Pourquoi Emmanuel Macron veut renvoyer les immigrés... dans les campagnes françaises ?

  • Emmanuel Macron reprend à son compte une idée qui fonctionne déjà.
    Emmanuel Macron reprend à son compte une idée qui fonctionne déjà. Archives CP
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Christelle Bertrand et Laurent Roustan

Le chef de l'Etat veut que les zones rurales accueillent davantage d'étrangers. Mais ce dispositif n'existe-t-il pas déjà ?

L’annonce a fait l’effet d’une bombe, pourtant Gérald Darmanin n’en avait pas fait mystère. Ses derniers jours, il en parlait même à ses visiteurs : si l’immigration a été exclue du projet de loi sécurité qui arrive à l’Assemblée ça n’est pas pour occulter le sujet mais pour lui consacrer un texte dédié, assurait-il en substance. Le ministre pense, en effet, qu’aborder le sujet de front, ne pas éviter le débat, peut être une arme anti RN. "Les gens votent RN quand on ne répond pas à leurs préoccupations. Or je n’arrête pas de dire à mes amis au sens large qu’il est deux heures moins le quart. Marine Le Pen ne cesse de progresser donc il faut prendre le taureau par les cornes", nous expliquait-il le 7 septembre. Jeudi 15 septembre, face aux préfets, Emmanuel Macron a donc confirmé cette volonté d’agir : "Un projet de loi relatif à l’asile, donc à l’immigration dans la République, sera déposé dès début 2023", a-t-il annoncé.

Le président de la République en a défini la philosophie : "Nous avons une politique qui est tout à la fois inefficace et inhumaine, inefficace parce que nous nous retrouvons avec plus d’étrangers en situation irrégulière que nombre de nos voisins, inhumaine parce que cette pression fait qu’on les accueille trop souvent mal."

Le chef de l’État a plaidé pour une meilleure répartition des étrangers accueillis sur le territoire, notamment dans les "espaces ruraux, qui eux sont en train de perdre de la population". Pour ces étrangers, Emmanuel Macron estime que "les conditions de leur accueil seront bien meilleures que si nous les mettons dans des zones qui sont déjà densément peuplées". Et de plus, elle permettrait selon lui, par exemple, d'éviter de fermer des classes, "vraisemblablement des écoles et des collèges".

Accueillir les immigrés dans les campagnes afin de les repeupler ? Rien de mieux pour faire dégainer l'extrême droite. "Emmanuel Macron souhaite répartir les étrangers en situation irrégulière dans les espaces ruraux. Nous, nous considérons qu’ils doivent repartir chez eux", a lancé Marine Le Pen sur Twitter. Pour le chef de Reconquête ! Eric Zemmour, "Emmanuel Macron le dit haut et fort : le Grand remplacement est pour lui une nécessité". Le Grand remplacement, un terme également utilisé par Nadine Morano, de Les Républicains, qui y voient une "entreprise de déconstruction de la Nation", selon Eric Ciotti.

Une "dispersion spatiale" qui existe déjà

Pourtant, d'après le Huffington Post, cette idée de répartir l'immigration sur tout le territoire français ne date ni d'hier, ni d'Emmanuel Macron. Au milieu des années 70, "l’institutionnalisation du dispositif d’accueil en France (...) a d’emblée reposé sur un double principe de centralisation et de dissémination des centres d’hébergement sur l’ensemble du territoire guidé par deux critères : la concentration de populations étrangères et la situation économique de la zone envisagée", selon une étude de la Revue européenne des migrations internationales, qui détaille ce lien entre immigration et zones rurales. Au fil des ans, constate-telle ainsi, "la multiplication des structures inventées pour accueillir les populations concernées s’accompagne de leur dispersion spatiale croissante sur le territoire national".

Dès 2003, ajoute l'étude, "à l’exception de deux départements métropolitains, l’ensemble des départements est désormais doté de CADA" (Centres d'accueil pour demandeurs d'asile). 

Le "Huff" relève aussi qu'en janvier 2016, le ministre de l’Intérieur d'alors Bernard Cazeneuve, expliquait aux préfets que l'Etat souhaitait "assurer une meilleure répartition territoriale de l’offre d’hébergement dédiée aux demandeurs d’asile". Du coup est mis en place "un schéma national d’accueil des demandeurs d’asile, basé sur des objectifs chiffrés de développement des parcs d’hébergement des CADA par région métropolitaine". Et clairement, les zones rurales ont à nouveau été associées à l'accueil des migrants, exilés, réfugiés et autres demandeurs d'asile.

Ouverture des débats en octobre ou novembre

Hormis pour couper l'herbe sous le pied à la droite et à l'extrême droite, le chef de l'Etat n'a donc fait que proposer ce qui existe déjà...

Malgré cela, selon le ministre de l’Intérieur, deux débats devraient avoir lieu en octobre ou novembre sur l’immigration, l’un à l’Assemblée l’autre au Sénat pour aboutir en décembre janvier sur un projet de loi. Gérald Darmanin veut aussi rencontrer tous les partis politiques inscrits au Parlement, ainsi que les associations concernées. Selon lui, Najat Vallaud Belkacem, nouvelle présidente de France Terre d’Asile, aurait d’ores et déjà accepté.