Anarchistes en République populaire: la colère corrosive des punks chinois

  • Le chanteur Shan Lin (g) du groupe "Manifestants", sur scène lors du festival de musique punk de Pékin, le 30 août 2014
    Le chanteur Shan Lin (g) du groupe "Manifestants", sur scène lors du festival de musique punk de Pékin, le 30 août 2014 AFP - Greg Baker
  • Le chanteur et guitariste Yu Sijia, du groupe Hell City, joue devant ses fans au festival de musique punk de Pékin, le 31 août 2014
    Le chanteur et guitariste Yu Sijia, du groupe Hell City, joue devant ses fans au festival de musique punk de Pékin, le 31 août 2014 AFP - Greg Baker
  • Le chanteur Shan Lin (g) et le guitariste Wang Shaowu, du groupe "Manifestants", au téléphone avant leur concert au festival de musique punk de Pékin, le 31 août 2014
    Le chanteur Shan Lin (g) et le guitariste Wang Shaowu, du groupe "Manifestants", au téléphone avant leur concert au festival de musique punk de Pékin, le 31 août 2014 AFP - Greg Baker
  • Le guitariste Wang Shaowu (g) et le chanteur Shan Lin, du groupe "Manifestants", marchent dans une rue avant leur concert au festival de musique punk de Pékin, le 30 août 2014
    Le guitariste Wang Shaowu (g) et le chanteur Shan Lin, du groupe "Manifestants", marchent dans une rue avant leur concert au festival de musique punk de Pékin, le 30 août 2014 AFP - Greg Baker
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Centre Presse Aveyron

Crête écarlate sur le crâne, le chanteur Shan Lin prône la rébellion et l'anarchisme, avant de les marteler sur scène: dans un pays qui réprime les voix dissonantes, le punk chinois offre un rare espace d'expression subversive.

"Plus il y a d'anarchistes et mieux c'est, plus c'est le chaos et plus on aime ça! Le désordre, c'est notre vie", lance Shan, 30 ans, du groupe pékinois Shiweizhe ("Manifestants"), juste avant un concert.

Au coeur de "798" --ancien complexe industriel du nord de Pékin transformé en quartier d'art--, un festival de punk rassemblait le mois dernier un public éclectique: crêtes iroquoises aux couleurs vives, crânes rasés, mais aussi profils sages d'étudiants.

Un T-shirt vendu par SMZB, groupe emblématique venu de Wuhan (centre), donne le ton: y figure une colonne impériale de la place Tiananmen, symbole du pouvoir central, avec un amoncellement de crânes à son pied et la mention "Chinese Dream" --slogan cher au président Xi Jinping.

Dans l'air enfumé, les épaules s'entrechoquent au gré des pogos, quand les spectateurs s'élancent les uns contre les autres, tandis que le chanteur de Shiweizhe secoue sa tête frénétiquement sur fond de guitares stridentes --net contraste avec la pop sirupeuse et le rock aseptisé qui dominent le paysage musical chinois.

"La révolte, c'est l'esprit du punk", commente Lei Jun, corpulent trentenaire aux bras zébrés de tatouages, chanteur du groupe Misandao et organisateur du festival. Son T-shirt arbore une fameuse insulte en anglais visant la police.

- 'Jeunesse désabusée' -

Dans le restaurant de nouilles que tient Lei Jun, dans une ruelle du vieux Pékin, sont accrochés des posters des Sex Pistols. Mais les punks chinois savent qu'ils ne peuvent se permettre les outrances de Sid Vicious.

Certains ont recours à l'anglais pour leurs paroles les plus contestataires --appelant à combattre la police "jusqu'à la mort" ou rendant hommage aux mères des étudiants tués à Tiananmen en 1989--. D'autres utilisent des acronymes pour camoufler des refrains attaquant le Parti communiste.

Les groupes chinois imitent le style des figures du punk anglo-saxon et leur haine de l'"establishment", mais leurs textes abordent volontiers des thématiques locales: "les expulsions forcées, l'absence d'avenir, l'éducation transformant les jeunes en robots à travailler, le règne de l'argent", énumère Lei Jun.

Le punk est apparu au mitan des années 1990 à Pékin et Wuhan, nourri de musique "underground" arrivée de l'étranger, après des années de bannissement du rock --emblème des manifestations étudiantes de 1989.

"Le rock était une musique d'espoir et de revendications sociales et politiques. Le punk, lui, correspondait à une jeunesse désabusée, en bas de l'échelle sociale et se sentant impuissante face à l'injonction à s'enrichir", explique Nathanel Amar, doctorant au centre de recherches CERI et spécialiste du punk chinois.

A l'époque, un collectif pékinois s'était baptisé "Le Contingent de l'ennui".

Vingt ans après, les chansons punks reflètent des veines anarchistes ou au contraire démocratiques. Mais l'audience des groupes punks --estimés à une cinquantaine en Chine-- reste confidentielle, faute de distribution par les canaux officiels, dans un environnement régi par la censure.

"Le fait que les concerts soient limités dans l'espace, avec un public restreint, offre un surcroît de liberté d'expression aux groupes", estime Nathanel Amar.

Et de citer un concert de SMZB à Wuhan en 2011, que la police avait interdit puis autorisé... mais avec 300 spectateurs au lieu des 700 prévus.

Le festival pékinois accueille, lui, un public plus diversifié, mais se voit en retour taxé de "trop commercial" par certains groupes qui critiquent vertement le prix onéreux du billet d'entrée de cet événement sponsorisé par le fabricant de chaussures Dr Martens.

- 'Sans contrainte' -

"Le public du festival, c'est 30% de connaisseurs, qui adhèrent à l'éthique du punk --et 70% simplement venus découvrir les groupes et s'encanailler, des +punks d'un jour+", observe Lei Jun.

Wang Yuxin, 24 ans, appartient à la première catégorie: le punk fut pour elle une révélation. "La pression familiale est trop forte. Dans ces concerts, je me sens revivre, libérée et sans contraintes", déclare la jeune fille, bottines de cuir et cheveux en pics.

"Nos fans sont sensibilisés et vivent en marge, il n'y a pas de +riches de deuxième génération+ ici", ironise Ren Kai, jeune chanteur du groupe Fire6, tout en s'inquiétant du recul des punks "authentiques" dans une société où prospèrent les "divertissements égocentriques".

Les musiciens punks ne sont pas exempts de pressions sociales: le chanteur de Shiweizhe --qui avoue un passé de "mauvais garçon"-- travaille dans la construction, et son guitariste lisse ses cheveux pour rejoindre son cabinet d'immobilier.

Et quand Wang Yuxin rentre chez elle, elle redevient "une jeune fille bien rangée"

"Avec l'habitude des Chinois de vous dévisager, c'est dur d'adopter une apparence punk", se désole Lei Jun. Lui se dit chanceux avec sa gargote de nouilles: "Si je devais être punk par intermittence, employé modèle le jour et rebelle le soir, je deviendrais complètement fou.

Source : AFP

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