Luc Jacquet, réalisateur de "La Marche de l'Empereur", voit le monde polaire "s'évanouir"

  • Luc Jacquet revient sur les écrans mercredi avec un nouveau "Voyage au Pôle Sud".
    Luc Jacquet revient sur les écrans mercredi avec un nouveau "Voyage au Pôle Sud". JULIEN DE ROSA / AFP
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ETX Daily Up

(AFP) - Trente ans après le tournage de "La Marche de l'Empereur", documentaire animalier qui lui a valu un Oscar, Luc Jacquet revient sur les écrans mercredi avec un nouveau "Voyage au Pôle Sud", en noir et blanc, introspectif et poétique.

Entre temps, le réchauffement climatique s'est accru dramatiquement, les manchots empereurs pourraient disparaître et son monde glacé menace de "s'évanouir". Entretien avec un amoureux des pôles, déterminé à témoigner jusqu'au bout.

Pourquoi repartir en Antarctique et livrer ce film en forme de making of, ou de carnet de bord d'un voyageur des pôles ?

Ce qui m'intéressait, c'est ce rituel qui nous amène à l'Antarctique. Il y a vraiment des étapes qui sont quasiment incontournables et qui font que vous vous métamorphosez complètement quand vous arrivez sur l'inlandsis, ce continent blanc à perte de vue. Vous êtes dans un état qui est déjà préparé, tout simplement parce qu'il faut voyager +long+, on n'est pas là-bas en cinq minutes.

Etes-vous toujours impressionné par le paysage ?

"On finit par s'habituer, parce que l'être humain est quand même une créature assez étonnante qui a une capacité à normaliser les choses qui est incroyable. Je me souviens toujours, en fin d'hivernage, on vit au milieu des manchots, et puis vient un moment où ne les regarde même plus ! Ce qui est quand même assez désespérant... Mais, finalement, je pense que l'électrochoc survient à chaque fois qu'on y retourne.

Vous filmez les pôles depuis plus de trente ans et la fonte des glaces s'accélère. Avez-vous vu le changement ?

On disparaîtra avant que le pôle n'ait fondu, ça c'est évident, ne serait-ce qu'à mon échelle. Mais à l'échelle de l'humanité aussi, je crois. Ce qui change beaucoup, c'est ce qu'on emmène avec soi cette conscience que le monde change, ce que nous racontent les glaciologues, les biologistes. On a cette vigilance, cette inquiétude, donc c'est sûr qu'on voyage moins léger. Ce sentiment de perte et de disparition est omniprésent.

Quand vous arrivez sur la plateforme de Larsen (une partie de la côte orientale de l'Antarctique), vous voyez le vide laissé par la glace, c'est un truc qui vous tombe dessus. Mais il n'y a même pas besoin d'aller là-bas : vous allez dans les Alpes aujourd'hui et vous avez ce sentiment-là. Regardez la disparition de la Mer de glace... C'est difficile d'échapper à ça. C'est accablant. Le sentiment de solastalgie (la souffrance psychologique créée par la disparition des écosystèmes) a vraiment pour moi un sens qui est très puissant.

Dans ce contexte, qu'est-ce qui vous pousse à continuer à faire des films ?

Je suis très sensible à ce que me racontent les paysages. Et, d'un autre côté, je me dis qu'on a le droit d'être au monde. On ne doit pas s'interdire le plaisir immédiat, sincère, organique qu'on peut avoir dans la nature. J'ai envie de réaffirmer le droit d'être dans la nature, de venir se ressourcer dans le jardin qu'est cette terre, de ne pas être écrasé par une culpabilité permanente. Ce qui n'empêche pas d'être conscient, militant, de faire changer les choses.

Les images sont un langage qui permet de dépasser l'incapacité qu'on a de raconter les choses et d'essayer d'apporter une émotion plus directe, plus intense, plus expressionniste, d'une certaine manière. Sur ce film-là, j'avais envie de revenir à la beauté des choses, de quitter le discours et de quitter aussi l'injonction, parce que je crois que ça ne fonctionne pas vraiment.

Je me considère extraordinairement privilégié, chanceux de pouvoir vivre des choses comme ça. On se dit que la moindre des choses, c'est de faire partager.

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