Quésaco : le "victim blaming" ou quand les victimes deviennent coupables

  • Megan Thee Stallion affirme être victime d'une "honteuse misogynie" sur les réseaux sociaux.
    Megan Thee Stallion affirme être victime d'une "honteuse misogynie" sur les réseaux sociaux. ANGELA WEISS / AFP
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ETX Daily Up

(ETX Daily Up) - Megan Thee Stallion et Amber Heard n'ont, au premier abord, aucun point commun. Pourtant, ces deux personnalités américaines ont toutes les deux été la cible de "victim blaming", un mécanisme dangereux où les rôles de la victime et du coupable sont inversés.

"Si elle n'était pas habillée de cette manière, ça ne lui serait jamais arrivé". "Elle a dû le provoquer pour le rendre aussi violent". Vous avez sûrement déjà entendu ce genre de phrases au cours de votre vie, au détour d'une conversation ou en voyant des commentaires sur les réseaux sociaux. Ces phrases sont caractéristiques d'un mécanisme social et psychologique que l'on appelle le "victim blaming". Il s'agit d'un processus qui incombe la responsabilité d'un crime ou d'un méfait à sa victime. Au lieu d'être soutenue, cette dernière se retrouve en porte-à-faux, et son attitude éclipse même celle du véritable coupable.

Selon une enquête Ipsos réalisée pour l'association Mémoire traumatique et victimologie*, 36% des Français pensent que "des femmes qui ont eu une attitude provocante en public" déresponsabilisent ou atténuent en partie la responsabilité d'un violeur. Ils sont 21% à penser la même chose lorsqu'une femme se promène dans la rue dans des tenues très sexy.

Le terme de "victime Blaming" est importé des Etats-Unis, où il a été théorisé au début des années 70 par le sociologue américain William Ryan dans son ouvrage "Blaming the victim". Au départ, l'expression concerne l'injustice raciale et sociale aux Etats-Unis. Cinquante ans plus tard, elle s'est étendue à d'autres combats sociaux, notamment celui de l'égalité entre les femmes et les hommes. Car même si le mouvement 'Me Too' est passé par là, les femmes sont parmi les premières victimes de ce phénomène. Elles voient leurs comportements, mais aussi leurs manières de s'habiller, décortiquées dans le but de décrédibiliser leurs propos.

Des victimes moquées et accusées de mentir

Dernièrement, c'est la rappeuse Megan Thee Stallion qui a été la cible de "victim blaming". L'artiste a témoigné au procès du rappeur canadien Tory Lanez qu'elle accuse de lui avoir tiré dessus en 2020. Depuis l'ouverture du procès le 12 décembre dernier, les messages insultants ou moqueurs se multiplient sur les réseaux sociaux.

Megan Thee Stallion est décrédibilisée, au point d'être accusée de mentir par des socionautes dans de multiples messages postés sur les réseaux sociaux. La plupart d'entre eux blâment sa consommation d'alcool et la jugent incapable d'avoir un témoignage légitime. "Megan Thee Stallion est ivre. Elle ne sait pas ce qui s'est passé cette nuit-là, elle a déjà menti en disant qu'elle n'avait pas couché avec lui, c'est une menteuse et une alcoolo" ou encore "Megan est une menteuse. Elle l'accuse uniquement pour de la publicité". La star affirme être victime d'une "honteuse misogynie" sur les réseaux sociaux.


Un processus qui n'est pas sans rappeler le procès d'Amber Heard et de son ex-mari Johnny Depp pour diffamation, durant l’été 2022. Durant cette affaire hautement médiatisée, beaucoup d'internautes se sont mis à accuser l'actrice de mentir. Nombreuses de ses interventions lors du procès ont été moquées sur les réseaux sociaux afin de discréditer son statut de victime. Des vidéos montées où l'actrice est en sanglots avaient fleuri sur le net, l'accusant de se mettre en scène pour gagner la sympathie du public.

Ces procès montrent la facilité avec laquelle les victimes peuvent être décrites comme étant complices ou responsables de leurs propres abus – si elles ne mentent pas complètement à propos des abus. Pour les "victim blamers", l’idée qu'une femme subisse des abus apparaît souvent tirée par les cheveux alors que l'idée qu'une femme s'invente un abus pour son propre gain financier paraîtrait plus logique.Selon la psychologue canadienne Pascale Roux, le "victim blaming" viendrait d'ailleurs des tribunaux. "Cela ressemble à ce que l’avocat d’un agresseur pourrait développer comme système de défense, pour déresponsabiliser son client. Il doit lui trouver des circonstances atténuantes. On entend alors des phrases comme 'c’est normal qu’il ait agi de la sorte, car la victime n’avait pas un comportement adéquat'. C’est une manière de minimiser un comportement inqualifiable", explique-t-elle au média suisse Le Temps.

Des victimes "bébêtes" et "cruches"

Le "victim blaming" n'est pas réservé qu'aux stars. La preuve en début d'année avec "L'Arnaqueur de Tinder", une série documentaire diffusée sur Netflix. Les abonnés se sont délectés à regarder Shimon Hayut, un escroc qui soutirait de l'argent à de jeunes femmes rencontrées sur Tinder. Et certains n'ont pas hésité à s'en prendre aux victimes qui témoignaient au fil des épisodes. Sur Twitter, les internautes disaient n'avoir aucune pitié "pour ces cruches". D'autres jugeaient imprudent de coucher avec un homme rencontré sur Tinder après quelques semaines et de lui donner de l'argent aussi bêtement, les insultant au passage de "bébêtes".

"Je pense que le facteur le plus important qui favorise le 'victim blaming' est ce qu'on appelle l'hypothèse du monde juste", explique Sherry Hamby, professeur de psychologie à l'université du Sud (Tennessee) dans un article de The Atlantic. "C'est cette idée que les gens méritent ce qui leur arrive. Il y a tout simplement un besoin très fort de croire que nous méritons tous nos résultats et nos conséquences".

*Enquête Ipsos "Les Français et les représentations sur le viol et les violences faites aux femmes - Vague 3" réalisée pour l'association Mémoire traumatique et victimologie auprès de 1.035 personnes de 18 ans et plus du 15 au 17 novembre 2021.

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