"Ouistreham": l'écrivain Emmanuel Carrère filme une France en marge

  • "Ouistreham" d'Emmanuel Carrère est adapté du roman de la journaliste Florence Aubenas "Le quai de Ouistreham", publié en 2010.
    "Ouistreham" d'Emmanuel Carrère est adapté du roman de la journaliste Florence Aubenas "Le quai de Ouistreham", publié en 2010. Christine Tamalet / Memento Distribution
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ETX Daily Up

(AFP) - Pour son troisième film, il a insufflé une part de lui au personnage principal: l'écrivain à succès Emmanuel Carrère dresse dans "Ouistreham" le portrait de femmes déclassées dans une France pré-"Gilets jaunes".

Adapté du roman de la journaliste Florence Aubenas "Le quai de Ouistreham", publié en 2010, le film, en salles mercredi, se veut une oeuvre de fiction et non un documentaire. Il avait été présenté en juillet dans une des principales sections du Festival de Cannes.

Au coeur de l'intrigue, Marianne Winckler -- alter ego de Florence Aubenas -- jouée par Juliette Binoche, écrivaine reconnue qui entreprend d'écrire un livre sur le chômage et la précarité en France.

Elle s'installe alors près de Caen et, sans révéler son identité, rejoint une équipe de femmes de ménage avec qui elle se lie.

Précarité économique, cadences infernales (60 lits à faire en 1h30, nettoyer une chambre et ses sanitaires en moins de 4 minutes), mépris de classe: le film jette une lumière crue sur ces petites mains essentielles mais invisibles.

En s'intéressant à l'intime et aux destins de personnes sans voix et déclassées, le film prend une tournure politique, pleinement assumée par le réalisateur. "Si ça peut avoir un tout petit retentissement sur le plan social je trouverais ça formidable. Ça a été le cas du livre qui a fait bouger des choses. Depuis, il y a eu les +Gilets jaunes+ c'est un peu de ça, de ce monde là dont parle le film", avait-il déclaré à l'AFP lors du Festival de Cannes.

- Trahison ? -

Couronné au printemps dernier du prestigieux prix espagnol Princesse des Asturies pour l'ensemble de son oeuvre, l'auteur de "Yoga" et de "L'Adversaire" a pris ses distances avec le livre de la journaliste.

"Florence Aubenas a toujours dit qu'elle était journaliste alors que moi mes états d'âmes, j'ai tendance à en faire des caisses", avait-il ironisé lors de la projection du film à la presse, soulignant y avoir mis "une part de romanesque pour créer une tension dramatique".

Cette tension dramatique se noue autour de l'amitié naissante entre Marianne et une de ses compagnes de galère, Christelle. Amitié qui n'a jamais existé dans le livre.

"Ça fait partie de son boulot (Florence Aubenas, ndlr) de savoir qu'il ne faut pas s'approcher trop, qu'il ne faut pas aller jusqu'à une très grande intimité. L'héroïne du film, qui n'est pas Florence Aubenas, qui est écrivaine et pas journaliste, elle y va en étant moins consciente des risques qu'elle court (...) et ça la précipite dans une espèce de gouffre moral qui est un des sujets du film", avait-il dit.

En occultant sa véritable identité, Marianne ne se livre-t-elle pas à un exercice de mensonge ? Ne trahit-elle pas les "invisibles" qu'elle était justement venue mettre en avant ?

Des questions omniprésentes dans le film mais jamais tranchées... Même si Carrère l'écrivain admet avoir un avis sur le sujet.

"Je projette un peu dans ce personnage certains de mes scrupules, mais cela dit ma méthode n'a jamais été celle de l'immersion. Ça peut être celle d'être un témoin très, très proche mais j'ai toujours dit ce que j'ai été. Je ne condamne pas du tout cette façon de faire, on ne peut pas faire autrement (...) Mais je ne pourrais pas faire un livre comme +Le Quai de Ouistreham+ avec cette méthode, ça ne marcherait pas", avait-t-il admis à l'AFP.

Dans le rôle-titre, Juliette Binoche est d'une grande justesse. Elle est accompagnée d'actrices non professionnelles parmi lesquelles certaines jouent leur propre rôle.

Quant à Florence Aubenas, elle n'a pas participé au scénario: "Il a presque fallu la trainer pour lui montrer le film", avait confié le réalisateur.

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