Les Gen Z sont-ils vraiment les visages de la génération "genderfluid" ?

  • Peut-on qualifier la Gen Z de "génération genderfluid" ? Décryptage avec le sociologue Arnaud Alessandrin, spécialiste du genre.
    Peut-on qualifier la Gen Z de "génération genderfluid" ? Décryptage avec le sociologue Arnaud Alessandrin, spécialiste du genre. Dan Rentea / Getty Images
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ETX Daily Up

(ETX Daily Up) - On les appelle les "Gen Z" ou les "slasheurs". "Ils", ce sont les jeunes nés après 1997. Et s'il y a un domaine dans lequel ils opèrent une révolution, c'est bien celui du genre et de l'orientation sexuelle, souligne le sociologue Arnaud Alessandrin, spécialisé dans les questions de genre.

S'affranchir des notions binaires de genre, explorer son orientation sexuelle, remettre en question les traditions hétéronormées... En matière d'amour et de sexualité, mais aussi d'expression et d'identité de genre, les codes se bousculent.

"Trans", "non-binaires", "genderfluid", "agenre"... De nouvelles identités qui entraîne un arsenal de vocabulaire que les générations X et Y tentent tant bien que mal de décrypter. Mais qui semblent en revanche bien plus naturelles chez les Z, y compris les jeunes qui ne sont pas directement concernés, explique à ETX Daily Up Arnaud Alessandrin, sociologue spécialiste du genre. Entretien.

Peut-on qualifier les adolescents et les moins de 25 ans de "génération genderfluid" ?

Attention aux chiffres qui affirment que 25% de cette génération ne se reconnaît pas comme hétérosexuelle. En France, 1% d'élèves trans et genderfluid des jeunes dans les collèges et les lycées expriment quelque chose qui relève de l'ordre de la transidentité : changement de pronom, genre fluide, traitement hormonal, demande de changement de sexe, etc. En termes de statistiques, on ne peut pas considérer que l'entièreté de la génération Z est genderfluid, loin de là même !

Mais si on regarde du côté des moins de 25 ans LGBTQI+, près de 18% d'entre eux se disent queer, genderfluid, non binaire ou trans. Ces chiffres montrent donc une tendance qui signifie bel et bien que de plus en plus de jeunes s'expriment par des terminologues du genre nouvelles. Il ne fait aucun doute que cette génération met, plus que ses prédécesseuses, en avant les notions de genre, d'autodétermination, de genre et de fluidité de genre. C'est une génération qui, contrairement à ses aînés, a su se départir de l'idée que les questions de changement de genre ou corporels de sexe renvoyaient à la maladie. Les milieux associatifs, les intellectuels et les médias ont contribué à cette dépathologisation qui courait jusque dans les années 2010.

C'est aussi une génération qui a bénéficié d'avancées juridiques, notamment la transphobie, reconnue comme un délit dans notre pays seulement depuis 2012. Les discriminations à l'encontre des personnes exprimant une identité de genre minoritaire sont donc aujourd'hui défendues, ce qui contribue à faire évoluer les mentalités. Plus que les canaux classiques d'Internet des années 2000, les réseaux sociaux pèsent aussi dans la balance. Ils sont faciles d'accès et surtout ils favorisent l'emploi du "je". Les personnes parlent directement de leur transidentité, sans passer par les méandres d'Internet ou d'une association.

Comment ces évolutions se traduisent-elles ?

Cela a des conséquences organisationnelles et institutionnelles. Notamment dans les établissements scolaires, qui doivent répondre à ces nouvelles façons de voir le monde, à ces nouvelles identités et une nouvelle relation au genre qui peut bouger et donc surprendre. Il a fallu attendre jusqu'à octobre 2021 pour qu'une circulaire de l'Éducation nationale autorise d'accompagner les jeunes dans leur changement de prénom. Autre bouleversement que cette génération impose : la prise en charge médicale, comme la prise de bloquants hormonaux ou l'hormonothérapie. Selon des chiffres récents de la Caisse nationale de l'assurance maladie, le nombre de demandes d'hormonothérapies ou de bloquants hormonaux a été multiplié par 20 au cours des dix dernières années.

Ce qui est intéressant aussi avec cette génération, c'est qu'il n'est plus nécessaire de le vivre pour s'y connaître. Nous vivons une époque où l'on voit des documentaires, des films, des séries, mais aussi des stars et des influenceurs qui racontent leur parcours LBGTQ+. Nous sommes en capacité de saisir plus facilement les éléments de définition et de compréhension parce que le monde médiatique est beaucoup plus ouvert à ces questions qu'il ne l'était il y a quelques années.

Et dans les pratiques sexuelles ?

Ces nouvelles pratiques se reflètent par une manière de cartographie sa sexualité. Le sociologue Emmanuel Beaubatie soutient notamment la thèse selon laquelle les personnes LGBTQ+ vont mettre en pratique dans leur sexualité des rôles de genre non normatifs : fluide, non-binaire etc. Par exemple des pratiques sexuelles où le masculin et le féminin deviennent flous, secondaires. La sexualité devient alors un tremplin pour interroger son genre.

Certaines gays seront par exemple plus enclins à se projeter comme une femme. Et l'inverse est vrai aussi : on peut tester son genre à travers ses pratiques sexuelles, tout comme on peut interroger son orientation sexuelle à travers son identité de genre.

Cette volonté de s'affranchir du genre peut-elle contribuer à réduire les inégalités entre les sexes ?

Ce n'est pas parce qu'on est LBGTQ+ qu'on est automatiquement émancipé des constructions de genre qui régissent nos sociétés. Mais c'est vrai que le fait d'avoir été soi-même victime de stéréotype ou de préjugés fondés sur le genre et de l'avoir conscientisé pousse à se réinterroger sur nos propres pratiques et perceptions relatives au genre.

Certaines études démontrent d'ailleurs que les gays sont plus ouverts que les femmes hétérosexuelles pour dire que la pénétration n'est pas obligatoire. On sait également qu'au sein du couple, le partage des tâches ménagères est beaucoup moins genré et stéréotypé chez les couples gays et lesbiens que chez les hétérosexuels.

Comment expliquer une telle évolution sur ces questions au fil des décennies ?

Il y a plusieurs faisceaux qui ont contribué à s'interroger sur l'affranchissement du genre. Le premier faisceau d'information et levier d'interrogation est très nettement le féminisme. Les travaux de Yaëlle Amsellem-Mainguy et d'Arthur Vuattoux sur les jeunes et la sexualité montrent que dans les familles féministes, on accompagne davantage les jeunes dans leurs pratiques sexuelles et leur rapport à la pornographie.

Le deuxième levier historique est bien sûr les mouvements LBGTQIA+, d'abord avec les drag queens et les lesbiennes butch, puis les transidentitaires, avec l'idée selon laquelle le fait d'être assigné à un genre ne signifie pas qu'on doit s'y identifier tout au long de l'existence.

Il me semble que c'est cette émulation intellectuelle qui a permis que toutes ces questions évoluent vers des concepts plus grands publics, tels que l'on en parle aujourd'hui.

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