Trente ans après, Dreux a tourné le dos au FN, sa "rampe de lancement"

  • Des immeubles du quartier "Oriels" de Dreux, le 14 octobre 2013
    Des immeubles du quartier "Oriels" de Dreux, le 14 octobre 2013 AFP - Jean-François Monier
  • Un habitant originaire d'Algérie et sa fille, à Dreux, le 14 octobre 2013
    Un habitant originaire d'Algérie et sa fille, à Dreux, le 14 octobre 2013 AFP - Jean-François Monier
  • Un homme aide les enfants à traverser la rue à Dreux, le 14 octobre 2013
    Un homme aide les enfants à traverser la rue à Dreux, le 14 octobre 2013 AFP - Jean-François Monier
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AFP

Avant, c'était un groupuscule de nostalgiques de l'Algérie française qui ne parvenait même pas à présenter un candidat à la présidentielle. Et puis il y a eu Dreux et la municipale de 1983 qui a mis d'un coup le FN au centre du débat politique. Mais 30 ans plus tard, la petite cité d'Eure-et-Loir a tourné le dos à cet encombrant passé.

Au soir du 11 septembre 1983, Jean-Pierre Stirbois, le jeune leader du Front national à Dreux, fait le V de la victoire en sortant de la salle des fêtes où viennent d'être proclamés les résultats du deuxième tour d'une élection municipale partielle suivie par toute la France. La liste qu'il partage avec le RPR, l'ancêtre de l'UMP, vient de remporter 55% des voix.

"Il est sorti sous les huées. Il y avait des milliers de personnes qui criaient 'FN fasciste', c'était très chaud", se souvient Jacques Dautrême, ancien membre du Front national qui siégera au conseil municipal aux côtés de Jean-Pierre Stirbois. "Dreux, ça a été la rampe de lancement du FN".

"Il y avait 10 ans qu'on ramait"

"C'était un coup de tonnerre, non seulement par le succès de la liste, mais parce qu'il y avait eu fusion de la liste RPR et de la liste Front national. Le phénomène politique c'était ça", se rappelle Jean-Marie Le Pen, lors d'un entretien avec l'AFP. "Ca a été surtout pour nous un choc médiatique puisque les journaux ont titré en caractères d'affiche", ajoute le président d'honneur du Front national, qui n'avait pas pu se présenter deux ans plus tôt à la présidentielle, faute d'avoir rassemblé suffisamment de signatures.

"Il y avait 10 ans qu'on ramait dans l'adversité" en stagnant sous les 5% des voix, se remémore-t-il. Moins d'un an plus tard, le FN recueillera nationalement 11% des suffrages aux élections européennes.

Pour le politologue Jean-Yves Camus, spécialiste de l'extrême droite, "les dirigeants du RPR n'ont pas vu le danger" du Front national lors du scrutin de Dreux. "Ils s'en sont largement mordu les doigts après". Dans son ouvrage +Chaque pas doit être un but+ (2009), Jacques Chirac écrivait d'ailleurs: "J’ai laissé, sans m’y opposer, la droite locale faire alliance au second tour avec le candidat du parti de Le Pen et remporter l’élection dans ces conditions. Je n’ai mesuré qu’après coup la gravité de ce qui venait de se produire".

Pour Jean-Marie Le Pen, le RPR pensait que le FN "était une petite formation dont on pouvait se servir éventuellement sur le plan électoral".

Le FN absent aux municipales

Françoise Gaspard, l'ancienne maire PS dont la réélection invalidée en mars 1983 conduira à la partielle de septembre, entend comme un écho dans l'actuelle montée du FN. "C'était comme aujourd'hui deux ans après l'élection d'un président socialiste, il y avait une aggravation de la crise, une montée du chômage et une déception des gens de gauche qui auraient aimé voir des réformes comme le droit de vote des étrangers", analyse-t-elle.

Mme Gaspard, qui dénonce une tentation de compromission de la droite avec le FN aux municipales, y voit, comme en 1983, "un jeu politique dangereux qui ne sera pas payant pour elle".

Pour les Drouais d'aujourd'hui, la notoriété politique de la ville est encore souvent mal vécue. "L'étiquette 'Dreux = FN', ça fait 30 ans qu'on essaye de s'en débarrasser", répond-on à la mairie, qui refuse tout entretien où il serait question du parti d'extrême droite.

Pourtant, le FN a spectaculairement reflué à Dreux depuis la mort de Jean-Pierre Stirbois dans un accident de voiture en 1988. Sa veuve Marie-France (décédée en 2006) a obtenu encore plus de 60% des voix lors d'une législative partielle en 1989 mais a dû s'incliner en 1993.

Privé de leader, le parti lepéniste n'est pas parvenu à constituer de liste aux deux dernières municipales et peine à réunir les 39 candidats nécessaires en vue du scrutin de mars. La tête de liste initialement désignée, Philippe Leroy, a dû céder la place à une nouvelle personnalité dont le nom n'est pas encore annoncé, après avoir recruté seulement 12 colisitiers.

Des millions pour la rénovation urbaine

La ville ne respire pourtant pas la prospérité, avec un taux de chômage de 22% (recensement 2010) et 19% d'immigrés sur une population de 31.000 habitants. Les quartiers difficiles du "plateau est" ont été placés en Zone de sécurité prioritaire, la seule de la région Centre.

"Il n'y a plus de travail, il n'y a plus rien", se désole Kara Tunçay, colosse occupé à tirer sur une chicha devant son restaurant turc. "Les usines ont fermé. Avant, il y avait du boulot pour les jeunes. Maintenant, tout le monde va à Paris", résume-t-il. Mais M. Tunçay, 30 ans, reconnaît que l'actuel maire UMP, Gérard Hamel, "a fait du bon boulot" depuis son élection en 1995 et transformé les faubourgs "en belles cités".

M. Hamel, par ailleurs président de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, a investi des millions d'euros dans la réfection des quartiers difficiles comme les Chamards, désormais rebaptisés "Oriels". Des échafaudages s'y déplacent de tour en tour pour repeindre les façades.

"En 1983, ça ressemblait à des HLM plantées sur des terrains vagues", rappelle M. Camus."Quand on désenclave, quand on met de l'argent dans la rénovation urbaine, ça sert à quelque chose", remarque-t-il.

Côté sécurité, le commissaire Grégoire Doré relève que depuis les années 2000, avec la création d'une police municipale et la vidéoprotection, la ville "a bien repris ce domaine que l'Etat avait laissé tomber".

L'ancien conseiller FN assure en tout cas qu'il est heureux dans sa ville. "J'ai essayé de partir une fois mais je suis revenu", témoigne Jacques Dautrême.

Source : AFP

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