Manifestations des agriculteurs : José Bové appelle à "continuer dans un mouvement pacifique" pour "garder le soutien de l'opinion publique"
L’Aveyronnais, figure du militantisme paysan et ancien eurodéputé écologiste, analyse la colère des agriculteurs.
Comment analysez-vous la colère des agriculteurs ?
Elle a plusieurs facteurs, mais je ferai un rappel historique : en 1992, la réforme de la Politique agricole commune (PAC) a tout bouleversé, l’Europe a changé sa politique en s’alignant sur les prix mondiaux, en interdisant les aides au revenu et en obligeant à importer des produits, même si le pays était autosuffisant. Cela a touché de plein fouet les agriculteurs d’Occitanie et un mouvement de révolte est parti, notamment, du Gers. Trente ans plus tard, on a un phénomène qui part à nouveau d’Occitanie, de paysans fragilisés par les accords de libre-échange, notamment. Il y a la question du marché, l’incompréhension de la PAC et cette crise de l’inflation avec des charges qui ne sont plus maîtrisées : le paysan ne peut plus se projeter à quelques années.
Vous, ancien eurodéputé écologiste, vous estimez également que l’Europe est à l’origine d’une partie des difficultés rencontrées par les agriculteurs ?
En ce qui concerne la PAC signée en 2021, puisque c’est dans cette politique qu’on est aujourd’hui, j’avais participé à toutes les discussions, car j’ai été député européen de 2009 à 2019, et j’avais empêché qu’elle puisse être signée en 2019, car elle s’annonçait catastrophique, mais elle a été adoptée. Et je vais donner un élément factuel qui commence franchement à m’énerver. La réforme de la PAC 2021, que contestent les paysans à juste titre, a été votée par tous ceux qui, aujourd’hui, disent défendre les agriculteurs : Jordan Bardella (RN), François-Xavier Bellamy (LR), le parti du gouvernement aussi. Les seuls qui s’y sont opposés, ce sont les Verts et les socialistes français.
Des questions en lien avec l’environnement sont des sujets de crispation : la taxation du gazole non routier, les méga bassines. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Le carburant fait partie des charges, c’est vrai qu’il y a toujours eu un gazole détaxé pour les paysans, les pêcheurs, les engins de chantier du BTP. Aujourd’hui, est-ce vraiment nécessaire au moment où il n’y a aucune maîtrise des prix de remettre des taxes ? C’est complètement aberrant. La question de l’eau est un problème de moyen et long termes. Nous faisons face au réchauffement climatique, on le voit notamment dans les P-O, dans l’Aude, où on a des moments de très forte sécheresse et de très grande chaleur qui vont augmenter. Or on vit tous sur le même bassin dans notre région, Adour-Garonne et les perspectives à long terme sont très inquiétantes, on nous annonce même un manque d’eau potable potentiel à Bordeaux en 2050. Je pense qu’il faut aujourd’hui une assemblée générale des usagers sur l’ensemble du bassin et des discussions sur le partage de l’eau. Nous sommes face à une mutation terrible.
Le mouvement peut-il se durcir avec des actions violentes ?
Aujourd’hui, on est sur une multiplication des blocages, c’est une forme de protestation pacifique, non violente. Après, certaines organisations, je pense à la Coordination rurale en Lot-et-Garonne, se lancent dans d’autres actions, c’est de leur responsabilité. Mais j’ai envie de dire à tous ceux qui sont aujourd’hui en action que la meilleure façon de garder le soutien de l’opinion publique et de l’élargir, c’est de continuer dans un mouvement pacifique. En élargissant la discussion avec les citoyens pour qu’ils soient actifs. Et je propose que les Français, par solidarité contre les importations, arrêtent à partir de demain d’acheter des gigots de Nouvelle-Zélande, du bœuf qui vient des États-Unis, du Canada ou d’ailleurs et qu’au supermarché, on fasse attention à ce qu’on achète. Ce sera une façon très concrète pour les Français d’apporter leur soutien aux paysans.
Quelle doit être parallèlement, selon vous, la réponse du gouvernement ?
Dans un premier temps, il faut répondre à l’urgence des demandes sur la question des charges (gazole, électricité…) et trouver les mécanismes nécessaires pour qu’elles n’augmentent pas. Le soutien peut passer aussi par des reports d’annuités, des emprunts plafonnés. Mais aussi par le développement d’un certain nombre de filières, sur la production locale au niveau des cantines, sujet sur lequel l’Occitanie est en tête. Il faut aller encore plus loin, parce qu’une grosse partie de la production de qualité peut être absorbée de cette manière. Et surtout, l’État français ne doit pas être en permanence en train de soutenir les projets au niveau européen qui vont à l’encontre des paysans, qu’il s’agisse des accords de libre-échange ou de la PAC. Il faudra engager une réforme de la politique agricole. Il y a beaucoup de chantiers à mener.
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