Avec "Encore heureux", le Villefranchois Nicola Delon redonne du sens à l'architecture

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  • Nicola Delon, (ici à  gauche) aux côtés du chef Thierry Marx avec qui réinvente le restaurant de la Tour Eiffel : "un chantier difficile à 58 mètres du sol.". Nicola Delon, (ici à  gauche) aux côtés du chef Thierry Marx avec qui réinvente le restaurant de la Tour Eiffel : "un chantier difficile à 58 mètres du sol.".
    Nicola Delon, (ici à gauche) aux côtés du chef Thierry Marx avec qui réinvente le restaurant de la Tour Eiffel : "un chantier difficile à 58 mètres du sol.". @EH
  • Implanté à Clermont-Ferrand depuis plus de 125 ans, le siège social Monde du Groupe Michelin s’étend sur un site de 15 hectares.
    Implanté à Clermont-Ferrand depuis plus de 125 ans, le siège social Monde du Groupe Michelin s’étend sur un site de 15 hectares. @EH
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Aurélien delbouis

Généraliste assumé, le Villefranchois est à la tête du collectif d’architectes "Encore Heureux" qui explore la question du réemploi, à un instant décisif où l’architecture aspire à se réinventer entre contraintes économiques, environnementales et nouveaux usages.

Il est le fer de lance d’une nouvelle génération d’architectes résolument responsables, attachés aux questions écologiques et environnementales. "On porte, c’est vrai, beaucoup d’attention à l’architecture du quotidien, abonde Nicola Delon, plus vernaculaire, évolutive, consciente des enjeux environnementaux, fondée sur l’interprétation du bon sens paysan."

Villefranchois de 43 ans à la tête du collectif depuis sa création en 2001, Nicola Delon et ses 25 collaborateurs s’emploient à "mettre l’architecture au service d’un futur plus soutenable." "La question écologique et environnementale est au cœur de nos préoccupations. Je pense qu’aujourd’hui, il faut aller beaucoup plus loin dans les engagements que l’on prend. Plus que jamais, les architectes ne peuvent plus se dérober à la responsabilité du monde qui advient, et donc à la nécessité d’imaginer ce qui, demain, doit exister." Chez Encore Heureux, "on aime bien affirmer le fait que nous sommes des architectes généralistes avec une vision globale. A l’interface de l’histoire de l’art, de la physique, du politique. Nous considérons cette approche comme la seule susceptible de nous faire prendre la juste mesure de problématiques toutes spécifiques, diverses." Loin du geste satisfait des "starchitectes", Encore Heureux prône le réemploi, l’économie circulaire, l’écologie "politique". "Nous préférons toujours réhabiliter les bâtiments plutôt qu’en construire d’autres, consommer moins de matériaux…", explique ce passionné d’équitation qui sait se jouer des obstacles pour en tirer avantage.

"Matière grise"

Pour la rénovation du siège social du groupe Michelin à Clermont-Ferrand, Encore heureux a décidé de réemployer d’anciens vitrages extérieurs pour en faire des cloisons de salles de réunion. Un procédé déjà exposé en 2015 à l’occasion de la COP21. "Nous avions présenté un petit pavillon circulaire construit sur le parvis de l’Hôtel de ville avec d’anciennes portes d’appartement. Le but était de démontrer que l’on peut construire avec du réemploi. Faire des déchets une ressource", plaide Nicola. Un an plus tôt, cette thématique du réemploi avait donné lieu à une exposition "Matière grise" au pavillon de l’Arsenal, toujours à Paris : un des plus beaux succès d’Encore Heureux. "Nous avons accueilli plus de 100 000 visiteurs, réédité la catalogue à 5 reprises, une vraie réussite !" Propulsé ensuite commissaire du pavillon français lors de la Biennale de Venise, le collectif s’affirme depuis comme le fer de lance de cette architecture vernaculaire, innovante et respectueuse de la planète.

Avec une gageure, ne pas déconnecter la question environnementale, écologique de la question sociale.

Matériaux locaux

Pour Nicola, "faire de l’écologie sans penser le social, c’est du jardinage ! Dans un monde où les ressources sont limitées, on se doit de partager. C’est bien de rouler en électrique, mais si la personne à côté de toi n’a pas de quoi manger, de quoi élever ses enfants, tout ça n’a aucun sens." Inépuisable chez Encore Heureux, cette capacité d’innovation permet à la structure parisienne de rayonner dans le monde. Outre le siège Michelin, notons l’école Pasteur de Rennes, la salle des fêtes Pratgraussals à Albi ou le projet de rénovation du restaurant de la Tour Eiffel aux côtés du chef étoilé Thierry Marx : "un projet complexe à 58 mètres au-dessus du sol". À une autre échelle, le cinéma de Colomiers, réalisé en partie en terre crue, permet à Nicola Delon de réhabiliter une technique traditionnelle de construction en pisé : "on prend la terre extraite localement, on la tasse avant de la cuire" résume le bâtisseur. À Mayotte, le collectif œuvre aussi à la construction du lycée des métiers de Longoni. Un projet "immense" déplié sur 25 000 m² pour un budget – de l’ordre de 80 millions d’euros – qui l’est tout autant. "Compte tenu de sa taille, nous avons décidé de relancer sur place une filière de construction en briques compressées en terre crue, le seul matériau présent sur l’île." Pour l’Aveyronnais pas de doute : "La justesse d’un projet résulte à nos yeux d’un savoir-composer avec ce qui existe ici et maintenant, d’un savoir-raconter de nouvelles histoires avec un présent à toujours réexplorer."

Sensée, sobre et sensible, cette nouvelle approche de l’architecture a pu étonner mais répond parfaitement aux contraintes d’un "monde fini". "Notre parti pris a toujours été très iconoclaste. Mais la situation environnementale, son évolution, fait que nous sommes plus écoutés aujourd’hui qu’à nos débuts."

La crise du Covid démontre aussi le potentiel qu’ont les territoires, plus ruraux, les villes moyennes, type sous préfecture. Ces oubliés de la mondialisation vont retrouver de l’intérêt dans un avenir plus proche qu’on ne le pense, en lien aussi avec la capacité agricole de ces territoires.
Nicola Delon
 

Promoteur de « lieux infinis »

« Pour nous, les lieux infinis sont une traduction du tiers- lieu, ces espaces ouverts et hybrides ayant pour vocation de créer de nouvelles dynamiques économiques et sociales sur les territoires. On pense que les lieux du futur ne doivent pas avoir une seule fonction. Nous n’avons plus le luxe d’avoir une école, un gymnase pour le sport, une salle de spectacle qui ne sert que deux fois par mois. Il faut que l’on hybride les usages. Considérer une multiplicité d’occupation pour un bâtiment », explique Nicola Delon. « Par lieux infinis, il y a aussi cette idée d’architecture ouverte, vernaculaire, vivante. On laisse la possibilité de faire évoluer un bâtiment sans crainte de dénaturer l’œuvre. On l’a vu récemment, les villes sans la campagne ne peuvent rien faire. Elles sont complètement dépendantes soit de la mondialisation, soit des territoires beaucoup plus proches. C’est pour ça que les projets de tiers-lieux qui viennent repenser ces connexions, ces solidarités territoriales, sont très importants. »
 

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