Daran du bout du monde

  • Artiste français exilé au Canada, Daran est le créateur du célèbre titre "Dormir dehors".
    Artiste français exilé au Canada, Daran est le créateur du célèbre titre "Dormir dehors". Capture écran
  • Daran du bout du monde
    Daran du bout du monde
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Monsieur L’ouïe

Daran est un fou : il a quitté une position assise et un climat somme toute tempéré pour aller s’installer au Québec, se peler la bouille sous la neige, ou dessus. Quasiment au Grand Nord, pour être peut-être sûr de ne pas le perdre. Moi qui préfère la chaleur voire presque une séance balnéo au cœur du désert de la Mort plutôt qu’une randonnée sur les monts hivernaux de l’Aubrac, voir un type risquer de perdre par le gel les doigts qui lui tiennent lieu de guitariste en allant là-haut, je ne vois point d’autre explication.

Mais bon, le Québec nous a tellement habitués à nous bombarder les tympans à grands coups de chanteurs hurleurs et de castafiores brise-verre qu’il fallait bien aussi que la France leur envoie quelques gouailleurs kamikazes à combustion spontanée dans sa face. Daran donc releva le défi. Comme bâtons de dynamite, des textes «made in himself» ou bien de copains, livrés depuis le port de Brest, signés Miossec ou Moran. Pour l’explosion, pour envoyer les sirènes, on attendra.

Mieux encore: avec Daran, l’explosion est permanente, mais personne ne s’en aperçoit. Une sèche, une voix grave, presque sourde, par ci par là un harmonica, une électrique en sliding discret, une vague sensation de grande chaleur, une impression d’intimité dans les grands espaces... Voilà la déflagration selon Daran. Pour une fois que des bombes de kamikazes ont comme conséquence non de la douleur, mais une douceur, amère certes, on ne peut que s’en féliciter. Intacts en sortons-nous? Pas tout à fait: l’âme est touchée. Du doigt. Interrogée. Blessée légèrement, léger, très léger. Et invitée à se perdre. À la recherche du Monde perdu, puissant mythe des lendemains que le monde présent veut rayer de la carte.

Daran n’est pas perdu, mais il a pris le pas, le sens des Gens du voyage, en route vers la salutaire perdition, mais poussés, souvent, hors de chez eux par les bombes, les vraies, celles que nos civilisations produisent dans des usines géantes, où sur des voisines les idées du siècle sont fabriquées et conditionnées comme arguments publicitaires.

Depuis le Québec, Daran voit ça, il a «vue sur notre époque de bric de broc, qui jamais ne doute et constamment triche». En onze chansons, il se présente, comme Gentil, toujours avec un œil sur les jambes des femmes, surtout celles qui osent en ces temps venir boire des verres dans les bars, et un autre sur le monde. Nos sociétés «À Tchernobyl il y a des biches, il y a des lynx et des loups: que restera-t-il de nous ?».

Aujourd’hui où notre vie se bouscule pour le grand bal des poulets («Plume, plume, tu ne sais pas qui va te plumer»), dans un abattoir industriel où les portes ne s’ouvrent que sur des portes, Daran nous rappelle à nouveau ce Monde perdu, qui sent bon la sève et le roc, bien planqué dans nos plis et nos plaies, où c’est mieux qu’en face, où les explosifs ne partent en fumée que pour faire du bien. Bon, était-il bien nécessaire pour ça d’aller se geler la grenouille au Québec ?

Monsieur L’ouïe

Daran du bout du monde
Daran du bout du monde

Daran, «Le monde perdu», chez Washi Washa.

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