Y-a-t-il des gens créatifs et d'autres pas ? L'auteur de La baignoire d'Archimède répond et c'est surprenant

  • La créativité n'est pas l'apanage des génies
    La créativité n'est pas l'apanage des génies Photo by davisuko/ Unsplash
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Relaxnews

(ETX Studio) - Pas besoin d'être un génie pour être créatif au quotidien. Dans son ouvrage "La Baignoire d'Archimède" à paraître aux Editions Arké le 6 mai prochain, Jules Zimmermann décortique le processus créatif. A l'occasion de la journée mondiale de la créativité et de l'innovation, l'auteur et enseignant a répondu à nos questions. 

Pourquoi sommes-nous souvent plus créatifs sous la douche ? Tout le monde peut-il être créatif ? S'agit-il d'un don, d'une inspiration ou d'une forme d'exercice de la pensée ? Jules Zimmermann a étudié les sciences cognitives à l'Ecole normale supérieure. Cet enseignant et confériencier a fait de la créativité son objet d'étude favori. A 27 ans à peine, il livre le résultat de ses recherches dans son ouvrage "La Baignoire d'Archimède" aux Editions Arké, à paraître le 6 mai 2021. Il y décortique les travaux scientifiques sur le sujet et détaille des techniques et méthodes pour développer sa créativité. Et bonne nouvelle, pas besoin d'être un Einstein pour avoir de bonnes idées. Ouf !

ETX Studio - Que désigne-t-on lorsque l'on parle de créativité ? 

Jules Zimmermann - En psychologie, on considère que c'est une façon de penser que l'on déploie lorsqu'il n'existe pas de solution toute faite pour résoudre un défi. Quand j'arrive devant une poignée de porte, c'est facile, je sais l'ouvrir. Mais lorsque je me retrouve confiné(e) par la pandémie, c'est le vide. Et je cherche de nouvelles solutions, de nouvelles façons d'habiter chez moi, par exemple, que je n'ai pas encore expérimentées jusque-là. 

Est-ce que tout le monde est créatif ? 

Il existe une idée très populaire selon laquelle tout le monde est créatif, de l'artiste à l'entrepreneur. Je suis assez opposé au discours qui consiste à dire que nous sommes tous des génies créatifs avec un immense potentiel caché en nous. Nous pouvons tous développer notre créativité. Cela ne veut pas dire que nous avons tous vocation à être des génies créatifs. C'est l'occasion de se défaire d'une injonction forte : celle de "réussir" même dans nos activités de plaisir. Je trouve ça assez terrible cette idée selon laquelle en tant qu'être humain moderne, on devrait forcément se réaliser en créant, en inventant des choses. Donc j'essaye de m'inscrire contre cette idée.  

Avec des shémas de vie déjà pensés, allant du CDI dans le travail, au mariage dans la vie privée, existe-t-il encore un périmètre de créativité dans nos vies ? 

Si l'on pousse encore plus loin le raisonnement, nous avons Uber, Deliveroo, et une flopée d'applications dans notre portable capable de remplacer de nombreuses activités que nous avons à faire. C'est ce qu'on appelle la société du tapis roulant : on s'assoit, on se laisse porter, et on ne fait plus rien. Un peu à l'image de Wall-E, cette dystopie de Disney où des humains obèses passent leur journée sur de gros sièges, portés par des tapis roulants, à regarder un écran. C'est tout l'inverse de la créativité. On n'est plus actif, ni en capacité de trouver des solutions par soi-même. 

"Nous sommes dans une société du tapis roulant :on s'assoit, on se laisse porter et on ne fait plus rien" Jules Zimmerman

A-t-on vraiment besoin d'être créatif aujourd'hui ?

On a besoin d'être créatif si l'on veut être autonome et libre ! Si l'on suit des solutions pensées à notre place, on ne peut malheureusement pas se construire la vie que l'on veut. Donc, il existe une forme de créativité pour inventer sa vie et inventer des solutions différentes que celles que nos parents, la culture ou que la société ont pensé pour nous. 

Il existe des personnalités naturellement encline à la créativité, est-ce l'éducation, le milieu ou un savant mélange de ces paramètres ? 

C'est une question qui est délicate, car nous n'avons pas encore toutes les réponses. Mais je partirai sur l'idée du milk shake. On sait que l'éducation a une forte influence, et notamment le cadre établi par nos parents. Une étude du psychologue français Jacques Lautrey ("Classe sociale, milieu familial, intelligence", 1989) montre qu'un cadre trop libre, ou, au contraire, trop contraint ne favorise pas la créativité. L'idéal est un bon équilibre entre les contraintes et la liberté. On sait aussi que, pour développer ses idées lorsque l'on est enfant, on a besoin d'un accueil positif. J'ai eu la chance d'avoir des parents très enthousiastes lorsque j'avais une idée. Mais à l'inverse, lorsqu'un enfant présente une idée originale dans une famille où on lui répond que c'est débile ou qu'il n'y arrivera jamais, alors la personne ne s'autorisera pas ce genre de projet.

Existe-t-il d'autres paramètres ?

Même les personnes qui auraient bénéficié du bon cadre familial, avec de bonnes prédispositions, ne développent jamais de processus créatif sans un travail important. Il ne faut pas imaginer une oeuvre ou une découverte artistique spontanée, en se baladant. C'est toujours le résultat de beaucoup de travail, associé à une certaine prédisposition.

Est-ce que l'on sait ce qui se passe dans notre cerveau lorsque l'on a une idée ?

Pas vraiment. On commence à identifier des éléments de notre cerveau qui jouent un rôle important dans la créativité : la complémentarité entre le cortex préfrontal, plutôt associé au raisonnement et à la planification, et les zones par défaut, qui créent des connexions entre des éléments inattendus. Mais nous en sommes au début.

Quelle est la part de la raison et de l'émotion dans la création ? 

J'aurais envie de la ramener à quelque chose d'un peu différent, entre l'intuition et le raisonnement. On a longtemps pensé la créativité comme l'inspiration divine. Déjà à l'époque des Grecs, on pensait que les dieux envoyaient des idées dans l'esprit des poètes. Ce n'était donc pas une production humaine mais quelque chose qui nous tombait dessus. Cette notion d'inspiration est encore très présente. On a l'impression que ce n'est pas quelque chose que l'on produit, mais quelque chose que l'on inspire, comme une bouffée d'oxygène. 

Ce n'est pas le cas ? 

Aujourd'hui, un champ de psychologie cognitive se développe, opposé à cette idée d'inspiration. Il montre, au contraire, que, pour faire preuve de créativité, on active des zones du cerveau qui sont plutôt liées au contrôle cognitif et au raisonnement. Parfois, on a certes besoin de désinhibition pour s'autoriser à exprimer des idées bizarres. Mais on a aussi besoin de résister à ses premières idées et se creuser la tête. De faire preuve de ce qu'on appelle l'inhibition, de résister à des automatismes. La créativité, ce n'est pas seulement lâcher prise et laisser parler son intuition, c'est aussi mettre en place des raisonnements, des processus de résistance à nos idées spontanées, les plus automatiques. 

Par exemple ? 

Si je veux réinventer la fourchette, et que j'ai déjà une image très stéréotypée de l'outil, je vais avoir du mal à m'en éloigner. Si je dézoome, et que je veux inventer un outil qui mène les aliments à ma bouche, alors je peux imager un tapis volant qui me les amène, comme les sushis dans les bars japonais. 

On entend souvent que la douche est l'endroit où l'on a le plus d'idées. Faut-il faire ses réunions Zoom dans sa salle de bain ?

Je ne pense pas ! (rire) Si l'on dit que les meilleures idées viennent de là, c'est justement parce que la douche est un moment privilégié, où l'on n'a pas d'interruption, de tâches à accomplir, et l'on peut simplement se perdre dans nos pensées. C'est ce que l'on appelle le vagabondage mental. D'après certaines études récentes, il serait particulièrement favorisé par les tâches répétitives, excentes d'attention. Nous y sommes actifs, puisque nous nous savonnons, mais cela nous demande très peu d'attention parce que nous faisons des gestes automatiques. C'est la même chose pour la marche ou la vaisselle. Si vous commencez à brainstormer sous la douche avec vos collègues, vous perdez le bénéfice du moment de pause. Avec les téléphones portables nous n'en avons pratiquement plus. La douche est peut-être l'un des derniers bastions de la créativité.

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