Les grands événements de l’Aveyron au XXe siècle

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Centre Presse Aveyron

Histoire. Lire Les grands événements de l’Aveyron, recueil écrit par Jean-Michel Cosson, c’est découvrir ou redécouvrir grands et petits événements, hommes et femmes célèbres, faits divers sordides ou insolites et faire du lecteur, le spectateur d’une actualité qui lui permet en fin de compte de poser un regard éclairé sur ce siècle qui nous a vus naître. 

Sans faire injure aux siècles précédents, le XXe siècle est porteur en Aveyron de profonds changements, tant politiques, qu’économiques, que sociaux ou culturels. Bien que l’Aveyronnais reste très attaché à ses racines et à ses traditions, il s’est ouvert au Monde, a évolué, s’est transformé au fil des décennies, s’ancrant dans sa propre histoire tout en conservant son identité. Les grands événements de l’Aveyron, c’est découvrir ou redécouvrir grands et petits événements, hommes et femmes célèbres, faits divers sordides ou insolites et faire du lecteur, le spectateur d’une actualité qui lui permet en fin de compte de poser un regard éclairé sur ce siècle qui nous a vus naître. Voici la cinquième partie de cette épopée par Jean-Michel Cosson.

1913

Les soldats du 122e RI se mutinent  

Le mercredi 21 mai 1913, entre 18 et 20 heures, cent cinquante soldats s’entassent au café Divan, place de la Cité. Pour ne pas donner du grain à moudre aux mouchards, on fait passer l’information de table en table. En sourdine, Jacques Chazottes harangue les plus indécis : "À 10 heures, ce soir, à l’appel du tambour et du clairon, les soldats qui voudront manifester leur opposition à la loi des trois ans qui prive nombre d’entre nous de rentrer dans nos foyers descendront dans la cour de la caserne puis, tous ensembles, nous irons manifester dans les rues endormies". Au quartier général, le commandant Anjelby apprend qu’une réunion de soldats s’est tenue au café Divan.

  • Vers les 20 heures, il convoque quelques officiers et se rend sur les lieux. L’endroit est calme et désert. Rien, en apparence, ne laisse présager un mouvement de révolte. 
  • À 22 heures précises, Jacques Chazottes se lève, enfile son tambour puis, à pas feutrés, descend dans la cour de la caserne. Au roulement du tambour, Louis-Henri Brévié se précipite à la fenêtre pour sonner le clairon. Aux signaux de ralliement, des sifflets et des cris se font entendre dans les bâtiments. Des groupes assez nombreux d’hommes en armes, tenue de campagne mais sans sac, dont un certain nombre ont mis baïonnette au canon, sortent par les portes des trois bâtiments. C’est le moment choisi par le commandant pour intervenir. Deux sous-officiers se jettent sur Chazottes pour l’immobiliser et l’empêcher de battre. Aux ordres de leurs officiers, les soldats surpris, reculent, évitant de désobéir. L’échec est complet. Les soldats ne sortiront même pas de la caserne. 
  • À 23 heures, le calme est rétabli! Quinze mutins dont deux caporaux sont mis aux arrêts. Après interrogatoires, le tambour Chazottes, les soldats Brévié et Marquès sont considérés comme les principaux meneurs. Leur réveil sera difficile. Le lendemain, dix-sept soldats sont transférés sous bonne escorte à Montpellier. Un mois plus tard, treize d’entre eux passent en conseil de guerre. Quatre ont auparavant bénéficié d’un non-lieu. Après trois heures de débats, la sentence tombe, impitoyable: les soldats Brévié, Chazottes et Marquès sont condamnés à cinq ans de travaux publics pour révoltes, instigation à la révolte et outrages en service. Pour les dix autres inculpés, les peines varient de quatre mois à quatre ans de prison. 

L’attentat de Couffouleux

Pendant plusieurs mois, pour une affaire de livre scolaire interdit par l’évêché, l’attentat de Couffouleux défraye la chronique et relance la guerre scolaire. Le 11 novembre 1912 au soir, vers 22 heures, les instituteurs de Couffouleux, les époux Donat, se disposent à passer de la cuisine à leur chambre à coucher quand ils entendent un grand bruit dans la pièce à côté. Emile Donat se précipite, muni d’une lampe. Deux carreaux sont brisés sur le sol et l’un des volets est perforé en deux endroits. L’instituteur ouvre aussitôt la fenêtre. Ne voyant personne, il descend devant sa porte mais la nuit est trop obscure et il ne distingue rien. Revenu dans la pièce, il constate avec son épouse qu’une balle a éraillé le plafond tandis qu’une autre s’est carrément logée juste au-dessus du lit. Les balles sont de gros calibre comme les chasseurs en utilisent pour le sanglier.

L’affaire, on s’en doute, fait grand bruit. Le député de l’Aveyron, Cabrol, s’en fait l’écho au ministre de l’Intérieur. Jaurès, à son tour, intervient à la Chambre pour réclamer justice. En quelques semaines, Couffouleux devient le point d’ancrage de l’actualité nationale. De nombreux journalistes débarquent à Couffouleux, décrivant l’image falsifiée d’une France profonde et très caricaturale. L’enquête fait, en attendant, son chemin. Le 13 mars 1913, le juge d’instruction décide enfin d’inculper Emile Bonnet, de Fabrègues, pour tentative d’assassinat. De forts soupçons pèsent contre lui. Son fils n’a-t-il pas fréquenté l’école? N’en a-t-il pas été exclu par Emile Donat pour avoir refusé de se servir du manuel Guiot et Mane? Lui-même n’a-t-il pas manifesté à plusieurs reprises sa fureur dans le village? Il est d’autre part chasseur de sangliers et les balles qui se sont fichées dans le plafond des Donat sont, d’après l’expertise d’un armurier de Rodez, du même type que celles utilisées par Bonnet. À Couffouleux, la nouvelle de l’arrestation provoque une intense émotion. Le 24 mars, un groupe de soutien distribue à Saint-Affrique un imprimé tiré à cinq mille exemplaires.

La presse catholique prend la défense d’Emile Bonnet qui est remis en liberté sous caution, le 1er avril 1913. Le 2 juin suivant, il est renvoyé devant les assises de l’Aveyron. Le procès dure toute la journée. Trente-deux témoins à charge défilent à la barre. Emile Bonnet est défendu par Me de Castelnau; les époux Donat, par MePaul Ramadier qui entame là une brillante carrière. Comme on peut s’y attendre, le débat tourne vite non sur le geste de Bonnet mais sur la défense des valeurs laïques ou catholiques selon le camp que l’on défend. La nuit est déjà tombée quand les jurés se retirent pour délibérer. Une heure plus tard, ils reviennent avec un verdict d’acquittement en faveur d’Emile Bonnet. Mieux encore la Cour, après avoir refusé le franc de dommages et intérêts à la partie civile, condamne cette dernière aux dépens. Dans la presse radicale, c’est un tollé général. "Les victimes, affirme Clemenceau, sont en fait les seuls condamnés!" Quant aux partisans d’Emile Bonnet, à l’annonce du verdict, ils improvisent un défilé de joie dans les rues de Rodez.

1914

Le clairon Rolland, symbole du patriotisme français

Après avoir été honoré, chez lui, à Lacalm, en août 1913, en présence du général de Castelnau et de toutes les autorités, venues en foule inaugurer la statue dédiée au héros de Sidi-Brahim sur la place de son village, Guillaume Rolland est reçu à Paris le 22 février 1914 lors d’un grand banquet organisé par les Rouergats de Paris, en présence du Président de la République, Raymond Poincaré. Profitant de cette occasion, il a demandé au président d’user de sa clémence en faveur des mutins du 122e RI. Appel appuyé par les députés de l’Aveyron.

Passé prestigieux mais humble que celui de Guillaume Rolland, né aux Buffières, commune de Lacalm, le 18 septembre 1821. Engagé dans l’armée, il participe aux campagnes africaines du père Bugeaud qui tente de pacifier le nord au profit de la colonisation française. Son heure de gloire sonne lors du fameux combat de Sidi-Brahim où, malgré une résistance héroïque, l’armée française est décimée. Rolland en sortira prisonnier non sans avoir auparavant sonné la charge avec son fameux clairon, entré dans la légende et qu’il n’hésite jamais à montrer lors des cérémonies en son honneur. Guillaume Rolland meurt en 1915, à l’âge de 94 ans. Un buste, inauguré en 1948, trône depuis dans un petit parc à l’entrée du village de Lacalm alors que son fameux clairon, ses décorations et des souvenirs sont accrochés sur un mur de l’église.

Les élections législatives

Dans une ambiance délétère où radicaux et conservateurs se rendent coup pour coup, les élections législatives montrent à quel point la population est divisée… avant l’Union Sacrée. Le premier tour se déroule le 16 avril 1914. Dans la 1re circonscription de Rodez, le docteur Augé se représente après sa victoire en 1912 contre le radical Eugène Raynaldy. Mais cette fois, il a face à lui le maire de Rodez Louis Lacombe, défait en 1906 par Joseph Monsservin, devenu depuis sénateur. La lutte serrée voit le docteur Augé l’emporter pourtant dès le 1er tour avec 7071 voix contre 6564 voix à Louis Lacombe. La campagne, plus conservatrice que Rodez où Lacombe arrive en tête, a fait la différence. Dans la 2e circonscription, nulle surprise. Bien en place, le sortant Gaffier est réélu avec 6884 voix contre Rey, 6598 voix. Pas plus d’ailleurs que sur les deux circonscriptions de Villefranche-de-Rouergue. Les deux sortants, Cibiel dans la 1re et le socialiste Cabrol dans la 2e sont réélus dès le premier tour. Le premier l’emporte avec 5589 voix contre Hild (4875) tandis que Cabrol l’emporte avec près de 800 voix d’avance (7913 contre 7162) face à Panassié.

Les résultats étaient surtout attendus à Espalion, Saint-Affrique et Millau. À Espalion, le radical de Saint-Geniez Talon l’emporte sur l’ancien député Massabuau par 6483 voix contre 5627. Comme pressenti, vu le nombre de candidats en lice, les circonscriptions de Millau et de Saint-Affrique sont en ballottage. Dans la cité gantière, le maire Balitrand arrive en tête avec 6278 voix devant Molinié, 5361 voix, Palis, 1377 voix et Vezinhet, 1737. À Saint-Affrique, la bataille est encore plus serrée. Sur fond de lutte anticléricale après l’affaire de Couffouleux, De Castelnau passe en tête avec 6212 voix face à Etienne Fournol alors que Bonnafé totalisait 585 voix. Les électeurs doivent donc retourner aux urnes dans ces deux circonscriptions. Le 10 mai, le radical Balitrand l’emporte à Millau devant Molinié par 7596 voix contre 7309 voix. À Saint-Affrique, c’est De Castelnau qui vire en tête devant Etienne Fournol par 6911 voix contre 6509 voix. Un résultat vivement contesté par Fournol en raison d’un certain nombre d’irrégularités. Une commission de la chambre des députés diligente même une enquête. La guerre déclarée, Fournol refusera d’aller jusqu’au bout. Ainsi, à la veille du grand conflit mondial qui bouleversera l’Europe entière, la donne n’évolue pas en Aveyron concernant le rapport de forces politiques. Quatre députés de droite font face à trois députés de gauche dont un socialiste, Cabrol.

La guerre !

C’est aux champs, à l’usine ou aux bureaux que les Aveyronnais entendent, le 2 août, les cloches sonner la déclaration de guerre et l’ordre de mobilisation générale. "Nous savons, écrit l’un des appelés, que nous allons mourir, mais nous ne le croyons pas». Le jour indiqué par leurs fascicules, tous les appelés partent rejoindre leurs corps à pied et en train. Le patriotisme se mêle à l’angoisse du grand sacrifice que chacun devra donner pour vaincre. "J'’emporte dans mes yeux et dans mon cœur des impressions triomphantes. Plus une larme, plus une plainte. Tous les hommes vont à la gare accompagnés par leurs parents avec un calme, une résolution et une confiance qui dépassent l’entendement humain. Beau peuple de France, devant toi on reste confondu! Il ne restera plus que les femmes aux foyers déserts, mais elles ont en elles l’espoir du triomphe et de la revanche éclatante." "Ma chère maman, écrit un autre appelé, nous partons ce soir dans quelques heures. Pendant que je t’écris le premier bataillon vient de passer: il a été très acclamé. Nous le serons tout à l’heure aussi; mériterons-nous de l’être quand nous reviendrons ? Je l’espère bien et c’est cela seul qui compte; tu le sais mieux que moi puisque c’est toi qui me l’as appris. En cette heure si grave, je t’en dis merci de tout mon cœur et merci aussi du grand sacrifice que tu as fait de ne pas venir ici… J’ai reçu la médaille que tu m’envoyais. Merci encore. Je sais que tu auras le courage de surmonter ton angoisse: cela me donnera le courage de tout affronter." 

Le 322e RI de réserve quitte Rodez le 9 août en présence d’une foule énorme qui accompagne les soldats de la place d’Armes à la gare. Le même enthousiasme préside au départ du 123e RI à Millau. "Nous sommes partis, écrit un jeune Ruthénois, accompagnés des vœux de tous les braves gens et aussi d’un orage terrible qui ne nous a quittés qu’à Castelnaudary. Le grondement du tonnerre nous aura ainsi un peu habitués au grondement du canon". Après les départs des hommes vers le front, vient l’annonce des premiers morts et des premiers convois de blessés. 123 hommes arrivent à Rodez le 4 septembre, suivis de deux autres convois de 367 et 217 blessés. Le 8 septembre, des funérailles grandioses honorent la dépouille d’Oliviéri, le premier soldat de Rodez mort au champ d’honneur. 2000 personnes suivent le cortège jusqu’au cimetière. Malgré tout, le patriotisme ne faiblit pas. Le 10 du même mois, 10000 personnes assistent à une revue militaire. Le 20, une première liste de victimes est publiée dans la presse ! Petit à petit, le département s’installe dans la guerre! Quatre longues années de souffrance et de peine. 

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