Crozes, Douzou, Bony : ce qu'ils pensent de la réforme de l'orthographe

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    Crozes, Douzou, Bony : ce qu'ils pensent de la réforme de l'orthographe
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Centre Presse Aveyron

Largement amplifiée par les médias et les réseaux sociaux, le vent de réforme qui vient de souffler sur notre bonne vieille orthographe fait réagir. 

Largement amplifiée par les médias et les réseaux sociaux, le vent de réforme qui vient de souffler sur notre bonne vieille orthographe -au risque d’emporter avec lui quelques subtilités de la langue française, qui font forcément tout son charme et sa complexité aussi- n’a pas manqué de tournebouler Daniel Crozes.

Daniel Crozes : «Surpris, même choqué » 

Lorsque nous l’avons contacté, il en avait encore l’esprit tout retourné. Il est vrai que de voir le nénuphar se donner de faux airs de girafe, en échangeant son p et son h contre un f, ça fait quand même tout drôle... Certains fondements culturels du pays des Lumières seraient-il en train de céder face aux raccourcis simplificateurs (et parfois simplistes) de la «génération texto» ?

«Je fais sûrement partie des gens un peu vieille France, très attachés à l’orthographe et à l’écriture, précise l’auteur d’Un été d’herbes sèches, son dernier roman. Cela me paraît tout à fait normal. Je suis écrivain et je respecte les règles traditionnelles. J’ai même, chez moi, le code typographique de l’imprimerie nationale et je m’y réfère souvent. C’est une bible. Je pourrais être plus souple mais je pars du principe qu’un auteur doit rendre un manuscrit le plus correct possible. Quand je vois le projet de réforme je me dis que l’écriture est déjà très fantaisiste et qu’elle risque de l’être encore plus demain.»

Et Daniel Crozes qui s’avoue quelquefois «effaré par le niveau lamentable de certains interlocuteurs», de se dire «surpris, même choqué.» «Qu’est-ce qu’on va avoir comme littérature dans dix ou quinze ans. Les jeunes auteurs vont écrire comment? Quand on lit Voltaire ou Rousseau, on n’est quand même pas dérouté...» 

Pour l’écrivain fidèle aux Éditions Rouergue, la question est réglée: «Je crois que ce n’est pas rendre service à la langue française et au rayonnement du pays. Le français n’est pas une langue dominante, ce n’est pas le moment de baisser la garde.Ma belle-famille est malgache. À Madagascar, les deux langues sont enseignées, et mes nièces et neveux écrivent mieux que certains jeunes Français...»

Olivier Douzou : «Un jeu débile»

«L’avantage c’est que si les Académiciens ont mis vingt ans à réformer trois pauvres mots, avant de voir le langage SMS arriver, on est tranquille pour trois siècles», blague Olivier Douzou. L’illustrateur jeunesse, figure locale des Éditions du Rouergue, voit en cette réforme de simplification «un jeu débile», «ridicule» et «désuet».

«Pour intéresser les enfants au français, c’est l’apprentissage qu’il faut repenser, en passant par la culture par exemple. Je ne suis pas sûr qu’accepter deux orthographes pour un mot simplifie quoi que ce soit... Surtout pour des mots comme «nénuphar» que les gamins sont amenés à écrire trois fois entre la maternelle et le lycée.» Et de reprendre : «Certes, la langue française est riche et compliquée, mais d’après moi, ce sont plus la conjugaison et les accords qui posent problème aux enfants. Il y avait mieux à faire.»

Lu par des milliers de bambins depuis une vingtaine d’années, Olivier Douzou est formel: dans ses bouquins, oignon gardera son i. «Ne serait-ce qu’en souvenir de mon grand-père et de milliers d’Aveyronnais qui prononcent «oi». Et parce que dans ce cas-là, l’orthographe a une véritable signification historique. Basculer dans la phonétique, c’est aussi mettre à mal les accents locaux.»

L’illustrateur continuera à jouer avec les mots oui, mais sans oublier la principale règle du jeu : «accepter la rigueur de la langue». Et le Ruthénois de conclure plus sérieusement : «Il ne faut pas oublier que les manuels scolaires représentent un réel business, qui ne va pas sans lobby. Ils ont besoin de nouveautés pour actualiser, réimprimer et réapprovisionner : ceci explique cela.»

Sabine, enseignante : « Cela me paraît être une évidence »

«Dans l’ensemble, cela rejoint mon idée première». Sabine, enseignante, est allée scruter de près les modifications annoncées pour mieux se faire une idée. Et après réflexion, elle lance : «Rien ne me choque vraiment dans ces décisions. Cela me paraît être une évidence».

Elle a même une jolie formule pour évoquer la disparition dans certains cas de l’accent circonflexe par exemple. «C’est le témoin de l’évolution du mot. Il y avait un s au départ, il a disparu au profit de l’accent circonflexe. Pourquoi cet accent ne disparaîtrait pas?»

Et à propos d’accent, une petite réflexion la fait sourire, à propos de changements sur certains accents : «Je pense que cela va poser un petit problème dans nos régions. Parce qu’avec notre accent, je ne suis pas sûre que cela marche vraiment! Mais était-ce vraiment utile de s’y pencher dessus?»

L’occitaniste Paul Bony : « Une langue figée est morte »

D’emblée, Paul Bony, véritable chantre de l’occitanie s’excuse : «Je ne suis pas un linguiste, alors je ne voudrais pas vous dire de bêtises... » Mais avançant dans la discussion à propos, il lance :

«On n’écrit plus aujourd’hui comme il y a trois siècles. Une langue figée est une langue morte. La simplifier me paraît dès lors évident. Et si cela peut faire en sorte qu’elle soit plus utilisée encore, c’est tout bénéfice. Il est cependant important de ne pas faire n’importe quoi, mais là, je ne suis pas bien placé pour en parler».

Même si la disparition de l’accent circonflexe dans certains cas le fait sourire : «il est né du “s” que nous avons gardé en occitan, comme pour fenestre par exemple.» Au-delà de toutes ces discussions, c’est le maintien en vie des langues régionales, du latin ou du grec qui l’anime. Et ça, c’est une autre histoire.

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