INTERVIEW. Abus sexuels dans l'Église : "Les victimes sont en attente de la reconnaissance de leur parole"

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  • Mgr Luc Meyer est évêque du diocèse de Rodez et Vabres.
    Mgr Luc Meyer est évêque du diocèse de Rodez et Vabres. Centre Presse Aveyron - José A. Torres
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Mgr Luc Meyer, évêque du diocèse de Rodez et Vabres, et l’Église catholique en Aveyron, organisent une réunion publique, à Rodez, ce mardi 18 avril. Le rapport de la Ciase remis il y a un an et demi, a révélé l’ampleur des abus sexuels commis au sein de l’église. Depuis, de nouvelles victimes se font entendre. Et l’institution tente de se réformer.

Pourquoi organiser une réunion publique, un an et demi après la sortie du rapport Sauvé par la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’église (Ciase) ?

J’ai été nommé évêque de Rodez le 7 juillet 2022. Entre le départ de mon prédécesseur et mon arrivée, il n’y a pas eu véritablement de soirée de présentation du contenu du rapport de la Ciase (on dénombre de 216 000 à 330000 victimes de violences sexuelles perpétrées en France entre 1950 et 2020 par une personne en lien avec l’Église catholique, NDLR).

Ce contenu-là a guidé les évêques dans la prospective et la mise en place d’un certain nombre de groupes de travail

Or, ce contenu-là a guidé les évêques dans la prospective et la mise en place d’un certain nombre de groupes de travail. D’ailleurs, avant d’être nommé évêque, j’ai moi-même participé à ces ateliers. Aussi, pour avoir toutes les clés de la compréhension de ce qu’il se passe, il fallait un rendez-vous pour faire un état des lieux.

Le rapport de la Ciase est assez épais mais il existe un condensé réalisé par la commission elle-même d’une quarantaine de pages. C’est donc pouvoir donner la possibilité aux personnes présentes d’avoir en main ce texte-là, avec, en complément, un certain nombre de mesures publiées par les évêques.

Expliquer, une nécessité ?

C’est une soirée publique d’information et de présentation. Tout le monde peut venir, aussi bien les chrétiens que les non-chrétiens. Elle est importante. Pour donner tous les éléments et mettre en perspective le travail effectué par les évêques au mois de novembre et de mars, ce maillon doit être présent dans la chaîne.

Nous avons besoin de mise en perspective

Cela n’exclut d’ailleurs pas l’organisation d’autres rencontres. Nous allons en profiter pour présenter un livre sorti par les membres de la Ciase qui s’intitule "De victime à témoins". Il rassemble des témoignages anonymisés, écrits avec beaucoup de pudeur mais qui racontent bien les choses. Pour mieux comprendre comment la Ciase a travaillé. Nous avons de besoin de mise en perspective.

Depuis la sortie du rapport en octobre 2021, quels chantiers ont été depuis engagés par l’église ?

L’état des lieux va faire partie des choses que l’on va expliquer. Notamment, les préconisations du rapport de la Ciase que les évêques ont mis en place autour de thèmes comme l’accompagnement des victimes, la manière dont on prend en compte leur parole, dont on les écoute, comment on les accompagne, mais également l’accompagnement des prêtres, des évêques, etc.

L'accompagnement des victimes, la manière dont on prend en compte leur parole, l'accompagnement des prêtres, des évêques...

C’est un vrai travail de fond qui est en cours. On n’engage pas une démarche pour le principe de dire “on fait quelque chose”. Ce serait de la communication. Pour ce faire, il faut revenir au-delà de l’émotion suscitée, sur ce qu’il s’est passé il y a maintenant un an et demi.

Quel regard portez-vous justement sur l’édifiant rapport Sauvé ?

Il faut porter ensemble les réformes auxquelles cela nous invite. C’est difficile mais cela l’est pour toute la société. Car le rapport, lorsqu’il donne des chiffres, cela fait froid dans le dos pas seulement pour l’Eglise catholique mais pour beaucoup d’autres aspects de notre vie en société dans toute son entièreté.

Comment garder confiance en l’église ?

Prendre au sérieux le rapport de la Ciase, cela veut dire que véritablement, il y a des modes de fonctionnement sur lesquels on s’interroge et pour lesquels on trouve des réponses adaptées sur la durée. à quoi cela sert de rester sur une bataille de communication ? Les travaux engagés portent sur plusieurs points : la formation et l’accompagnement des prêtres, la prise en compte de la souffrance des victimes, l’imprescriptibilité des dégâts que peuvent causer des actes ignobles et qui font du mal aux personnes.

L’Aveyron n’a pas non plus été épargné. Qu’est-ce qui est mis en place ? Et que répondez-vous aux victimes dénonçant la lenteur des mécanismes de reconnaissance et de réparation ?

Il faut pouvoir recevoir les personnes. L’Église catholique a mis en place depuis 2016 des cellules d’écoute. En Aveyron aussi. Je souhaite que la victime sache par qui elle va être écoutée. En ce qui concerne l’indemnisation, il faut se donner les moyens pour que les délais d’attente ne soient pas trop longs. C’est important que l’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation (INIRR) puisse se construire avec une vraie capacité d’écoute et une vraie méthode.

La victime, parce qu'elle est écoutée, devient témoin de l'Histoire, de son histoire

Il n’y a pas seulement la question de la réparation. Mais celle de la reconnaissance de la parole et d’un fardeau porté par des personnes, ce à travers des instances indépendantes. Ainsi, la personne victime, parce qu’elle est écoutée, devient témoin de l’Histoire, de son histoire, pour et devant la société.

Au fil des ans, la verbalisation est devenue plus facile mais ce n’est pas encore gagner. Un certain nombre de personnes n’arrive toujours pas aujourd’hui à libérer leur parole. Le premier travail, c’est celui de la vérité. Si on fait une soirée pour présenter le rapport de la Ciase, c’est pour regarder en face, à l’issue d’un travail structuré et méthodique, ce qu’une commission indépendante sur les abus sexuels dans l’église nous a dit.

La réunion publique a lieu ce mardi, de 20 h à 21 h 30 à la Maison diocésaine Saint-Pierre à Rodez. Possibilité d’un pique-nique partagé à partir de 19 h. Tél. 05 65 68 06 28.

Ces affaires qui ont marqué l'Aveyron

L’Aveyron a été marqué par des affaires d’abus sexuels dans l’église. Notamment l’affaire des Béatitudes, du nom de cette communauté catholique vivant en huis clos à l’abbaye de Bonnecombe. En 2011, à Rodez, s’était déroulé le procès du frère Pierre-Étienne Albert condamné à cinq ans de prison pour des attouchements sur 38 enfants.

Ou encore l’affaire de l’abbé Maurel. En 2000, cet ex-directeur d’un établissement catholique à Mur-de-Barrez avait divisé le Carladez avant d’être condamné à dix ans de réclusion criminelle pour viols sur mineurs.

C’est aussi en Aveyron, que vit l’une des premières victimes à avoir brisé la loi du silence. Il s’agit d’Olivier Savignac. Il est devenu la nouvelle figure médiatique de la lutte contre la pédophilie dans l’Église. Et celle de la libération de la parole.

Ce qui a été mis en place 

Dans le domaine de l’accueil, de l’écoute et de l’accompagnement, plusieurs actions sont mises en place en France mais aussi au sein du diocèse de l’Aveyron (36 paroisses et 80-85 prêtres).

Tout d’abord, depuis 2016, les évêques de France ont mis sur pied plusieurs instances pour le soutien des diocèses ou l’accompagnement des victimes : la Cellule de prévention et de lutte contre la pédophilie ; l’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation et la Commission de reconnaissance et de réparation.

L’INIRR peut être saisie par toute personne s’estimant victime d’un ministre ordonné ou d’une personne laïque en responsabilité dans un diocèse. La CRR peut être saisie par toute personne s’estimant victime d’un religieux ou d’une religieuse.

Par ailleurs, le diocèse de l’Aveyron dispose aussi d’une cellule d’écoute. Depuis le début de l’année 2023, trois personnes nouvelles ont accepté de la rejoindre autour d’un responsable de la cellule. Elles se rendent disponibles pour accueillir les personnes qui le souhaitent.

Dans le domaine juridique, trois décisions : la mise en place depuis le 5 janvier 2023 du tribunal canonique pénal national. Cette instance précieuse pourra être saisie par les évêques ; le 8 novembre 2021, pour tous les prêtres séculiers et religieux, les évêques de France ont décidé la mise en place d’une carte nationale d’identification, mise à jour régulièrement, avec indication notamment de la faculté de confesser.

Fin septembre 2022, 1 004 personnes avaient contacté l’INIRR (60 décisions de réparation dont 45 avec un volet financier ont été prises), 496 demandes avaient été reçues par la CRR. Pour contacter la cellule d'écoute du diocèse de Rodez et de Vabres : paroledevictimes12@rodez. catholique.fr

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