Laser Mégajoule: dans la pinède de Gironde, la dissuasion nucléaire in vitro

  • Le bâtiment qui abrite le Laser Mégajoule, à Le Barp, en Gironde, le 10 janvier 2014
    Le bâtiment qui abrite le Laser Mégajoule, à Le Barp, en Gironde, le 10 janvier 2014 AFP/Archives - Nicolas Tucat
  • Une chambre d'expérimentation du Laser Mégajoule, à Le Barp, en Gironde, le 10 janvier 2014
    Une chambre d'expérimentation du Laser Mégajoule, à Le Barp, en Gironde, le 10 janvier 2014 AFP/Archives - Nicolas Tucat
  • Un des éléments du Laser Mégajoule, encore en construction à l'époque, à Le Barp, en Gironde, en 2010
    Un des éléments du Laser Mégajoule, encore en construction à l'époque, à Le Barp, en Gironde, en 2010 Pool/AFP/Archives - Eric Feferberg
Publié le
Centre Presse Aveyron

Un vaste complexe de 700 hectares, à Le Barp, en Gironde, entre bruyère et pins, abrite depuis quelques semaines des expériences de simulations d'armes nucléaires: c'est le Laser Mégajoule, nouveau visage virtuel de la dissuasion, 18 ans après le dernier tir français en Polynésie.

Symboliquement, le LMJ n'a été mis en service que le 23 octobre, lorsque le Premier ministre, Manuel Valls, a présidé à une mini-simulation. En fait, deux tests de qualification avaient déjà eu lieu en toute discrétion peu avant. Et les "séquences d'expériences" - on rechigne au Mégajoule à parler de "tirs" - vont s'accélérer pour atteindre jusqu'à 200 par an, souligne Pierre Vivini, chef de projet.

Le LMJ, projet de trois milliards d'euros à la charge du ministère de la Défense, est l'aboutissement d'un chantier lancé lorsque la France signa, en 1996, le Traité d'interdiction complète des essais nucléaires (CTBT), après une ultime campagne de tirs qui suscita un tollé dans le Pacifique.

François Geleznikoff, directeur des armes nucléaires au Commissariat à l'énergie atomique-Direction des applications militaires (CEA-DAM), s'en souvient: "A ce moment-là, il y a eu un dialogue entre le président de la République et nous. On nous a posé une question de confiance: pourrez-vous toujours nous garantir les armes sans aucun essai nucléaire? On a dit oui!".

- Seuls Américains et Français -

Le résultat est là, au coeur d'un bâtiment de 300 m de long et 50 m de haut, dans un vaste domaine ceint de barbelés, non loin de l'autoroute A63 reliant Bordeaux à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques).

Survol interdit de la zone, accès restrictif, contrôles multiples, sas d'accès aux halls... L'esprit, pourtant, peine à réaliser que le coeur de la dissuasion française, les expériences qui permettront d'armer les missiles de la force nucléaire, s'élaborent ici, dans un paysage de lande presque bucolique.

Le Barp, un "Mururoa in vitro"? Le "Mr Armement" du CEA sourit de la référence à l'atoll polynésien où la France mena ses essais controversés: "A Mururoa, on faisait des explosions, on mettait en oeuvre de la fission", des matières radioactives. "Dans les expériences ici, il n'y a aucune fission, on la remplace par de la lumière, des faisceaux laser que l'on projette sur une toute petite quantité de matière, une cible millimétrique, mais dans un temps très court, de l'ordre des milliardièmes de seconde".

Energie mais surtout vitesse, donc puissance. A partir de là, les physiciens vérifient comment se comporte la matière, par exemple la relation entre pression, densité et température, l'interaction des différents rayonnements. Et valident les modèles physiques qui interviennent dans le fonctionnement des armes nucléaires.

Dans cette quête de la "fusion par confinement inertiel", seuls les Américains, avec le National Ignition Facility (basé en Californie), possèdent un laser aussi abouti. Mais "les Russes ont lancé quelque chose d'analogue et les Chinois sont en train de le faire", souligne-t-on au CEA.

- "Tour Eiffel technologique" -

La visite du bâtiment, en tenue antistatique pour éviter la moindre poussière (ennemie des optiques), plonge dans un décor de science-fiction: salle de commande, halls laser où les faisceaux - huit à ce jour, 176 à terme - sont amplifiés et "chambre d'expérience", où une sphère sous vide de 10 mètres de diamètre pour 30 cm d'épaisseur (aluminium et béton), abrite la micro-cible attaquée par les faisceaux.

"Il y a une espèce d'esthétique dans cet enchevêtrement de matières, la taille gigantesque de l'installation. Je ne dirai pas que c'est une cathédrale, mais... ", s'émerveille François Geleznikoff, qui rappelle que 4.000 visiteurs, scolaires, universitaires, industriels ou militaires, visitent le LMJ chaque année. "On veut montrer qu'il ne se passe ici rien de catastrophique, juste quelque chose d'exceptionnel sur le plan technologique", insiste-t-on au LMJ.

"Il y a 100 ans, les gens visitaient la Tour Eiffel, c'était une merveille de technologie de l'époque. C'est un peu une +Tour Eiffel du 21e siècle...+", résume François Geleznikoff. "Plus de 250 entreprises françaises ont collaboré au LMJ, "avec des technologies qui pour la plupart n'étaient pas matures quand on a lancé le projet", souligne Pierre Vivini.

La prouesse technologique laisse froid les anti-nucléaires pour qui, par-delà la simulation, reste "la finalité d'une arme de destruction massive", selon le collectif anti-nucléaire Négajoule. "Encore heureux qu'on simule désormais!", appuie Greenpeace, dont la genèse dans les années 1970 fut le combat contre les essais atmosphériques. "Mais, dans +simulation d'arme nucléaire+, il y a arme nucléaire...".

Source : AFP

Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?