Brésil: facteur dans une favela de Rio, un métier de détective

  • Un employé de "Facteur Ami" distribue le courrier dans la favela Rocinha, à Rio le 4 octobre 2013
    Un employé de "Facteur Ami" distribue le courrier dans la favela Rocinha, à Rio le 4 octobre 2013 AFP - Christophe Simon
  • Un facteur dans une ruelle de la favela Rocinha, à Rio, le 4 octobre 2013
    Un facteur dans une ruelle de la favela Rocinha, à Rio, le 4 octobre 2013 AFP - Christophe Simon
  • Un facteur brésilien dans la favela Rocinha, à Rio, le 4 octobre 2013
    Un facteur brésilien dans la favela Rocinha, à Rio, le 4 octobre 2013 AFP - Christophe Simon
Publié le
AFP

Allée des cocus, Traverse des drogués, "maison où il y a un chien qui s'appelle Guerrier": être facteur dans la gigantesque favela de la Rocinha à Rio, avec ses milliers de ruelles étroites et escarpées non cadastrées, relève du travail de détective.

"Parfois, pour arriver chez un habitant, on est obligé de traverser la cuisine d'une autre maison", explique à l'AFP Edson Martins, un responsable de la Poste, résumant la difficulté de remettre le courrier dans cette favela de 150.000 habitants, la plus grande du Brésil.

Les baraques à flanc de colline ont poussé de façon anarchique à mesure que venaient les migrants du nord-est pauvre du pays, en quête de travail.

Situé au cœur des quartiers les plus riches de la ville, bastion des narcotrafiquants et zone de non droit pendant 30 ans, la Rocinha a été reconquise fin 2011 lors d'une opération qui a mobilisé des centaines de policiers et de soldats appuyés par des hélicoptères et des blindés.

Après l'expulsion des trafiquants, la mairie a commencé à urbaniser et cadastrer ce labyrinthe de ruelles surmontées d'un enchevêtrement de fils électriques, à leur donner un nom, mettre des numéros aux maisons. Il revient au service des postes d'attribuer un code postal aux habitants pour qu'ils puissent recevoir leur courrier à domicile.

"Avant, la rue numéro 4 c'était une simple traverse, aujourd'hui c'est une vraie rue, plus large. Cela facilite notre travail", se félicite le facteur Ricardo Pinto, 52 ans.

Avant la "pacification" il ne s'aventurait que dans la rue principale pour ne pas se trouver nez à nez avec des hommes armés et déposait le courrier chez des commerçants où les habitants venaient le récupérer.

Aujourd'hui, six facteurs font du porte à porte dans le quartier, où les rues ont des noms officiels, et distribuent 5.200 lettres par jour. Une camionnette sert aussi de Poste restante où les gens peuvent venir chercher leur courrier.

Mais "ces facteurs ne couvrent encore que 30% de la Rocinha", reconnaît le porte-parole de la Poste, Edson Martins. "Nous avançons au rythme du cadastre de la mairie", argumente-t-il.

Au-delà du "Valao" - l’égout à ciel ouvert de la Rocinha - les rues n'ont plus de noms.

Le "facteur ami", un service parallèle

"Notre travail commence là où s'arrête celui de la Poste. La Poste distribue seulement le courrier dans les rues reconnues par la mairie. Nous, nous allons dans les ruelles qui ne sont pas répertoriées, où les maisons n'ont pas de numéros", explique à l'AFP Silas Vieira, 44 ans.

Avec Carlos Pedro, 43 ans, ils a fondé il y a 13 ans l'entreprise "Carteiro Amigo" (Facteur ami) avec l'argent de leur assurance chômage. Elle emploie à ce jour sept "facteurs" - non reconnus par la Poste conventionnelle - pour remettre le courrier dans plus de 8.000 domiciles dont les habitants payent une taxe d'environ 5 euros par mois.

MM. Vieira et Pedro connaissent bien la Rocinha pour y être nés et ils ont dressé leur propre cadastre à partir des surnoms que donnaient les habitants aux 3.000 traverses, allées, places et escaliers de la favela, un "vrai travail de détective", disent-ils.

"Mais comme nos employés sont d'ici, nous n'avons jamais eu de problèmes pour circuler, même du temps de la mainmise des trafiquants de drogue", affirme M. Vieira.

Sans vouloir révéler leur chiffre d'affaire, MM. Vieira et Pedro affirment qu'il "a triplé en 10 ans" et ils ont ouvert des franchises dans 10 autres favelas.

Mollets de sportif, le "facteur ami" Max, 32 ans, arpente tous les jours 8 à 10 km de ruelles.

"Il a changé ma vie; avant je devais aller tout en bas pour récupérer mon courrier", déclare Norma Lucia, la cinquantaine, alors que Max lui remet une lettre.

Mais d'autres se plaignent de devoir payer pour un service, gratuit dans le reste de la ville: "Même si +Facteur ami+ fait un excellent travail, je me sens otage de ce service. Je pensais qu'avec la pacification ça allait changer. La poste est un service public qui n'est pas encore entré ici", déplore José, 55 ans.

A Rio intra-muros, plus d'un tiers des habitants, soit quelque deux millions de personnes, vit dans un millier de favelas. Celles de la zone sud et touristique ont progressivement été "pacifiées" depuis 2008 dans la perspective du Mondial-2014 de football et des jeux Olympiques d'été de 2016 à Rio, mais les services de base (tout-à-l'égout, eau potable, ramassage des ordures, courrier etc.) tardent à arriver.

Source : AFP

Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?