Rodelle. Antonin Pons Braley, boussole au nord

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    Antonin Pons Braley, boussole au nord CPA
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Lola Cros

Le trentenaire, originaire de Bezonnes entre Rodez et Bozouls, partage sa vie entre l’Ecosse, la Norvège et le Canada. Artiste nomade et anthropo-géographe, il fait "des Nords" son objet d’étude.

Souvent, il raconte qu’il est "né deux fois" : "une première fois sur le causse Comtal, et une deuxième dans un paysage désertique qui y ressemble beaucoup : l’Arctique". Deux terres "peuplées d’imaginaires" guettées par la disparition. À l’image des "Nords" qu’il arpente depuis dix ans, premières victimes du dérèglement climatique, Antonin Pons Braley regrette de "ne plus pouvoir se perdre sur le Causse", et de l’expliquer par "la densité de population galopante, le développement de zones commerciales immenses et de voies de communication, la pollution lumineuse". C’est après le bac que le désormais trentenaire s’est échappé, direction les Pays-Bas pour suivre des études d’art et de sciences politiques. Mais ses armes de photographe, d’héliograveur, de géographe et d’anthropologue, il les fera aussi sur le terrain. Nomade, il sillonne les Balkans, le Maghreb et le Moyen-Orient. À travers les conflits qu’il couvre, Antonin Pons Braley explore la notion de frontière. En rencontrant "ceux qui vivent sur une ligne imaginée", il tente de cerner "les enjeux" qui s’y entrelacent. "Ce sont toutes ces questions de frontière, de marginalité, de périphérie qui m’ont amené au Nord, se rappelle l’intéressé. Je suis parti de l’hypothèse que le Nord peut être à la fois un lieu géographique et mental."

Vie nomade

Passé par Berlin, il a commencé par créer une maison d’édition et un laboratoire d’art et de recherche, Tumuult, ainsi qu’une galerie devenue itinérante, amenée à voyager de par le monde. "Que le labo soit devenu nomade, c’est ce qui m’a permis de troquer ma vie d’avant, partagée entre Paris, Berlin et le Nord, pour un quotidien arctique et nordique", reprend l’Aveyronnais. Il a maintenant un pied à terre en écosse, un autre dans l’archipel norvégien du Svalbard aux portes du pôle nord, et un troisième à Montréal, où il est chercheur associé à l’université du Québec (Uqam).

Où qu’il soit, le temps d’Antonin Pons Braley est aujourd’hui entièrement dévolu à un projet "ad vitam aeternam" avec son binôme, l’artiste et chercheuse allemande Lena Gudd : "une Archive des Nords". "S’il fallait résumer notre travail en une question naïve, ce serait : comment est-ce que l’on habite le Nord et comment le Nord nous habite ?", éclaire le chercheur. Depuis 2012, ils accumulent "des milliers d’heures d’enregistrement, des photos, des témoignages, des textes, des dessins, des vidéos glanées dans les régions circumpolaires et polaires du Grand Nord comme du Grand Sud". Après des expositions, éclatées aux quatre coins du monde, Antonin Pons Braley se réjouit : "On s’autorise enfin, pour la première fois le mois prochain à New York, à livrer cette Archive. Elle a la forme d’un Grand Atlas, qui sera régulièrement augmenté de nouvelles planches, à la manière d’un herbier, pour donner à voir, fragments après fragments, les réalités de ces paysages". Ces "réalités" reposent sur "une somme de savoirs, de cultures, de traditions, à la fois autochtones et allochtones, de langues, de patrimoines matériels et immatériels". Ce sont aussi "des réalités contemporaines, avec une relation au temps particulière, un silence, des enjeux, intimes et globaux, à commencer par le changement climatique, et les tensions géostratégiques".

Ni passéiste, ni défenseur d’une "planète musée"

Avec ce corpus aussi bien scientifique qu’artistique, esthétique qu’académique, Antonin Pons Braley entend contribuer à laisser une trace. Peut-être la dernière. Car, sans être passéiste ni défenseur d’une "planète musée qui ne saurait plus vivre", le scientifique l’affirme : "En termes géographiques, le Nord disparaît. Il n’en restera qu’un point cardinal. Sans mystifier le Nord, ni tomber dans le colonialisme ambiant, sans faire du Nord le jouet du Sud, il est évident que ses paysages disparaissent. La neige se fait de plus en plus rare, la nuit est plus polluée, la biodiversité de plus en plus est mise à mal. Le Nord achève de devenir un autre consommable, et l’Arctique, une marque. C’est tout cela qui contribue à sa disparition." Par l’ampleur de la mission qu’il s’est octroyée, et la difficulté à délimiter concrètement son travail, Antonin Pons Braley laisse pantois.

S’il refuse de dire qu’il est "fasciné" par les Nords, il conclut sur un sourire : "Le sujet me bouleverse intimement. Mais plus raisonnablement, je dirais que le Nord, avec les abysses sous-marins et l’espace, sont les trois paysages que l’on connaît le moins, voire pas du tout. Rares sont les archives de longue haleine, multidisciplinaires, qui ont été menées sur ces trois inconnues-là. Recenser ces lieux et leurs idées m’apparaît comme un devoir. Il ne s’agit pas de nommer le paysage pour mieux le conquérir mais participer à le citer pour mieux le lire."

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