Occitanie : professeur pendant 12 ans, il quitte l'enseignement et écrit un livre pour expliquer "ce qui fait craquer les profs"

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    "Les profs en ont marre des effets d’annonce." A. Plateau (Flammarion)
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Richard Gougis

Auteur d’un livre sans concession sur le ras-le-bol des profs, William Lafleur, alias Monsieur le Prof sur les réseaux sociaux, a grandi à Sète. Il explique pourquoi il vient de quitter l’enseignement.

Où avez-vous exercé durant ces douze ans comme professeur d’anglais ?

J’ai débuté par un an dans l’académie de Nantes, ensuite huit ans dans l’académie de Versailles puis trois ans dans l’académie de Toulouse.

Dans votre ouvrage, vous dénoncez plutôt ce qui se passe en dehors des heures de classe…

Exactement. On imagine que les profs en ont marre parce que les élèves sont trop pénibles et que c’est trop dur. En fait, les moments en classe nous sauvent et nous font tenir. C’est ce qui est autour qui est pesant. Ça va de la préparation des cours aux corrections, en passant surtout par les rapports avec l’institution, avec laquelle on manque d’écoute et d’échange.

Les rapports avec les parents se sont vraiment dégradés ?

En fait, on observe aujourd’hui une sorte de clientélisme. Ce ne sont pas les parents qui sont devenus pires du jour au lendemain. Il y a les outils qu’on met à leur disposition, ce que j’appelle la pronotisation du métier. On peut maintenant être contacté H24 par les parents par le biais de l’application Pronote. On est à portée de clic et le rapport n’est plus aussi fort que de se déplacer dans l’établissement. Un élève qui a une mauvaise note et on reçoit un message des parents qui demandent des explications. On est à leur disposition. Cela accentue la difficulté à déconnecter qui est déjà bien réelle, puisqu’un prof travaille chez lui pour ses cours et ses corrections.

Cela contribue-t-il à démystifier l’enseignant, qui n’est plus un totem ?

Il y a de ça et puis on est dans l’immédiateté, la réaction directe, et avec un ton peu respectueux, voire des accusations. On retrouve la colère des réseaux sociaux, qui brise le rapport entre parents et profs.

Ça lasse beaucoup de vos collègues ?

Les profs aiment profondément leur métier mais beaucoup sont poussés vers la sortie par l’accumulation, qui provoque une perte de sens du métier. Dans mon livre, les témoignages se terminent par "j’adore mon métier mais j’en peux plus". Le salaire pas glorieux, le rapport à la hiérarchie… On se dit "est-ce que ça vaut le coup de continuer ?" Moi j’ai répondu non. Même pour partir, il m’a fallu sept mois pour avoir une réponse. L’Éducation nationale peut refuser la démission, ce qui est assez fou. Et ce sont ceux qui se donnent le plus qui sont le plus déçus et partent le plus vite. J’en faisais partie, j’ai été tuteur, j’ai rédigé un manuel scolaire et puis je me suis dit "à quoi bon", en l’absence d’une quelconque reconnaissance.

Que faudrait-il pour redonner du sens et de l’attractivité au métier ?

Moins de discours et de communication de la part de Gabriel Attal et plus d’action. Ce qu’on voit depuis deux mois, c’est un ministre hyperprésent dans les médias, limite étouffant pour les collègues.

Depuis Blanquer, quand un ministre passe à la télé, on sait qu’il va faire des annonces qui deviendront effectives. On apprend par les médias les réformes en cours. Parfois les parents sont plus au courant que nous !

Attal brasse de l’air depuis deux mois avec l’abaya, le harcèlement. Les retours aux fondamentaux, ça fait douze ans que j’en entends parler. C’était déjà le discours de Najat Vallaud-Belkacem. Toute la place médiatique se fait au détriment de la réflexion. Il faudrait rendre le métier humain à nouveau, que le prof ait plus de temps pour s’occuper de ses élèves. Ça passe par moins de classes surchargées et plus de personnels à tous les niveaux, dans les rectorats, chez les surveillants, psychologues… On voit avec tous ces drames de harcèlement qu’il y a un vrai problème humain.

Qu’allez-vous devenir ?

Je vais partir vers la création, l’écriture, de BD notamment. Ça fait une bouffée d’air frais car c’est un milieu qui devient étouffant. C’est grave, car ce sont les enfants, la génération qui arrive, qui en font les frais. Il faut comprendre que l’école c’est le problème de la société dans son ensemble.

Gabriel Attal n’a pas cherché à vous rencontrer ?

Je lui ai envoyé un livre avec une petite dédicace où je disais que contrairement aux rapports McKingsey, ce livre n’avait rien coûté à l’État et que je me tenais à sa disposition. Pour l’instant il ne m’a pas contacté. Il voit ce que je poste sur les réseaux sociaux, mes interviews, je ne dois pas être un bon client. Mais on a le même âge, on doit avoir des choses à se dire…

“L’ex plus beau métier du monde”, éditions Flammarion, 22 €
William Lafleur sera en dédicace à Sète et Montpellier en novembre.

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