Capdenac-Gare. Fred Sancère, de "Derrière le hublot" à Capdenac : "On commence à se dire que ça dure trop !"

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  • Fred Sancère : "On commence à se dire que ça dure trop !"
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Joel Born

Depuis des mois, le secteur de la culture est à l’arrêt ! Condamné au silence. Un silence lourd et pesant. Étouffant. Théâtres, cinémas et salles de spectacles fermées, festivals annulés… Jamais, le monde de la culture dans toute sa diversité n’avait été aussi durement touché. Scène conventionnée d’intérêt national Art en territoire, l’association capdenacoise Derrière le Hublot s’est retrouvée elle aussi confrontée à cette dramatique réalité. Son directeur Fred Sancère évoque cette période particulièrement délicate. Entre craintes et espoirs. Souhaits et projets.

Comment l’équipe de Derrière le Hublot vit cette crise sanitaire qui s’éternise depuis des mois et qui n’en finit plus ?

Toute notre activité de diffusion est à l’arrêt ainsi que tous les ateliers de pratiques artistiques. Nous avons pu redémarrer une partie de notre programmation avec du public, l’an passé, de septembre à octobre. Mais tout était très compliqué avec une douzaine de protocoles sanitaires différents et à cheval sur deux départements (NDLR : l’Aveyron et le Lot).

Nous avons pu le faire, car nous avons une équipe professionnelle, structurée. Cela fut un travail de dingue. Finalement, nous avons pu accomplir la moitié de notre saison à l’entrée de l’automne, mais pour ne rien arranger, nous n’avons pas été aidés par la météo…

Financièrement, le fait d’être une Scène conventionnée vous a-t-il permis de mieux passer le cap ?

Pour nous, c’est un plus. Indiscutablement. Au final, les financeurs ont joué le jeu à 90 %. C’est le cas pour l’État, la Région, les départements et les communautés de communes. Cela nous a permis de respecter nos engagements avec les artistes, les techniciens, et de maintenir les six emplois de la structure.

L’association est finalement restée active durant cette année pratiquement blanche ?

Il n’y a pas de spectacles, mais il y a du boulot, même si cette crise amène de la fragilité. Nous avons stoppé un peu la machine pendant le premier confinement mais certaines actions fortes comme Fenêtres sur le paysage ont pu se réaliser. La première, Super-Cayrou, a eu lieu à Gréalou, sur le site de Pech Laglaire, fin mai. On était dans une sorte d’entre-deux. L’idée est de créer des œuvres d’art refuge sur les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle, avec des architectes, des plasticiens. Au final, il y en aura six, dont deux en Aveyron, à Golinhac et Livinhac-le-Haut, en lisière d’un bois sur le mont Thabor, en partenariat avec le lycée des Métiers du bois et de l’Habitat d’Aubin. Fenêtres sur le paysage est un projet que l’on porte depuis 2016. Cela nous a permis de maintenir un peu d’enthousiasme. Au bout du compte, la période a été riche et motivante.

Vous avez donc profité des nombreux temps morts de la saison culturelle pour réfléchir à de nouveaux projets ?

Notre lieu d’intervention, c’est l’espace public. Le sens qu’on donne à nos actions, on l’a réfléchi et on le réfléchit à différents niveaux, sachant qu’on avait de vieux projets dans la tête. Nous avons, par exemple, demandé à la compagnie Tricyclique Dol d’imaginer un parcours artistique pérenne dans le centre-ville de Capdenac, en liaison avec les commerçants et à partir des enseignes des commerces. Ça, on a pu le maintenir pendant le confinement. On avait envie que la ville continue à vivre mais la question était de savoir comment faire des choses dans l’espace public en tenant compte des contraintes sanitaires.

Cette action correspond à notre désir de convier des artistes là où on ne les attend pas forcément, avec l’ambition de s’adresser aux habitants d’une ville, d’un territoire, et non pas seulement à des spectateurs avertis.

On se donne maintenant deux ou trois mois pour travailler sur le thème de la mort et la question du souvenir avec notamment un anthropologue. C’est un sujet difficile, mais en même temps, la mort est omniprésente durant la période que nous traversons. On est souvent démunis face à la mort, mais l’art se doit aussi d’être présent, même s’il y a toujours le risque de ne pas être compris.

Faire vivre artistiquement le territoire est depuis le début votre marque de fabrique, votre raison d’être.

Ce que j’aime le plus, c’est quand l’art va fricoter avec le quotidien.

On envisage désormais de créer une sorte de service d’art à domicile.

On est partis du double constat de la désertification des petites villes et du développement du maintien à domicile dans les territoires ruraux comme les nôtres.

On voudrait que des artistes puissent aller directement chez les gens.

Nous mènerons une expérience ou deux à la rentrée prochaine avec des artistes du territoire.

Il faut s’obliger un peu à réinventer notre façon de bosser, pour être vraiment des acteurs du territoire dans lequel on vit.

On a tout de même l’impression que le secteur culturel est l’un des grands perdants de cette crise sanitaire ?

Ce qui me préoccupe le plus, c’est qu’il n’y ait aucune voix dans le secteur artistique qui porte et qui soit véritablement entendue. Il n’y a plus aucune parole entendue alors qu’on a prouvé qu’on pouvait accueillir des publics en mettant en place divers protocoles. La crise des politiques culturelles n’est pas nouvelle mais la crise sanitaire a agi comme un révélateur absolu de la désaffection des gouvernants pour notre secteur. On est aussi confrontés à une vision très "Paris-centrée" et ça c’est un peu pesant. Il y a bien sûr des formes de soutien financier, ça, on ne peut pas le nier, mais la vraie crise est à venir. Certains vont malheureusement rester sur le carreau… Il y a aussi et certainement un regard critique à porter sur la façon, dont il faut se réinventer. Pour nous, une façon de répondre à cette crise, c’est de travailler sur des sujets qui touchent encore plus les gens. C’est toute la question de la culture populaire.

Pour la deuxième année consécutive, vous êtes obligés d’annuler l’Autre Festival, habituellement programmé fin mai ou début juin. C’est, de nouveau un coup dur pour toute votre équipe et tous les bénévoles qui vous accompagnent, comment voyez-vous l’avenir de Derrière le Hublot ?

Je suis à la fois très pessimiste, au regard de la situation actuelle et de la période que nous traversons, et très optimiste parce qu’il y a plein de choses à inventer. Et si cette crise nous donnait la possibilité de retrouver du sens ?

Cela étant, pour l’instant, je n’entends rien de rassurant et on commence à se dire que ça dure trop ! Potentiellement, on parie sur un mieux au printemps mais le festival on ne peut pas le faire. On ne peut pas travailler dans ces conditions. Ce n’est pas la peine de mettre les équipes en danger. Essayons d’imaginer autre chose. Si tu ne peux pas avoir un temps convivial pendant le festival, tenir une buvette, servir des repas, comme c’est habituellement le cas, à quoi ça sert ? Partant de là, le conseil d’administration, qui s’est réuni le 12 mars, a pris la décision d’annuler cette édition 2021, comme l’an dernier.

On espère, quand même, qu’au printemps il y aura du mieux. On va faire des choses, ça c’est certain. On va créer quelques moments de poésie et après on donnera des rendez-vous, si on nous le permet. Pour l’instant, et en attendant, on se concentre sur des phases de repérage et d’écriture.

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