"Je n’ai jamais connu une telle situation" : les maisons de retraite en péril, un collectif voit le jour en Aveyron

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  • Les 72 EHPAD sont en tension avec 70% d'entre eux en déficit.
    Les 72 EHPAD sont en tension avec 70% d'entre eux en déficit. Centre Presse - José A. Torres
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En Aveyron, les responsables d’établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) tirent la sonnette d’alarme et se regroupent avec l’ensemble des filières de santé.

L’heure est grave dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Un terme qui ne sied pas à Pierre Roux, à la tête de l’établissement Bozoulais dont il préfère le terme "plus humain" de maison de retraite. Au-delà de la forme, c’est surtout sur le fond que le bât blesse. Pénurie de personnel, inflation, explosion du coût de l’énergie, tarif d’hébergement non adapté à la situation…

Appel commun le 4 décembre

"Nous sommes confrontés à une crise structurelle qui existe depuis des années et à une crise conjoncturelle. Les deux crises mettent en péril la qualité de vie et les soins des personnes âgées. Si les structures ne peuvent plus assurer leurs missions, que se passe-t-il pour les concitoyens ?", interroge Pierre Roux, par ailleurs délégué départemental de l’Association des directeurs de services aux personnes âgées. Et d’affirmer en connaissance de cause : "Je n’ai jamais connu une telle situation en trente-trois ans, date à laquelle j’ai commencé. Nous voyons un mur arriver, nous espérons une solution d’urgence."

Cette solution d’urgence, ce dernier comme la grande majorité des représentants des maisons de retraite aveyronnaises (70 % d’entre elles), les acteurs du soin à domicile, l’Ordre des infirmiers, des médecins, kinésithérapeutes à travers aussi les communautés professionnelles territoriales de santé, entendent bien le faire savoir. Mais aussi donner des clefs lors d’une annonce commune lundi 4 décembre. Elle sera portée par "le Collectif au service des personnes âgées de l’Aveyron" qui vient de voir le jour. « Alerter sur la réalité, c’est notre responsabilité", résume Pierre Roux. Et Patrice Vidal, à la tête de l’établissement de Nant d’annoncer les trois points qui seront abordés : les tensions sur les ressources humaines, la tarification et le parcours grand âge du domicile à l’hôpital en passant par la maison de retraite. "C’est toute la filière grand âge qui est mise à mal. Nous avons recours à l’intérim pour pallier le manque de personnels ce qui coûte trois fois plus cher. La situation est catastrophique avec l’inflation, d’autant que les aides de l’État n’arrivent pas. On est au bord du gouffre, sans trésorerie, on ne sait pas comment finir l’année."  Autant dire que l’annonce, bilan chiffré à l’appui, fixé au 4 décembre, s’avère vitale, "pour demander notamment une tarification plus adaptée, on est en dessous de la moyenne nationale alors que la population est très vieillissante en Aveyron." Et ce n’est pas l’annonce par l’État d’une enveloppe de 100 M€ qui répond à la crise. Le calcul est vite fait par Pierre Roux : "Cela fait 15 000 € par Ehpad en France."

Quant à la situation de l’aide à domicile, celle-ci n’est pas plus reluisante. "C’est un cercle vicieux qui a créé un engorgement dans les urgences. Le maillage des EHPAD est bon mais il y a un éloignement des centres, comme c’est le cas de Nant où l’établissement se trouve à 40 km de Millau", poursuit Patrice Vidal. Ce dernier, en guise de réponse à Arnaud Viala affirmant que "le modèle actuel s’essouffle et les gens ne souhaitent plus y aller" demandant à être "département pilote pour l’Ehpad de demain » (lire notre édition du 23 septembre dernier, NDLR), ne mâche pas ses mots : "Cela fait vingt-sept ans que je suis en poste à l’Ehpad. L’Ehpad de demain, je m’en tamponne. On a fait de gros efforts comme l’externalisation des services, l’intergénérationnel avec les scolaires, les prestations de services, la mutualisation sur les formations et les achats, les repas en extérieur, etc. Aujourd’hui, on fonctionnerait si les moyens étaient donnés. La solution n’est pas architecturale, les murs ne parlent pas aux personnes."

Les travailleurs étrangers sont essentiels pour fonctionner

Et la solution du recrutement ne peut pas venir à court terme de la formation. « Le taux d’abandon chez les infirmières est considérable et les écoles d’aides soignants ne remplissent plus. Sur cinquante places à Millau, il y a seulement trente candidats. Ce qui pose, de surcroît, un problème de sélection », indique, à titre d’exemple, Patrice Vidal. Face à cette pénurie, les représentants d’Ehpad travaillent avec du personnel étranger. "Nous travaillons avec Coopemploi spécialisée dans le domaine médico-social, sanitaire et social qui s’apprête à ouvrir une antenne à Rodez."  Ainsi, à Nant, treize agents venus de Tunisie ont exercé pendant trois mois. Il en est de même sur l’Aubrac, où à Saint-Chély, ce sont cinq Érythréens, une Roumaine et trois Vietnamiens qui ont été recrutés. "Sans les étrangers, on aurait fermé", conclut David Morin, directeur d’un établissement qui vient de célébrer ses 150 ans.

Situation déficitaire à Saint-Chély : explication en chiffres

David Morin, responsable de l’Ehpad de Saint-Chély-d’Aubrac, explique la situation déficitaire de son établissement à l’instar de 70 % d’entre eux en Aveyron, en tenant les comptes.
Côté recettes : 3,3M€ avec 65 lits, 900 000 € de l’assurance maladie, 450 000 € avec l’allocation personnalisée d’autonomie, 100 000 € de recettes diverses.
Côté dépenses : 2,3 M€ de masse salariale, 280 000 € d’immobilisation pour les bâtiments, 60 000 € d’intérêts d’emprunt, 170 000 € pour l’alimentation qui a augmenté de 16 % en un an avec l’inflation, 120 000 € de facture d’énergie qui a pris 60 % en un an et demi, 300 000 € de dépenses diverses (assurance, téléphone, entretien, etc.).
400 000 € de déficit
Après calcul, les comptes restent à l’équilibre sauf que le coût de l’intérim pour remédier au manque de personnel représente le double d’un poste en CDI, soit 700 000 € pour son établissement avec cinq soignants compensés par des intérimaires. Le déficit s’élève alors à 400 000 €. "Le tarif d’hébergement fixé par le Département a certes augmenté de 3,5 % mais ne compense le niveau de l’inflation", fait aussi remarquer David Morin. C’est pour cette raison que la Fondation de la maison de retraite de Saint-Chély a adressé un courrier au Département (lire ci-dessus) pour demander à augmenter la tarification.
Premier établissement de l’Aveyron à avoir vacciné contre le Covid, David Morin estime depuis toujours "avoir fait le job mais aujourd’hui on gère la pénurie."

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Les commentaires (2)
Altair3412 Il y a 6 mois Le 04/10/2023 à 09:05

Il y a beaucoup d'argent pour les mineurs non accompagnés, il y en a aussi beaucoup pour l'AME ; forcément il y n'en reste guère pour nos ainés !
Incroyable mais vrai l'AME finance même de la chirurgie esthétique aux migrants telles des rhinoplasties ou le décollement des oreilles ! ! !
Jusqu'à quand les Français vont-ils supporter cela ?

filochard Il y a 6 mois Le 03/10/2023 à 23:14

Pour régler les pénuries de personnels, il est nécessaire de ne plus donner d'allocations aux personnes qui refusent de travailler.
Pas d'argent de distribué sans contrepartie !