Paysans boulangers : le pain des champs fait de la résistance

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    Paysans boulangers : le pain des champs fait de la résistance Illustration JAT
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Centre Presse Aveyron

De la moisson à la cuisson, ils ne font qu'un. Agriculteurs en quête d'avenir ou néo-ruraux en reconversion, paysans et boulangers, ces nouveaux cultivateurs artisans contribuent à l'animation des campagnes et à la renaissance de semences oubliées. Quand il embrasse du regard ses blés ployés par le vent et les vaches paisibles, en contrebas de sa ferme, à Cornus, au sud du Larzac, Marcel Fabreguettes se sent comme le dernier des Mohicans.

"On va devenir un zoo ici, une réserve de paysans naturels", prédit-il: ils étaient naguère une vingtaine d'éleveurs laitiers sur le plateau, ils ne sont plus que deux. Marcel s'est formé à la boulange pour anticiper la fin des quotas laitiers, en 2015, et le déferlement redouté de "fermes usines" qui risqueront de noyer sa production, bio et artisanale. Le pain c'est sa résistance. Une semi-reconversion qui lui permet de continuer d'exploiter ses céréales et des fourrages pour la trentaine de frisonnes qu'il conserve. C'est Muriel, son épouse, qui en a pris l'initiative.

"On voulait maîtriser toute la chaîne, de la production à la vente", explique-t-elle. Souriante et alerte, elle se lance la première, suit une formation, accompagnée par deux boulangers. Apprend à faire son levain. "Si la pâte lève trop, le pain est dur comme une galette. Pareil s'il ne lève pas assez. " Marcel pétrit et chauffe le four à bois en deux temps pour atteindre la bonne température. "Un boulanger en ville fait son pain en deux heures, moi c'est 10 à 14 heures." A la Borie les journées commencent à 4 heures les jours de cuisson. 

Choix de vie

Les Associations pour le maintien d'une agriculture paysanne (Amap) constituent souvent le deuxième réseau commercial du pain paysan avec la vente à la ferme, parce qu'elles en épousent l'idéologie et les convictions. Mais paysan boulanger, c'est d'abord, pour ceux rencontrés, un choix de vie à la campagne. C'est ce qui a poussé Thierry Hermeline, boulanger bio initialement, à la reconversion après avoir exercé son métier aux quatre coins de France à la manière des compagnons. Avec Cécile, ils avaient ce projet d'être leurs propres patrons et d'élever leurs enfants en pleine terre. C'est elle qui l'a poussé vers un cycle de formation à l'agriculture biologique. Pour Thierry, l'expérience fut parfois âpre. La pluie à l'heure des moissons l'a déjà privé de récolte. Pourtant, à 52 ans, même s'il "travaille davantage qu'en ville", il n'a jamais regretté sa reconversion et se passionne pour la vie dans ses champs. Il a rejoint depuis cinq ans le réseau Semences Paysannes et s'y fournit en variétés bio et anciennes.

Cette année, il cultive cinq blés différents sur une même parcelle pour obtenir une farine unique. La plupart travaillent aussi l'alternative au blé - petit épeautre, sarrasin - pour contourner les allergies au gluten qui se développent avec les blés riches en protéines, plus facilement panifiables, préférés en boulangerie conventionnelle. Quand il est passé aux cultures sans labour, Thierry a senti la suspicion de ses voisins. Mais l'hostilité, quand elle existe, s'exprime plutôt du côté des meuniers et des boulangers.

Ingénieux et créatifs

Depuis 2010, un décret encadre ces activités conduites "dans le prolongement de l'acte de production ou qui ont pour support l'exploitation". Comme la vente à la ferme ou les chambres d'hôtes. "Manifestement, la corporation des boulangers s'inquiète car les contrôles se multiplient", confirme Patrick de Kochko, coordinateur et responsable Blé du réseau Semences paysannes, joint dans le Lot-et-Garonne. Son réseau exerce une veille juridique pour ses membres.

"Mais on est d'abord paysan" insiste-t-il. La principale difficulté pour ces néo-paysans "qui ramènent de la vie dans les campagnes", poursuit-il, c'est de trouver de la terre: "Ils s'installent généralement sur des surfaces trop petites pour survivre en céréales seules et c'est aussi pour ça qu'ils s'intéressent à ces variétés anciennes: les blés de compétition à fort rendement nécessitent des super terres, des engrais et se comportent assez mal en bio. Et leur goût est sans intérêt", tranche-t-il.

Pour lui, depuis 20 ans environ qu'ils sont (ré)apparus, c'est "la nécessité (qui) a rendu les paysans boulangers ingénieux et créatifs". Une seule formation en lycée agricole est dispensée, à Montmorot, dans le Jura. Mais le succès est tel que Patrick de Kochko envisage de lancer une formation dans le Tarn sur le mode du compagnonnage. "Nous ne sommes pas en concurrence avec les boulangers", jure James Forest, l'autre gourou du pain et des céréales paysannes. "C'est la recherche de savoir-faire qui nous motive."

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