André Bousquet, un Aveyronnais au coeur de la French Connection

  • André Bousquet, ici en 2008 lors de l’ouverture de son procès à Marseille concernant un trafic de cocaïne, serait toujours incarcéré à ce jour, selon nos informations.
    André Bousquet, ici en 2008 lors de l’ouverture de son procès à Marseille concernant un trafic de cocaïne, serait toujours incarcéré à ce jour, selon nos informations. Repro CP
  • Le quartier du Crouzet, à Viviez, dans lequel a grandi André Bousquet avec son père, surveillant à Vieille Montagne, et sa mère, Ukrainienne. Ce quartier ouvrier abrite le stade municipal de la cité du zinc.
    Le quartier du Crouzet, à Viviez, dans lequel a grandi André Bousquet avec son père, surveillant à Vieille Montagne, et sa mère, Ukrainienne. Ce quartier ouvrier abrite le stade municipal de la cité du zinc. Joel Born
  • Photo montage des trafiquants de drogue : Jean-Claude Champion, Jean-Claude Ranem et André Bousquet, chimiste de la "French-sicilian-connection", arrêtés le 27 Août 1980 à Palerme.
    Photo montage des trafiquants de drogue : Jean-Claude Champion, Jean-Claude Ranem et André Bousquet, chimiste de la "French-sicilian-connection", arrêtés le 27 Août 1980 à Palerme. Repro CP
Publié le , mis à jour
Mathieu Roualdés

Portrait.  Alors qu’est sorti en décembre dernier le film La French, de Cédric Jimenez, l'organisation mafieuse spécialisée, dans les années soixante, dans le trafic de drogue entre Marseille et les États-Unis, abritait en son sein un associé hors pair, médecin de formation et... Viviézois d’origine. Itinéraire du «toubib» du Bassin. 

Fin août 1980. Don Gerlando Alberti, alors considéré comme le parrain de Palerme, est arrêté après plusieurs années de cavale. Trois Français, dont un certain André Bousquet, tombent également dans ce coup de filet orchestré par les polices italiennes et américaines de la DEA, l’agence antidrogue. Le célèbre juge Giovanni Falcone, comme son homologue français Pierre Michel, se félicite de l’opération. Les journaux transalpins et marseillais en font leurs gros titres. En Aveyron, pas une ligne... 

Briser le serment d’Hippocrate

Pourtant, comme son nom peut le laisser penser, le fameux Bousquet est bel et bien Aveyronnais. De Viviez plus précisément et de son quartier populaire du Crouzet où il a grandi dans les années 1950. Rien ne le prédestinait pourtant à se retrouver un beau jour au cœur même de la pègre, en Sicile! Rien non plus ne le prédestinait à embrasser une vie de «voyou». Encore moins dans la légendaire French Connection. Fruit de l’union entre un surveillant à Vieille-Montagne et une Ukrainienne ayant fui l’Union Soviétique, André Bousquet était un brillant élève. Très brillant même, au point d’aspirer à une confortable carrière de médecin. D’ailleurs, il exercera son métier de prédilection de 1973 à 1978, d’abord comme pédiatre dans la Drôme puis médecin de famille à Endoume. Mais le «p’tit gars du Bassin» ne mettra pas bien longtemps à briser le serment d’Hippocrate...

Le quartier du Crouzet, à Viviez, dans lequel a grandi André Bousquet avec son père, surveillant à Vieille Montagne, et sa mère, Ukrainienne. Ce quartier ouvrier abrite le stade municipal de la cité du zinc.
Le quartier du Crouzet, à Viviez, dans lequel a grandi André Bousquet avec son père, surveillant à Vieille Montagne, et sa mère, Ukrainienne. Ce quartier ouvrier abrite le stade municipal de la cité du zinc. Joel Born

Quartier des Catalans

Lors de ses études de médecine, à Marseille, le jeune Aveyronnais a posé ses valises dans le quartier des Catalans. À l’époque, l’endroit n’est pas seulement réputé pour offrir une magnifique vue sur la Méditerranée. Comme l’explique Thierry Colombié, spécialiste de la French Connection et auteur de nombreux ouvrages de référence sur le milieu dont un («Beaux voyous», 2007, Fayard) dans lequel Bousquet tient l’un des rôles principaux, le quartier marseillais était avant tout «le fief d’une des plus grandes bandes de braqueurs de l’époque. Ces derniers ont notamment participé activement au fameux “casse du siècle” (de la Société Générale de Nice en 1976) avec Albert Spaggiari. Habitant du quartier, André Bousquet a donc naturellement commencé à fréquenter ce milieu.»

La parfaite «mule»...

À cette époque, Marseille est sous le feu des projecteurs du monde entier. La cité phocéenne n’est autre que le fournisseur officiel d’héroïne des États-Unis. Un trafic plus que juteux qui restera à jamais gravé sous le nom de la «French Connection». Dans ce paysage, André Bousquet ne va pas rester longtemps spectateur. Ses voisins, les fameux braqueurs des Catalans, l’ont rapidement compris. Et vont présenter le «toubib» -un des surnoms, comme le milieu en raffole, donné à André Bousquet- à leurs associés trafiquants de la cité phocéenne. Pourquoi? Car, en tant que médecin, Bousquet possède un sacré atout grâce à sa profession : un caducée... Comprenez le macaron sur les pare-brise des voitures. Une sacrée aubaine pour les dealers. Avec cela, franchir une frontière s’apparente à un jeu d’enfants ! En 1976, l’Aveyronnais est ainsi recruté par une bande influente de l’époque, dirigée par un Corso-Marseillais, pour exercer la fonction de «mule».

... attirée par l'argent

«Comme toutes les personnes qui entrent dans ce milieu, Bousquet était attiré par l’argent à en tirer» explique Thierry Colombié, tordant le cou à la rumeur faisant du Viviézois un joueur invétéré ne parvenant plus à régler ses dettes. Et aussi surprenant que cela puisse paraître, le fait d’être Aveyronnais a également joué en la faveur de Bousquet pour entrer dans le grand banditisme : «Il a toujours été de bon ton pour le milieu de s’associer avec des gens qui n’en venaient pas. De surcroît, Bousquet présentait plusieurs qualités pour être de ce monde. Il était très courageux car il fallait tout de même avoir des c.. pour passer les frontières avec des dizaines de kilos de morphine-base. C’était également un garçon fort intelligent et il savait tenir sa langue!» 

Le caducée comme sésame

C’est donc à bord de sa Dyane personnelle que le «toubib» commença à enchaîner les allers-retours entre l’Italie et la France. À chaque fois, la voiture était remplie de morphine-base, l’élément servant à la fabrication de l’héroïne. Et, à chaque fois, les voyages se sont passés sans encombre. Comme prévu, le caducée faisait son effet auprès des douaniers... Bousquet a même été jusqu’en Turquie, la Mecque de la morphine-base pour les trafiquants marseillais ! En même temps, qui aurait bien pu suspecter un médecin à l’heure où tous les enquêteurs de Marseille avaient les yeux rivés sur la guerre opposant les hommes du célèbre Tany Zampa et ceux de Jacky Imbert, dit «l’immortel» ?

Un «toubib» un peu trop voyant

Loin de cette dernière, la bande à Bousquet continuait, elle, ses petites affaires sans être inquiétée. L’Aveyronnais, lui, ne tarde pas à prendre du galon. De simple «mule», il devient un associé de choix pour ses acolytes. Non pas seulement pour ses qualités intellectuelles mais également car les gros bonnets de l’organisation voient en lui un parfait chef de bande pour...la police. Si jamais celle-ci vient à mettre le nez dans leurs affaires, Bousquet portera à merveille le costume de grand manitou pour les enquêteurs. Au grand bonheur des vrais chefs de la bande. Car, dans le trafic, le «toubib» s’est rapidement montré un peu trop voyant...

Dans le viseur du juge Michel

Ses premiers bénéfices en poche, Bousquet a dépensé sans compter, dans les voitures notamment pour lesquelles il vouait une grande passion. Il n’était pas rare non plus de le voir sortir aux bras de jolies call-girls. Malgré les remontrances sur son train de vie, il n’en avait que faire. Certains de ses associés ont même rapporté qu’il s’amusait souvent à reprendre des répliques du fameux film French Connection (de William Friedkin, sorti en 1971)!  En attendant, Bousquet a commencé à se faire un petit nom sur la place marseillaise. Et à se tisser un joli réseau parmi lequel on retrouve notamment les inséparables François Girard, dit «le» Blond», et Francis Scapula, «le Brun»... 

L’argent coûte que coûte

Le premier est devenu célèbre quelques années plus tard en étant reconnu comme le commanditaire de l’assassinat du juge Pierre Michel en 1981 tandis que le second fut le premier repenti de la French Connection. Si Bousquet a grandi aussi vite dans l’organisation, c’est également qu’il ne reculait devant rien quand une affaire s’annonçait juteuse. L’argent toujours. Coûte que coûte, parfois. Cela a d’ailleurs bien failli lui jouer un mauvais tour en 1978. Comme le rapporte Thierry Colombié dans son livre «Beaux voyous», sa carrière est passée à deux doigts de s’arrêter net en 1978. Lors d’une transaction avec une famille mafieuse du Canada, Bousquet choisit d’ajouter 700 grammes de lactose (!) à une cargaison de 6 kg d’héroïne pour, selon ses dires, «faire un compte rond». Mais la fumisterie est rapidement décelée de l’autre côté de l’Atlantique. La cargaison revient illico sur les côtes françaises sans le million de dollars espéré. Pas au courant de la combine, les associés de Bousquet sont furieux. Mais, ils parviennent rapidement à refourguer l’héroïne en Italie. Et personne ne lui en tiendra finalement rigueur.

Recette magique

Cet avertissement n’a pas pour autant freiné Bousquet. Bien au contraire. Toujours dans la même optique de gagner plus, l’Aveyronnais se proposa en 1979 de devenir le chimiste de la bande, du nom des transformateurs de morphine-base en héroïne qui ont fait le succès de la French Connection car ils n’avaient pas d’égal dans le monde. Après avoir récupéré la recette magique auprès d’un vieux de la vieille du milieu, Bousquet commença à être formé. «Il s’était rendu compte du profit à tirer en devenant chimiste, surtout à une période où les plus grands s’étaient retirés du circuit devant les peines encourues en cas d’arrestation et les nombreuses découvertes de laboratoires clandestins par la police. Il a été formé au métier car, en tant que médecin, il avait une certaine base dans la chimie. Mais, il ne fera pas un bon chimiste. À chaque fois qu’il traitait la morphine base, quelqu’un était obligé de rattraper ses bêtises! Néanmoins, cela lui a permis de rencontrer de nouvelles personnes et de grimper un peu plus dans le trafic», raconte Thierry Colombié, l’expert de la période.

Rencontre avec Cosa Nostra

Trois ans après son premier voyage en Italie en tant que simple mule, Bousquet y retourne. Cette fois, le jeu en vaut la chandelle. Sa bande doit y rencontrer la crème de la crème de la pègre, la fameuse Cosa Nostra! Quelques mois auparavant, les pontes de la mafia sicilienne avaient pris la décision d’investir massivement dans le trafic d’héroïne. Les contacts furent rapidement pris avec les rois de ce trafic, les bandes marseillaises.

La «French Sicilian Connection» voit le jour. Grâce à l’intermédiaire de voyous français retirés à Milan-comme nombreux à l’époque-, la bande à Bousquet n’a pas tardé à exploiter ce nouvel horizon. Et pas avec n’importe qui. Mais avec une des plus respectables familles mafieuse de Sicile dirigée à l’époque par Don Gerlando Alberti, un des parrains les plus influents de l’île. Malgré son style et son train de vie «m’as-tu vu» qui ne rassuraient pas franchement ses associés, André Bousquet fut tout de même invité à la toute première rencontre entre sa bande et le grand mafieux italien sur les hauteurs de Palerme. Ce dernier, accompagné de ses plus fidèles lieutenants et conseillers, n’a pas mis longtemps à affubler Bousquet d’un nouveau surnom.

Photo montage des trafiquants de drogue : Jean-Claude Champion, Jean-Claude Ranem et André Bousquet, chimiste de la "French-sicilian-connection", arrêtés le 27 Août 1980 à Palerme.
Photo montage des trafiquants de drogue : Jean-Claude Champion, Jean-Claude Ranem et André Bousquet, chimiste de la "French-sicilian-connection", arrêtés le 27 Août 1980 à Palerme. Repro CP

«Goldorak»

Désormais, il s’appelait «Goldorak», en raison de sa silhouette imposante et de sa démarche lente et mécanique. Après plusieurs jours de discussions et de flânerie sur l’île, Siciliens et Marseillais trouvèrent un terrain d’entente. Ces derniers devaient juste transformer la morphine-base en héroïne et la Cosa Nostra s’occupait de tout le reste... Le désormais chimiste André Bousquet n’avait donc plus qu’à se mettre au travail. Une villa, appartenant à la famille d’Alberti, servirait de laboratoire.

Mais André Bousquet ne parvenait toujours pas à trouver ce fichu tour de main ayant fait la réputation de ses pairs. Ses résultats de transformation ne satisfaisaient ni ses hôtes, ni ses associés. Devant les pertes considérables, les mafiosi locaux envisagèrent même de le liquider! Bousquet resta tout de même en Sicile. Mais cette fois, seulement en tant qu’assistant-chimiste. Il fait alors venir des amis à lui pour l’aider à «tourner» la morphine-base... Des amis que Bousquet avait rencontrés lors de soirées parisiennes où jet-set et voyous trinquaient ensemble. Il faut dire que l’Aveyronnais avait pris ses aises depuis des années dans la capitale. Près de Saint-Ouen notamment où son frère exerçait le métier de... gardien de la paix.

Un simple rouage ?

En attendant de retrouver ces fêtes mondaines qu’André Bousquet aimait tant, les dollars pleuvaient en Sicile. Et finalement, c’était bien là l’essentiel. Mais la belle vie n’a qu’un temps, c’est bien connu. L’Aveyronnais était dans le viseur du juge Michel-qui, dit-on, connaissait par cœur la vie de ce dernier-, et ne tardait pas à l’être dans celui de la police italienne menée d’une main de maître par le plus célèbre des juges anti-mafia, Giovanni Falcone.Personne dans le coin n’était dupe. Les Français et Bousquet n’étaient pas en Sicile pour parfaire leur bronzage. Leurs jours étaient comptés. Et l’enquête autour d’eux s’intensifia à l’été 1980. «Le juge Michel s’est trompé sur Bousquet. Comme le voulaient les vrais décideurs de sa bande, il a cru que c’était le chef et l’organisateur du trafic. Alors qu’en fait, il n’en était qu’un rouage», indique Thierry Colombié.

André Bousquet n’a jamais brisé l’omertà

Et à l’époque, les officiers italiens réussissent un coup de maître en parvenant à convaincre le tenancier d’un hôtel, où «Goldorak» et ses amis siciliens avaient leurs habitudes, de mettre sur écoute chambres et hall d’entrée. Le patron de l’hôtel-il sera exécuté par les hommes d’Alberti après le coup de filet- coopéra activement avec les autorités et les filatures commencèrent. La villa du gendre d’Alberti qui servait de laboratoire pour Bousquet et ses associés fut rapidement dénichée. Et, le matin du 27 août, l’opération était lancée. Bousquet et deux de ses acolytes furent arrêtés. Dans le même temps, le parrain palermitain tombait également. La légende veut que ce dernier ait alors déclaré aux enquêteurs: «La mafia, qu’est-ce que c’est? Je ne connais pas. Est-ce un fromage?»

Le «docteur», lui, resta silencieux tout le long des interrogatoires. Et ce, même devant le juge Michel qui avait fait le déplacement exprès de Marseille en Italie pour l’entendre. En revanche, en 1984, il n’a rien pu faire face à la peine prononcée par le tribunal de Palerme à son encontre: 16 ans de réclusion criminelle. Extradé vers la France, il verra même sa peine alourdie à 18 ans par la cour d’appel d’Aix-en-Provence. En 2001, André Bousquet bénéficiera d’une liberté conditionnelle. Avant de replonger, trois ans après, dans une nouvelle affaire de... trafic, de cocaïne cette fois. On ne se sépare pas du milieu comme cela ! Même lorsqu’on a grandi à des années-lumière de celui-ci...

Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?