyron. Pompier volontaire depuis 38 ans, cet Aveyronnais pure souche est adjoint au centre de secours de Saint-Affrique.

Pouvez-vous vous présenter ? 

Je suis pompier volontaire depuis le 1er juillet 1985. J'ai fait mon service militaire chez les pompiers de Paris. J'ai gravi les échelons petit à petit. Je suis officier depuis 2005.

J'ai passé des spécialités dont celles de feux de forêt. À ce jour, je suis adjoint au chef de centre de secours de Saint-Affrique. 

Pouvez-vous nous expliquer ce qu'on appelle un mégafeu ?

C'est un feu important, hors de contrôle. La forêt au Canada, c'est 362 millions d'hectares

En 2022, 300 000 hectares ont été détruits. Cette année, quand nous sommes repartis, 6 millions avaient été déjà été ravagés.

Pourquoi ont-ils besoin d'un recours à l'aide internationale ?

Il n'y a pas de pompiers qui traitent les feux de forêt. C'est une société privée qui s'appelle Sopfeu (société de protection contre les feux de forêt), financée par l'Etat. 200 personnes y travaillent à l'année. L'été, ils embauchent 300 saisonniers. Ils sont appelés les combattants.

Trois semaines sur place en juin.
Trois semaines sur place en juin. Sdis 12 - Olivier Rouquette

Ils ont en charge la protection des forêts. Cette année, les incendies ont commencé très tôt, alimentés par beaucoup de départs et une sécheresse précoce. Il y a des feux qui se retrouvent en progression libre, sans surveillance. Avec 500 personnes pour traiter des centaines et des centaines de feux, ils n'y arrivaient plus. L'aide internationale a été sollicitée à ce moment-là.

Premier détachement international et français sur place

Début juin, j'ai fait partie du premier détachement international et de pompiers français sur place. 

Deux autres pompiers de l'Aveyron toujours sur place

Un deuxième détachement français est parti jeudi 29 juin avec deux pompiers de l’Aveyron : l’adjudant-chef Nicolas Muret (de l’état-major) et le caporal Cyril Caron (d’Espalion). Avec 100 autres sapeurs-pompiers français, ils entament une nouvelle mission pour protéger les populations de ces feux incontrôlables.

Comment avez-vous été sélectionné ?

Le Cogic, le centre opérationnel de gestion interministérielle des crises, a demandé aux services départementaux d'incendie et de secours (Sdis) si des pompiers étaient volontaires pour partir en renfort au Canada pendant trois semaines. 

Le dimanche 4 juin après-midi, j'ai reçu un message de mon chef de centre. Il fallait répondre le soir avant 21 h. Encouragé par mon épouse et soutenu par mes salariés qui ont accepté de tenir la boutique pendant trois semaines, j'ai postulé.

Engagé avec 108 pompiers français 

Quatre jours après, j'ai décollé depuis Marignagne, dans les Bouches-du-Rhône, avec 108 autres soldats du feu français (professionnels et volontaires) et 40 militaires de la Sécurité civile. J'étais le seul représentant aveyronnais. Je suis parti avec trois pompiers du Tarn.

Le lieutenant Rouquette à droite et ses trois collègues du Tarn.
Le lieutenant Rouquette à droite et ses trois collègues du Tarn. Sdis 12 - Olivier Rouquette

Et une fois sur place ?

Ce sont nos cousins, donc l'avantage, c'est que nous n'avions déjà pas la barrière de la langue.

La priorité était de nous former et nous informer sur leur manière de travailler et leurs techniques. Notamment, avec l'hélicoptère car ils travaillent énormément avec les moyens aériens. On a appris à monter et à descendre d'un hélicoptère, notamment, lorsqu'il est en stationnaire à 40 m du sol.

L'hélicoptère est un outil clé de la lutte contre les feux de forêts au Canada.
L'hélicoptère est un outil clé de la lutte contre les feux de forêts au Canada. Sdis 12 - Olivier Rouquette

Qu'est-ce qui différencie les pompiers canadiens des pompiers français ?

Premier point, ils n'ont pas de camions de feu de forêt. Ils travaillent avec des moto-pompes et des longueurs de tuyaux. Niveau matériel, ils fournissaient par équipe une moto-pompe avec un jerricane d'essence, des tuyaux de 30 m et une caisse pour mener à bien un établissement de lance.

On nous acheminait soit au moyen de pick-up, soit par les airs. 

Vous êtes arrivés à 109 et vous repartirez à 109

Qu'est-ce qui vous a marqué ?

Ce qui nous a surpris, c'est qu'ils ne travaillent pas la nuit. A contrario, en France, on profite de la nuit et de la fraîcheur pour attaquer le feu. 

Nous avons été déployés sur un feu de plus de 15 000 ha qui n'avait pas encore été attaqué

D'ailleurs, le premier objectif fixé par le gouvernement canadien a été de nous dire : "Vous êtes arrivés à 109 et vous repartirez à 109." 

Le second objectif : nous avons été déployés sur un incendie qui n'avait encore jamais traité.

Défendre un village indien

Quelle était la particularité de ce feu ?

Il était hyper important. Il faisait plus de 15 000 hectares quand nous sommes arrivés. Il fallait défendre un village indien qui se situait à 15 km de l'incendie.

Des reconnaissances en hélicoptère ont d'abord été effectuées afin de déterminer où déployer les moyens. Nous sommes restés entre dix et quinze jours dessus. On a logé dans un camp forestier. Nous avions à disposition quatre hélicoptères et onze 4x4 pick-up.

Le gros avantage, c'est qu'il y a plein de petits lacs et rivières

Le gros avantage, c'est que dans l'immensité de la forêt, il y a plein de petits lacs et ruisseaux qui permettent d'alimenter les pompes. Une fois qu'elles sont en marche, on a de l'eau toute la journée, sans se soucier de la ressource.

Les lacs et les rivières permettent d'avoir de l'eau en permanence.
Les lacs et les rivières permettent d'avoir de l'eau en permanence. Sdis 12 - Olivier Rouquette

L'enjeu, c'est de contenir les feux et d'enrayer la propagation. Nous sommes rentrés fin juin. Et le nouveau détachement qui a pris notre relève nous a fait savoir que le gros feu sur lequel nous avions été entre autres détachés, était considéré depuis le 6 juillet comme éteint. Il demeure toutefois sous surveillance car il reste encore des points chauds.

L'autre difficulté à gérer, c'était les moustiques

Sur place, l'autre difficulté à gérer, c'était les hordes moustiques. Comme il y a de l'eau partout et qu'il fait chaud, on s'est fait "attaquer". On s'habillait énormément mais avec la chaleur, c'était compliqué à gérer. Ils ont des grosses mouches qui piquent, cela ne fait pas rire.

La technique du contre-feu, ce n'est pas dans leur ADN

Côté accueil, on nous a merveilleusement bien accueillis. Ils nous ont bichonnés.

Avez-vous pu utiliser la technique du contre-feu ?

Non, ils n'exploitent pas du tout le contre-feu ou le feu tactique. Ce n'est pas dans leur ADN. Nous avions avec nous des personnels spécialisés et du matériel nécessaire mais nous n'avons pas pu l'exploiter. C'est dommage. Ils n'ont pas encore cette culture

Mais ils ne sont pas fermés. L'avantage, c'est que l'on a pu échanger. D'ailleurs, ils envisagent de se remettre en question sur les techniques à employer. Et envisager de s'inspirer des pratiques qui se font ailleurs, en France notamment mais aussi dans le reste de l'Europe.

Les feux de sol et de sous-sol sont les plus compliqués à éteindre

Quand peut-on espérer que ces feux s'éteignent ?

Il y a deux choses : d'un côté les feux d'humus qui se trouve dans le sol avec les racines qui brûlent. Ce sont les plus compliqués à éteindre.

Ces feux de sol et de sous-sol, ils s'éteindront définitivement à l'automne avec les grosses pluies et la neige.

Ensuite, il y a les feux de surface dont le but est de les enrayer, de noyer les lisières.

Y a-t-il des largages aériens ?

Oui. Le matin et le soir, les hélicoptères avaient pour rôle de conduire les équipes sur le terrain. 

Le reste de la journée, il faisait des largages.

Que retenez-vous de ces trois semaines ?

C'est une expérience extraordinaire dans une carrière de pompier. On a créé de vrais liens avec les collègues de la zone sud.

Et forcément, une nouvelle façon de travailler. Comment sans camions, ils arrivent à traiter les incendies.

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