Au Pakistan, le calvaire des vaccinateurs, autres martyrs de la polio

  • Un médecin pakistanais administre le vaccin de la polio à un enfant à la clinique de Peshawar, le 20 octobre 2014
    Un médecin pakistanais administre le vaccin de la polio à un enfant à la clinique de Peshawar, le 20 octobre 2014 AFP - Hasham Ahmed
  • Nadia Khan, pakistanaise, montre des photos de sa soeur Sumbal, vaccinatrice antipolio, abattue par des hommes armés, le 20 octobre 2014 à Peshawar Nadia Khan, pakistanaise, montre des photos de sa soeur Sumbal, vaccinatrice antipolio, abattue par des hommes armés, le 20 octobre 2014 à Peshawar
    Nadia Khan, pakistanaise, montre des photos de sa soeur Sumbal, vaccinatrice antipolio, abattue par des hommes armés, le 20 octobre 2014 à Peshawar AFP - Hasham Ahmed
Publié le
Centre Presse Aveyron

Nadia Khan garde précieusement deux photos de sa sœur Sumbal dans son grand sac à main en cuir: l'une d'elle souriante, les yeux lumineux magnifiés de khôl et la vie devant elle; l'autre le regard inerte, après que des hommes armés eurent abattu la jeune vaccinatrice antipolio à la lisière des fiefs talibans du Pakistan.

C'était le 28 mai 2013 vers 11H00 à Badaber, hameau infiltré par les insurgés en banlieue de Peshawar, carrefour du nord-ouest aux portes de l'Afghanistan.

Sumbal, 18 ans rayonnants, et son amie Shirafat vaccinaient des enfants à l'entrée d'une masure en terre plantée sur la grand-route. Soudain, une moto s'est arrêtée et l'homme assis à l'arrière a ouvert le feu sur elles. Shirafat est morte sur le coup.

Criblée de balles, Sumbal a elle été transportée d'urgence à l'hôpital. Nadia s'est précipitée à son chevet. Mais après dix jours dans le coma, sa sœur a rendu son dernier souffle. "J'étais à ses côtés, elle s'est éteinte en silence", pleure la jeune femme. "Elle me manque, c'est pourquoi je garde toujours ces photos avec moi".

Elle-même vaccinatrice antipolio, Nadia aurait pu décrocher après la mort de sa sœur. Mais elle a continué à arpenter le même quartier pour immuniser les enfants contre cette maladie encore endémique au Pakistan, dont le nord-ouest est devenu le principal foyer mondial.

Au début des années 2000, le Pakistan pensait pourtant en avoir fini avec cette maladie rare entraînant la paralysie chez les enfants. Des campagnes de vaccination avaient ramené le nombre de cas recensés par l'Unicef à 28 en 2005, contre plus de 18.000 en 1993.

Mais l'épidémie est repartie de plus belle à partir de 2008 et a atteint cette année un record depuis 15 ans avec 210 cas recensés, soit 80% des cas sur la planète alors que vendredi est la journée mondiale de lutte contre la polio.

Les cas se concentrent dans le nord-ouest, secoué depuis sept ans par la rébellion des talibans, faisant de Peshawar, sa principale ville, la "capitale mondiale" de la polio.

Dans ces régions conservatrices et souvent peu éduquées, certains pensent à tort que les gouttes de vaccin à ingérer par la bouche contiennent du porc, et ne peut donc être administré aux musulmans, d'autres qu'il rend stérile, nourrissant la rumeur que la vaccination est un complot occidental destiné à réduire la population musulmane.

Cette méfiance a décuplé depuis "l'affaire" Shakeel Afridi, ce médecin condamné pour avoir participé à une fausse campagne de vaccination contre l'hépatite organisée par la CIA à Abbottabad (nord-ouest) afin de confirmer la présence d'Oussama Ben Laden, qui y fut finalement tué en mai 2011 par un commando américain.

Depuis, au moins 60 vaccinateurs contre la polio ont été tués dans le pays.

- 'Jihad contre la polio' -

L'autre victime de l'attaque, Shirafat Bibi, 28 ans, devait se marier quelques semaines plus tard. Son salaire de six dollars par journée de vaccination servait à payer sa dot, malgré les réserves de sa famille.

Ce matin du 28 mai 2013, après avoir reçu un coup de fil lui demandant de vacciner des enfants près de chez elle, Shirafat avait serré sa mère dans ses bras.

"Nous lui avons dit de ne pas y aller. Elle m'a répondu: +c'est la dernière fois que je le fais et ensuite, promis, j'arrête+", raconte la vieille Gul Khubana, assise sur un lit de bois tressé de corde branlant dans la cour de la modeste résidence familiale.

Après sa mort, sa famille a touché une compensation et son frère Bilal a été embauché pour faire le même travail.

C'est aujourd'hui lui qui s'enfonce dans certaines banlieues, la peur au ventre, pour mener ce que des vaccinateurs d'ici appellent leur "jihad contre la polio".

Ces hommes et femmes, ainsi que les policiers qui les escortent, abattus ou blessés par des extrémistes, sont, avec leurs familles prostrées dans le deuil, les autres "martyrs" de la polio.

Ils restent à la merci du destin ou de la malchance, tout comme les premières victimes de la maladie, les enfants non vaccinés par refus des parents ou parce qu'ils ont raté ou oublié le rappel du vaccin.

Il y a encore un an, le petit Shakirullah courait ainsi joyeusement dans la banlieue de Peshawar. Mais en début d'année, le diagnostic est tombé: polio.

A deux ans et demi, il ne peut aujourd'hui plus se tenir debout sans les deux attèles qui lui enserrent les jambes, attachées à un meuble en bois.

"Les autres gamins peuvent jouer, mais le pauvre petit ne peut que ramper", désespère son oncle Rafiullah qui, repentant, n'a qu'un seul conseil: "Faites vacciner vos enfants!".

Mais cette année encore, 350.000 petits Pakistanais ne seront pas immunisés faute de sécurité pour les vaccinateurs dans les fiefs talibans, selon les autorités locales.

Source : AFP

Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?