Le chantier est immense pour les supermarchés soucieux de moins polluer

  • Le défi est énorme pour le secteur qui agit pour l'instant surtout sur ses émissions de gaz à effet de serre directes.
    Le défi est énorme pour le secteur qui agit pour l'instant surtout sur ses émissions de gaz à effet de serre directes. MANUEL LORENZO / AFP
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ETX Daily Up

(AFP) - Une lutte contre le réchauffement climatique bien moins ambitieuse qu'il n'y paraît: à l'instar du français Carrefour, les géants de la grande distribution, très émetteurs en CO2, sont nombreux à communiquer mais leur engagement reste encore trop souvent marginal.

Le défi est énorme pour le secteur qui agit pour l'instant surtout sur ses émissions de gaz à effet de serre directes.

Il s'agit de celles liées à l'électricité qui éclaire les magasins ou alimente les réfrigérateurs, ainsi que les camions de livraisons par exemple. Ce sont les émissions directes dites de scopes 1 et 2.

Or, dans la grande distribution, le gros de la pollution est à chercher dans les émissions indirectes (scope 3).

En clair, la production des emballages de pâtes, du papier toilette, de la viande, et en somme de chacune des milliers de références mises en rayon, contribue largement plus au réchauffement climatique que le chauffage des magasins et les autres émissions directes.

Le géant français Carrefour a par exemple promis un objectif de neutralité carbone à horizon 2040, assurant qu'il entend "protéger la planète". Des engagements d'autant plus notables que le groupe est le seul de l'hexagone dans le top 20 mondial des distributeurs et que, étant coté en Bourse, il est tenu par des règles rigoureuses en matière de communication.

Contrairement à son rival d'autrefois Casino, coté également mais aujourd'hui près de deux fois plus petit, il affiche de bons résultats économiques après des années de difficultés, lui donnant théoriquement plus de liberté pour agir.

- Presque "mensonger" -

Son objectif de "neutralité carbone d'ici 2040" ne porte toutefois que sur ses émissions directes... qui ne pèsent, selon la propre documentation financière du groupe, que 2% du total de ses émissions.

Le distributeur a aussi un objectif en matière de réduction des émissions indirectes: de 29% d'ici 2030, par rapport à 2019, en travaillant avec ses partenaires comme Unilever, Danone, Coca-Cola, Heinekein ou L'Oréal.

Mais il est à nuancer là encore: le distributeur ne prend pas en compte, dans son calcul des émissions indirectes, celles provenant des véhicules ou mode de transport des clients de ses près de 14.000 magasins (chiffre à fin 2021), faute de méthodologie fiable pour les estimer, selon le groupe.

Elles ne sont pourtant pas négligeables: à titre d'exemple l'enseigne d'ameublement Maisons du Monde estime qu'elles pèsent pour plus du quart de ses émissions globales (scopes 1, 2 et 3).

"Nous ne disons pas que nous sommes neutres en carbone, mais que nous contribuons à la neutralité carbone", explique auprès de l'AFP Carine Kraus, récemment nommée directrice en charge de l'engagement du groupe français.

En février dernier, deux ONG, le New Climate Institute et Carbon Market Watch avaient jugé sévèrement les engagements de Carrefour.

"C'est limite mensonger de parler de neutralité carbone à horizon 2040, sans informer le consommateur de ce que cela représente vraiment", regrette auprès de l'AFP Gilles Dufrasne, de Carbon Market Watch.

Le groupe renvoie à la documentation financière qui détaille ces engagements, et Mme Kraus assure n'avoir "jamais eu de questions d'investisseurs sur des objectifs qui sont très clairs", tout en reconnaissant vouloir présenter ces sujets le plus simplement possible.

La grande distribution est face à un dilemme: que faire si les clients plébiscitent un produit fortement émetteur de gaz à effet de serre? Les supermarchés n'ont pas toujours la main sur la fabrication des produits qu'ils vendent.

Le groupe Casino est par exemple mis en cause en France par des associations et des indigènes d'Amazonie, l'accusant de défaut de vigilance vis-à-vis de fournisseurs de viande en Amérique latine participant à la déforestation illégale. Ce dont il se défend.

En revanche, les distributeurs peuvent avoir plus d'influence sur les produits dits de "marque distributeur", des lignes de produits qu'ils créent et exploitent.

Pourtant, les objectifs affichés par le groupe Schwarz, propriétaire des magasins Lidl qui commercialisent une très large partie de produits de marque distributeur, n'apparaissent pas plus ambitieux.

Le groupe allemand entend réduire ses émissions directes de 55% d'ici 2030 par rapport à 2019, Lidl et l'autre enseigne du groupe Kaufland devant réduire leurs émissions directes de 80% sur ce laps de temps.

Et concernant le scope 3, l'objectif fixé est de réduire les émissions indirectes, en agissant sur le levier du carburant vendu, de 27,5% d'ici 2030. Pour le reste des émissions indirectes, les fournisseurs devront définir leurs propres objectifs en terme de changement climatique d'ici 2026.

- Difficile évaluation -

Dans le rapport du New Climate Institute et de Carbon Market Watch, un seul autre distributeur a vu son objectif de réduction d'émissions disséqué, le géant américain Walmart. Il est un peu moins mal noté que Carrefour.

Le distributeur américain Walmart est pourtant émetteur de plus de deux fois plus de CO2 (203,1 MtCO2e en 2019), selon les deux ONG. Un ratio sans commune mesure avec celui des chiffres d'affaires: Walmart réalise 7 fois plus de ventes que Carrefour.

Interrogée par l'AFP sur cette dichotomie, Carine Kraus dit y voir la difficulté pour chaque groupe à estimer précisément ses émissions, notamment du "scope 3".

Le géant américain est surtout mieux noté parce que l'objectif est formulé de manière plus explicite, en l'occurrence "réduire ses émissions opérationnelles à zero d'ici 2040", ce qui exclut clairement les émissions indirectes. Chez Walmart, elles sont estimées à 91% du total.

Concernant ces émissions indirectes, le groupe n'a pas donné d'objectif de réduction d'émissions.

Faute de règles aussi strictes que dans la comptabilité financière, comparer les émissions apparaît de toute façon comme une gageure.

"A ma connaissance, il n'y a pas de contrainte sur les déclarations ou les objectifs des entreprises", regrette Tarek Bouhouch, représentant en France de l'organisation d'activisme actionnarial Follow This.

Des discussions sont en cours dans l'Union européenne, aux Etats-Unis et au niveau international, avec le Conseil des normes extra-comptables internationales (ISSB) qui vise des premières normes climat pour les entreprises à la fin de l'année.

Les enjeux sont énormes, puisqu'il s'agit de pouvoir évaluer et comparer les engagements des grands groupes et de savoir quelles sont les enseignes qui s'engagent le mieux pour "protéger la planète" en réduisant leurs émissions.

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