En Inde, les cauchemars de la vallée du Cachemire

  • Un enfant cachemiri passe devant des militaires indiens déployés le 22 juillet 2016 à Srinagar
    Un enfant cachemiri passe devant des militaires indiens déployés le 22 juillet 2016 à Srinagar AFP - Rebecca CONWAY
  • Un adolescent de 16 ans soigné le 19 juillet 2016 à l'hôpital Shri Maharaja Hari Singh à Srinagar après avoir été blessé par balles
    Un adolescent de 16 ans soigné le 19 juillet 2016 à l'hôpital Shri Maharaja Hari Singh à Srinagar après avoir été blessé par balles AFP - Rebecca CONWAY
  • Les proches de Rasiq Ahmed Khan, 22 ans, tué par balles, lors de ses funérailles le 14 décembre 2015 dans le village de Watchohallan au Cachemire
    Les proches de Rasiq Ahmed Khan, 22 ans, tué par balles, lors de ses funérailles le 14 décembre 2015 dans le village de Watchohallan au Cachemire AFP - Rebecca CONWAY
  • Funérailles de Rasiq Ahmed Khan, 22 ans, tué par balles, le 14 décembre 2015 dans le village de Watchohallan au Cachemire
    Funérailles de Rasiq Ahmed Khan, 22 ans, tué par balles, le 14 décembre 2015 dans le village de Watchohallan au Cachemire AFP - Rebecca CONWAY
  • Un homme cachemiri souffrant de dépression soigné le 19 juillet 2016 à l'hôpital Shri Maharaja Hari Singh à Srinagar
    Un homme cachemiri souffrant de dépression soigné le 19 juillet 2016 à l'hôpital Shri Maharaja Hari Singh à Srinagar AFP - Rebecca CONWAY
Publié le
Centre Presse Aveyron

Dans le cabinet de consultation d'un hôpital du Cachemire, Parvaiz Ahmed peine à trouver les mots pour décrire son interrogatoire par les forces de sécurités indiennes, qui l'a laissé durablement traumatisé.

Cet homme de 38 ans s'exprime dans un murmure, les yeux rivés à la table. Son visage est empreint de souffrance lorsqu'il évoque ses nuits blanches, toujours hantées par le souvenir de ses mois de détention en 2009.

"J'ai tout le temps peur qu'ils reviennent et m'arrêtent à nouveau", confie Parvaiz à son psychologue.

Le Cachemire est une magnifique région himalayenne revendiquée à la fois par l'Inde et le Pakistan depuis la partition de 1947 et divisée de facto entre les deux puissances nucléaires. Mais dans sa partie contrôlée par New Delhi, c'est aussi le foyer d'une insurrection séparatiste à laquelle est opposée une brutale réponse militaire.

"Nous voyons peut-être 190 patients par jour - et moi, en moyenne une centaine", explique Arshad Hussain, docteur à l'hôpital Shri Maharaja Hari Singh de Srinagar, principale ville de la vallée.

"Entre 60% et 80% des patients viennent pour des traumatismes, des dépressions ou des troubles de stress post-traumatique", indique-t-il.

- Vallée des larmes -

Depuis que l'insurrection a commencé, à la fin des années 1980, environ 70.000 personnes ont perdu la vie dans le conflit, selon des groupes de défense des droits de l'Homme.

Si la violence a diminué en intensité depuis la décennie noire des années 1990, la vallée n'est jamais à l'abri de nouvelles flambées. Une centaine de personnes ont ainsi trouvé la mort depuis juillet après qu'un célèbre rebelle a été tué par les forces indiennes.

Et un million et demi de personnes - sur les quelque sept millions d'habitants de cette partie du Cachemire - présentent des symptômes de la dépression, selon une étude de Médecins sans frontières en 2015.

Parmi elles, des proches de personnes tuées. Mohammad Shafi Bhat, 50 ans, est resté muet très longtemps après que des troupes eurent abattu son fils de 23 ans en 2014. Il a encore des difficultés à parler aujourd'hui.

Arrosant les fleurs sur la tombe de son fils au "cimetière des martyrs" de Srinagar, il tente de raconter les circonstances de sa mort. Mais il abandonne bien vite. Et quand il sort de son portefeuille et tend une photo d'identité de Bashir, les larmes coulent sur ses joues.

Certains n'ont même pas de corps pour faire leur deuil. Pour beaucoup, le dernier souvenir de l'être aimé est lorsqu'il a été embarqué pour être interrogé par l'armée.

Le fils de Rahma Begum, Mir Ali, a ainsi disparu il y a treize ans de leur hameau. Pendant les trois années qui ont suivi, cette mère s'est levée chaque matin à l'aube pour aller chercher dans la forêt des traces de son fils, incapable d'accepter son décès. "Tout le monde me disait que j'étais devenue folle", raconte-t-elle.

Quelque 8.000 personnes ont "disparu" au Cachemire après avoir été emmenées par les militaires indiens, selon Amnesty International et d'autres groupes de défense des droits de l'Homme. Leurs corps se trouveraient dans des fosses anonymes ou auraient été jetés dans les rivières par les forces de sécurité, qui agissent en toute impunité grâce à la protection d'une loi d'exception.

- Addictions -

A l'hôpital des maladies psychiatriques de Srinagar, le Dr Mudasir Hassan soigne des victimes de traumatismes. Nombre d'entre elles se réfugient dans l'alcool, ce qui "est un problème, tout comme l'addiction à la drogue", dit-il à l'AFP.

Devant la petite lucarne du dispensaire de son hôpital, où des pharmaciens distribuent des cocktails de pilules à longueur de journée, les patients forment de longues queues.

Selon les médecins, le niveau de stress des habitants du Cachemire est renforcé par l'omniprésence militaire indienne. Des troupes et véhicules blindés sont placés à chaque coin de rue à Srinagar, et les routes de la vallée sont parsemées de barrages.

Les habitants des villages perçus comme le foyer de l'insurrection par les forces de sécurité sont régulièrement réveillés au beau milieu de la nuit par le bruit des patrouilles ou des raids sur des maisons.

"Les gens parlent de plus en plus de ça", explique le Dr Arshad Hussain, "ils comprennent qu'il y a quelque chose derrière leurs symptômes". Que "le problème ne vient pas d'eux: il vient d'un phénomène extérieur qu'ils subissent".

Source : AFP

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