L’Aveyron au temps des grandes épidémies (3/3) : la grippe espagnole, "l’œdème de guerre"

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  • Un hôpital d’urgence au Kansas. Cet état américain est l’un des foyers d’origine de l’épidémie.
    Un hôpital d’urgence au Kansas. Cet état américain est l’un des foyers d’origine de l’épidémie. Reproduction Centre Presse -
  • Une zone de couchage avec ses écrans anti-éternuements à San-Francisco.
    Une zone de couchage avec ses écrans anti-éternuements à San-Francisco. Reproduction Centre Presse -
  • Les malades à cette époque n’avaient pas de chambre individuelle. Cela facilitait les soins, mais accélérait la contagion.
    Les malades à cette époque n’avaient pas de chambre individuelle. Cela facilitait les soins, mais accélérait la contagion. Reproduction Centre Presse -
  • Londres 1918. Les opératrices d’un standard téléphonique en pleine séance de bain de bouche désinfectant.
    Londres 1918. Les opératrices d’un standard téléphonique en pleine séance de bain de bouche désinfectant. Reproduction Centre Presse -
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Centre Presse

Alors que le Covid-19 nous impose le confinement, jetons un regard sur ces grandes crises sanitaires qui ont fait trembler, comme bien d’autres, les Aveyronnais. Nous avons demandé pour cela à Jean-Michel Cosson, historien et auteur de nombreux ouvrages sur notre département, de nous éclairer sur les grandes épidémies qui ont jalonné le vécu des Aveyronnais au fil des générations. Sous sa plume, quatre grands désordres refont surface, à lire le dimanche dans nos colonnes : après la lèpre, la peste et le choléra, voici la grippe espagnole pour conclure cette évocation des épidémies en Aveyron.

La grippe – du vieux français "grîpan" qui signifie "saisir" – fait aujourd’hui partie des maladies qui reviennent annuellement avec son pic de crise, son degré de complexité et de dangerosité et contre laquelle la médecine sait dorénavant lutter par un vaccin depuis 1937.

En 1918, la situation est bien différente. Et la pandémie fera 50 millions de morts à travers le monde.

La rumeur et un double foyer de propagation

Dès le mois d’octobre, l’Aveyron, comme l’ensemble de l’Europe, est victime, après une première vague printanière moins virulente, d’une épidémie de grippe que les journaux, relayés par le grand public, dénomment la grippe espagnole, ce pays ayant été le premier à en révéler l’existence car non soumis aux contraintes du secret militaire en temps de guerre.

Les études et les découvertes récentes permettent aujourd’hui de connaître les foyers d’origine de l’infection de 1918, soit en Asie, soit dans le Middle West américain.

Aux États-Unis, le virus serait apparu dans des camps de formation militaire du Kansas, contaminant de 50 à 70 000 soldats qui vont exporter la maladie en Europe.

Le virus pourrait aussi avoir été véhiculé depuis l’Asie par les travailleurs ou soldats annamites venus en Europe.

Deux constats bien éloignés des théories de l’époque.

En effet, dès le début de son apparition, de nombreuses rumeurs et hypothèses circulent sur son origine, cet "œdème de la guerre" qui propage la haine envers les "Boches". C’est ainsi que des agents allemands sont accusés d’avoir infesté des boîtes de conserve importées d’Espagne.

Fantaisies pharmaceutiques

Les symptômes de cette maladie, qui sont comparés à l’influenza bien connue depuis la fin du XIXe siècle, se traduisent sous diverses formes, soit pulmonaire (pneumonie, pleurésie…), soit nerveuse (délire), soit intestinale (diarrhées).

Longtemps, l’inflation du nombre de décès dus à l’épidémie trouve une explication dans les mauvaises conditions d’hygiène des tranchées et dans la faiblesse physique des soldats. En réalité, la grippe profite de l’absence de médicaments efficaces, des déplacements humains et du manque de praticiens partis pour un grand nombre sous les drapeaux.

Désemparés, les médecins préconisent alors des saignées, qui ne font qu’empirer la maladie. L’huile camphrée, des solutions d’or et d’argent sont préconisées sans grand résultat.

Des pseudo-médicaments apparaissent, sorte de remèdes miracles comme la Fluatine et le Rheastar : "Le puissant Rheastar guérit aussi bien la tuberculose que la grippe espagnole… Non toxique, bon pour l’estomac, bienfaiteur surtout des alvéoles pulmonaires, le Rheastar a vite fait d’atteindre le siège du mal, à cause de sa douceur, il est accueilli en ami par nos cellules… La grippe guérit en faisant place à la gaieté messagère de la santé…"

Une prophylaxie tardive en Aveyron

En Aveyron, la grippe espagnole est présente à l’état endémique dans le bassin houiller où 700 cas, non mortels, sont recensés dès le mois de mars 1918. Dès lors, le virus ne cesse de se propager dans l’ensemble du département, profitant des déplacements humains, du manque de médecins partis pour un grand nombre sous les drapeaux et de l’absence de prophylaxie même si certaines mesures, tardives, sont prises par les autorités : fermeture des écoles dès la mi-novembre 1918, qui ne se traduit pas toujours dans les faits, certains établissements restant ouverts malgré plusieurs cas recensés (Clairvaux, Villefranche-de-Rouergue) ; interdiction ou limitation des réunions et des cérémonies religieuses ; mise en place au mois d’octobre d’un service de désinfection chargé de se rendre sur les lieux où la maladie a frappé.

La préfecture réclame également à l’autorité militaire de détacher des médecins et des pharmaciens, qui font cruellement défaut dans plusieurs communes (Sauveterre, Laissac, Laguiole, Asprières).

155 victimes sur le département

Sur les quatre arrondissements du département, celui de Saint-Affrique est particulièrement affecté par la maladie qui atteint surtout la classe d’âge des 16-25 ans. Au 31 octobre 1918, 1 337 cas pour 69 décès sont dénombrés dans cet arrondissement, totalisant près de 40 % des cas et des victimes du département à la même époque (3 390 cas et 155 victimes).

Certaines maisons sont cruellement touchées par la grippe comme cette famille d’Estaing qui voit six de ses membres décédés à cause du virus. Et que dire des soldats qui se sont battus dans les tranchées durant plusieurs années et qui succombent à la grippe espagnole après leur démobilisation.

Au total, selon les chiffres de l’Organisation Mondiale de la Santé, la grippe espagnole a fait plus de victimes en Europe que les combats de la Grande Guerre, le nombre de décès étant estimés suivant les sources de 25 millions à 40 millions.

Diagnostic épidémique

Existe-t-il par siècle une grande épidémie qui viendrait nous rappeler combien nous sommes désemparés devant de tels fléaux ? La peste de Marseille en 1720, le choléra en 1832, la grippe espagnole en 1918 et le Covid 19 en 2020 marquent ce temps épidémique. Et, comme nous l’avons vu dans ces trois pages, engendrent les mêmes peurs, les mêmes comportements et les mêmes suspicions. L’épidémie provoque le repli sur soi. Les villes se ferment au temps de la peste ; comme les frontières aujourd’hui. On recherche les causes et surtout les coupables.

À Paris, les empoisonneurs à la solde de la Monarchie de Juillet sont montrés du doigt ; comme les Allemands durant la grippe espagnole. Pour le Covid19, les thèses complotistes inondent les réseaux sociaux. Avec un ultime constat, renouvelé à chaque époque : l’épidémie par sa rapidité à se répandre, pointe la difficulté des autorités à faire face. À en croire certains discours, la France n’aurait rien eu à craindre du Covid-19. Comme elle n’avait rien à craindre au départ de la grippe espagnole, vouée essentiellement à l’armée allemande. Et le temps perdu avec l’épidémie ne se rattrape pas. Si nous pouvions enfin en tirer les leçons…

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