Laguiole : Stéphane Rambaud, le devoir d’excellence du couteau

Stéphane Rambaud incarne à lui seul l’illustration ultime d’un savoir-faire qui conjugue le respect de l’histoire à la création moderne. Et signe par son imagination sans limite cette excellence artisanale dont peut légitimement se prévaloir le couteau de Laguiole à la conquête de son indication géographique. Sa motivation est toutefois ailleurs : "Ce n’est pas un travail, mais une passion", assure-t-il d’un clin d’œil, ses doigts dialoguant avec les outils dans une conversation complice. Deux paires de lunettes sur la tête, Stéphane Rambaud apprivoise tous les matériaux qu’il sculpte au millimètre selon les envies de quelques clients aux caprices pas toujours raisonnables.

Imagination sans limite

Ici, des manches en pulpe de mammouth (intérieur de la défense stabilisé par une résine), en ivoire de phacochère, en ammonite, en os de chameau, en corail, en météorite, en "pierre de la Lune", en diamants incrustés, en cuivre et fibre de carbone… Des manches enserrant à leur tour des lames damassées ou non, gravées, surmontées d’une mouche (là où prend place l’abeille traditionnelle) où vient se ficher une ancre de marine, une croix celtique, des armoiries. Parfois animées comme des horloges aux minuscules mouvements. Le client décide, Stéphane Rambaud donne vie aux rêves les plus fous, sans limites. "On a des fournisseurs spécialisés pour certains matériaux, quand les clients ne les confient pas eux-mêmes", explique-t-il tranquillement évoquant ce plongeur breton qui a voulu inclure dans son couteau un bois d’épave immergée au large de la côte. Stéphane en a fait un manche qui s’achève en palme. Le plongeur est séduit, son couteau est, de toute façon, unique au monde.

Cette excellence à la française, Stéphane est allé la porter aux USA, travaillant le couteau de Barack Obama, alors président des États-Unis, directement sur un stand à Manhattan lors d’une "french week". Le manche aux couleurs du drapeau américain, les treize étoiles originelles guillochées sur le ressort, l’aigle pygargue à la place de l’abeille…

L’âme de la Forge

L’artiste travaille seul dans l’atelier qui lui est consacré. Il est un peu l’âme de la Forge, terme qu’il tempère avec l’humilité qui le qualifie, lui qui est quand même le seul à signer de son nom ses couteaux de commande, sous le ressort qu’il guilloche à façon, selon son imagination.

"Je monte un couteau de A à Z et comme je travaille des métaux ou matériaux précieux, je reste un peu à l’écart…". Les commandes affluent du monde entier, beaucoup d’Allemagne d’ailleurs où il a vendangé de nombreux premiers prix dans les salons spécialisés.

C’est le budget qui commande

Compter de 1 000 à 5 000 € pour un couteau personnalisé (parfois plus encore), selon les matières mises en œuvre et le nombre d’heures passées à le fabriquer, "de 15 à 40 heures parfois", pour une production de 150 à 200 couteaux par an en moyenne. "Je complexifie au maximum les choses pour être différent des autres", glisse-t-il, malicieux. "Parfois, je propose à des clients d’aller plus loin encore dans leurs souhaits, le travail sur commande restant un peu limité au niveau de la création. Les couteliers comme moi ne sont pas forcément artistes mais plutôt créatifs. Et j’essaye de toujours évoluer, mes collègues repèrent d’ailleurs mes progrès…"

Une passion née à l’âge de… 10 ans

Stéphane Rambaud est entré à la Forge de Laguiole en 2005 et va travailler durant quatorze ans avec Virgilio Munoz, Meilleur ouvrier de France, parti à la retraite en 2019. "On travaillait dans la finesse, c’est un échange de savoir-faire, il avait son style et moi le mien, ensemble on est monté en gamme, en qualité".

Avant cela, c’est le "Coutelier de Laguiole", à Miegevie à portée de voix du taureau, où il travaille une dizaine d’années "chez M. Lugand qui me donnait une grande liberté". Il rejoindra en suivant un autre patron, M. Lacaze, pour des couteaux toujours plus travaillés. Mais il faut remonter à bien plus loin pour identifier les ferments de cette passion.

Meilleur apprenti de France cherche relève

Stéphane Rambaud, né à Lyon, vivant à Grenoble, a 10 ans quand il se lance dans la collection de couteaux. "J’ai vécu en montagne où l’on en avait toujours besoin pour sculpter des bâtons". C’est un Opinel qu’il aura alors toujours dans sa poche.

Il invente déjà des façons de le rendre unique, et fabrique même son propre couteau à 14 ans.

Au point que son orientation vers une école spécialisée à Nogent-en-Bassigny en Haute-Marne, patrie du ciseau, tombe sous le sens. La formation achevée, il passe en 1987 le concours de meilleur apprenti de France, dont il emporte la première place. Plus tard, le concours de Meilleur ouvrier de France quant à lui le laissera par deux fois finaliste, "mais il n’est pas dit que je ne retente pas ma chance pour terminer premier, un de ces jours !", s’amuse-t-il.

À 53 ans, tout reste possible pour cet artisan hors du commun, qui nourrit chaque jour de nouveaux projets… qu’il tient secrets.

Seul manque à ses yeux le bonheur de transmettre son art à un(e) plus jeune que lui. "On cherche, c’est compliqué. Il faut trouver quelqu’un de motivé, qui soit au niveau et susceptible de vouloir rester et habiter à Laguiole… Cela fait beaucoup de paramètres. Mais j’espère que l’on trouvera. De toute façon, quand je serai à la retraite, cela me plairait de former un jeune". Et de perpétuer ainsi cette célébration de l’excellence qui donne au couteau de Laguiole son plus beau sésame pour l’indication géographique.